En République démocratique du Congo (RDC), les besoins humanitaires restent immenses face à une crise qui s’enlise à l’est du pays. Entre déplacements massifs de population, flambées épidémiques et un système de santé fragilisé, nos équipes continuent d’agir au quotidien pour garantir l’accès aux soins essentiels. Prévention, soutien aux structures locales, accompagnement des personnes vulnérables : malgré un contexte instable, l’engagement ne faiblit pas.

Rencontre avec Adama, chef de délégation, et le Dr Habibou, coordinateur santé, qui pilotent nos activités sur place.

Quelle est la situation en République démocratique du Congo ?

Adama : La RDC est confrontée à des conflits internes persistants, particulièrement dans l’est du pays. La situation sécuritaire s’est nettement détériorée entre fin 2024 et début 2025, avec une intensification des affrontements entre groupes armés, notamment le M23, dans plusieurs zones. En janvier, la prise de Goma, ville stratégique de l’est, a marqué un tournant. Nous y avions un représentant, et avons suivi de très près l’évolution de la situation sur place.

Comment avez-vous vécu la prise de Goma ? 

Adama : En février 2025, nous avons dû procéder à une évacuation du Sud-Kivu. Malgré les plans que nous avions préparés, les événements ont évolué très rapidement, et l’intensité des combats nous a pris de court. Lors de l’entrée du M23 à Goma, l’aéroport et plusieurs axes routiers ont été bloqués.

L’un de nos collaborateurs, présent dans la ville, n’a pas pu quitter la zone à temps. Il a dû se mettre en hibernation avec les équipes du CICR. C’était une situation très tendue, pour lui sur place comme pour nous à distance. Nous l’avons accompagné tout au long de cette période en lui transmettant des informations aussi précises que possible, et en restant en lien régulier.

Depuis, le calme est revenu dans la zone. Après avoir échangé avec le CICR, nous avons décidé ensemble de réinstaller progressivement les équipes. La sécurité de nos collègues reste une condition indispensable à toute intervention. C’est toujours un équilibre délicat : être là où les besoins sont importants, tout en veillant à la protection de nos équipes.

Quelles sont les principales problématiques rencontrées aujourd’hui ?

Adama : L’est du pays reste l’épicentre de la crise humanitaire. Les violences armées, les tensions intercommunautaires et les conflits liés au contrôle des ressources y provoquent des déplacements massifs et continus. Depuis le début de l’année 2025, plus d’un million de personnes ont été nouvellement déplacées à travers le pays, portant le nombre total de personnes déplacées internes à environ 6,82 millions*. Une pression immense s’exerce sur les structures locales, dans une région déjà fortement fragilisée par des années d’instabilité. La situation est complexe. Ces déplacements, bien que souvent limités géographiquement (quelques dizaines de kilomètres), engendrent des besoins immenses : accès à l’eau, à l’hygiène, aux soins… et augmentent le risque de propagation des maladies.

Habibou : Depuis plus de 5 ans, la région est confrontée à des épidémies successives : choléra, rougeole et plus récemment le virus mpox. À cela s’ajoutent les déscolarisations, l’interruption des campagnes de vaccination, et l’absence de suivi pour les femmes enceintes ou les nouveau-nés. Le système de santé est mis à rude épreuve.

Comment intervenons-nous dans ce contexte ?

Habibou : Nos interventions se concentrent principalement dans les régions du Nord et du Sud-Kivu, notamment à Goma, Bukavu et Uvira.  Nos actions visent à renforcer un système de santé déjà très sollicité, pour lui permettre de faire face aux nombreux chocs. Nous intervenons en priorité sur la prévention, en collaboration avec la Croix-Rouge de RDC. Cela passe par des actions communautaires autour de l’hygiène, de la sensibilisation à l’utilisation de l’eau potable, et de l’amélioration de l’assainissement - par exemple avec la construction de toilettes ou la distribution de kits d’hygiène. Cela vient en complément d'autres actions de prévention à plus large échelle, comme les émissions de radio sur la santé que nous diffusons régulièrement pour toucher un public plus vaste,

Nous intervenons également dans les structures de santé : appui en médicaments, formation des professionnels, conseils d’organisation et de bonnes pratiques en matière de prévention et contrôle des infections . L’objectif est de garantir des soins de qualité, tout en évitant que ces lieux ne deviennent à leur tour des foyers de contamination.

Une attention particulière est portée aux populations les plus vulnérables, notamment les femmes enceintes et les enfants. Et nous n’oublions pas l’aspect psychologique : par exemple, lors de l’épidémie de mpox, certaines personnes ont souffert de stigmatisation. Nous avons mené des actions de sensibilisation au sein des communautés, mais aussi mis en place des approches spécifiques auprès des personnes hospitalisées pour les accompagner.

Dans ce contexte de violences et de déplacements, quelles conséquences observe-t-on sur la vie des populations ?

Habibou : Les violences subies par les populations fragilisent encore davantage leur santé et leur équilibre psychologique. Les déplacements forcés laissent des traces profondes. Je me souviens d’une mère qui, lors d’une attaque, a dû fuir précipitamment pour sauver sa vie. Elle est partie avec un seul de ses enfants, laissant derrière elle ses deux autres enfants plongés dans la confusion et la panique. Arrivée dans un village voisin, elle se retrouvait déchirée entre la sécurité de l’enfant à ses côtés et l’impossible choix de repartir chercher les deux autres, disparus dans le chaos. Ce drame illustre la brutalité des conflits : des familles éclatées et séparées en quelques instants.

Lors d’une visite dans un hôpital, nous avons également été confrontés à l’histoire bouleversante d’une jeune fille de 13 ans victime de violences sexuelles, et contrainte de mener une grossesse à terme. Allongée, incapable de regarder son bébé qui pleurait, elle semblait écrasée par le poids d’une maternité imposée. Ces cas montrent à quel point les violences dans les zones de conflit bouleversent profondément la vie, la santé et l’avenir des femmes et des jeunes filles.

Nous intervenons également en cas de catastrophes naturelles ?

Habibou : Oui, nous sommes mobilisés en réponse à des catastrophes naturelles, notamment lors d’épisodes d’inondations provoquées par de fortes pluies. Lorsque les conditions d’hygiène sont déjà précaires, ce type d’événement aggrave considérablement les risques sanitaires. Dans certaines zones, l’eau stagnante, souvent contaminée par des matières fécales en l’absence de toilettes ou de système d’assainissement fonctionnel, devient rapidement un vecteur de maladies. Dans ce contexte, nous déployons des actions de prévention d’urgence pour limiter les risques d’épidémies, nos équipes à Uvira, au sud Kivu dans le cadre d’une intervention financée par ECHO ont ainsi contribué à l’élaboration et mise en œuvre du plan de contingence multirisque prenant en compte la problématique d'inondation dont fait face le territoire.

Comment assure-t-on la continuité de nos projets dans un contexte aussi instable ?

Habibou : Nous devons rester extrêmement vigilants face aux signaux de sécurité, surveiller les évolutions sur le terrain et prendre en compte la criminalité urbaine, qui reste importante. Les conditions de travail sont donc particulièrement difficiles et nous obligent à une adaptation constante. Le système local évolue en permanence, avec de nouveaux interlocuteurs et des enjeux changeants. C’est un environnement très résilient,  je n’avais jamais été confronté à une situation aussi complexe auparavant. Dans certaines zones, lorsque la situation devient trop instable, nous devons temporairement suspendre nos activités, en attendant un apaisement des tensions.

Quel regard portez-vous sur la RDC malgré ces difficultés ?

Habibou : La RDC est un pays magnifique, d’une grande richesse culturelle et naturelle. Il faut le voir pour le comprendre. Mais cette beauté coexiste avec des défis colossaux qui impactent la vie quotidienne des populations. Aujourd’hui, nous avons plus que jamais besoin de financements pour continuer à faire avancer nos projets et répondre aux besoins sur place, aux côtés de la Croix-Rouge de RDC. 

*OCHA, avril 2025