Les experts COP21 : Sendy Veerabadren
Publié le 16 octobre 2015
Quelles sont les conséquences visibles du réchauffement climatique en matière de sécurité alimentaire ?
Depuis trente ans, le nombre de catastrophes climatiques a plus que doublé. Il peut s’agir de chocs ponctuels comme des cyclones ou des inondations, de chocs saisonniers comme les sécheresses, ou de stress plus graduels, comme les modifications des régimes de pluie, dont l’impact est majeur sur les populations rurales qui vivent d’agriculture vivrière, de pêche ou d’élevage. Ces catastrophes ont largement contribué à accroître l’insécurité alimentaire et nutritionnelle de millions de personnes dans le monde qui sont souvent déjà en situation de fragilité économique ou sociale.
Ces dérèglements climatiques ont des effets négatifs à plusieurs niveaux de la sécurité alimentaire :
ils impactent la production agricole, en particulier dans les pays du Sud. Sans mesure forte d’adaptation les rendements céréaliers pourraient diminuer de 2 % par décennie.
les événements météorologiques extrêmes plus intenses et plus fréquents occasionneront des pertes de culture au champ.
Cette baisse de production engendrera un accroissement de la volatilité des prix alimentaires. Le prix moyen des denrées de base pourrait doubler au cours des vingt prochaines années, en raison en grande partie du changement climatique. Or on constate sur les terrains où nous travaillons que les petits producteurs et les familles agricoles sont avant tout des consommateurs nets, c’est-à-dire qu’ils produisent seulement pour 3 à 6 mois d’alimentation et doivent acheter le reste sur les marchés. La hausse des prix les affecte donc durement et directement, on se rappelle des émeutes de la faim en 2008 qui était avant tout une crise des prix.
Enfin le changement climatique suscite une baisse de la qualité nutritionnelle des céréales de base, en protéines, en fer, en zinc.
La conséquence visible ultime de ces changements climatiques, qui n’est pas agronomique ni économique mais bien humanitaire, ce sont ces 600 millions de personnes supplémentaires qui, on l’estime d’ici à 2080, seront touchées par l’insécurité alimentaire à cause du dérèglement du climat.
Comment la Croix-Rouge peut-elle agir pour assurer la sécurité alimentaire en cas de catastrophe naturelle ?
Lorsqu’une catastrophe naturelle se produit, la priorité première est de répondre à l’urgence humanitaire et de couvrir les besoins vitaux immédiats des victimes, qu’ils soient alimentaires ou autres. C’est ce que la Croix-Rouge française a fait en de nombreuses circonstances : Tsunami en Asie, séisme en Haïti, sécheresse au Sahel ou dans la corne de l’Afrique, et plus récemment cyclones aux Philippines et au Vanuatu ou encore tremblement de terre au Népal.
Mais l’action de la CRF ne se limite pas au secours. Prenons l’exemple du Nord de la Tanzanie où plus de 300 000 personne furent affectées par la crise alimentaire dans la corne de l’Afrique en 2011, l’action déployée en urgence a été immédiatement suivie, et même pensée simultanément, d’une phase de relèvement et de développement qui s’intègre dans une approche globale de renforcement de la résilience des populations à mieux affronter les chocs à venir. Car malheureusement nous le savons ces chocs climatiques se reproduiront. En Tanzanie, en appui aux éleveurs Massaïs sévèrement affectés par la sécheresse, nous avons travaillé à l’amélioration de l’accès à l’eau d’abreuvement du bétail, aux soins vétérinaires, sur la diversification agricole adaptée au climat, ou encore sur la mise en place de banques alimentaires pour permettre l’accès des plus vulnérables à de la nourriture à prix modérés en saison sèche. La force du mouvement Croix-Rouge est de pouvoir compter sur des volontaires issus des quartiers et des villages qui participeront directement à la réponse d’urgence et en parallèle accompagneront sur le long-terme des processus de développement et d’accroissement de la résilience des plus vulnérables.
Comment aider les populations à adopter un mode de production agricole plus résilient face aux risques climatiques ? Que fait-on à la Croix-Rouge française ?
Le plus important est de bien comprendre les vulnérabilités de ces populations, à quels chocs sont-elles vraiment confrontées, quels sont leur fréquence, leur intensité, leur durée, quelles sont leurs conséquences sur la diversité des groupes sociaux qui constituent les communautés. Il s’agit aussi d’analyser les capacités de ces communautés, leurs stratégies, leurs idées, et identifier les blocages qui les empêchent de les mettre en œuvre. Nous utilisons différents outils à la Croix-Rouge pour réaliser ce type d’analyse participative initiale comme l’Etude des Vulnérabilité et des Capacités. Cette compréhension initiale et cette dynamique suscitée au niveau local permettent d’imaginer des solutions adaptées au contexte, dans ses dimensions environnementale, économique, politique, sociale ou culturelle, de faire émerger des solutions portées qui favorisent l’appropriation, des solutions que ne soient pas exogènes et simplement dupliquées.
Au Vanuatu par exemple, archipel particulièrement soumis aux effets du changement climatique, on a travaillé sur l’adaptation agricole et alimentaire par l’introduction de variétés vivrières nouvelles (issues d’autres îles du pays ou de l’institut local de recherche agronomique) qui présentent des avantages dans un contexte de climat changeant, comme des patates douces résistantes aux sécheresses, des choux tolérants aux fortes pluies ou encore des taros résistants aux cyclones.
Au Laos on a mené des campagnes de sensibilisation sur les risques économiques et environnementaux de l’agriculture commerciale, qui tend à se développer au dépend de l’agriculture vivrière. La stratégie de spécialisation est en effet risquée dans un contexte de changement climatique.
Au Tchad on a mis en place des groupements solidaires de micro-crédit pour que les femmes puissent développer des activités génératrices de revenus et diversifier leurs activités alors que l’agriculture pluviale est fortement impactée par les modifications des régimes de pluies.
Ce modèle de fonctionnement est-il généralisable ? A quel niveau est-il intéressant d’intervenir ?
Chaque solution doit être adaptée à son contexte très spécifique, car le changement climatique se manifeste et est perçu de manière différente dans chaque localité. En revanche, l’approche qui conduit à l’identification et à la mise en œuvre de ces solutions particulières peut être similaire. Il s’agit de l’analyse participative des risques, la valorisation des capacités et des savoir-faire, la responsabilisation locale, la mise en réseau d’acteurs complémentaires : autorités locales, société civile, secteur privé, monde de la recherche. Il est important aussi de ne pas avoir une action qui soit réduite à un domaine unique : l’agriculture, l’eau ou la santé par exemple, mais de pouvoir agir là où sont les priorités et de manière à prendre en compte les interactions entre ces domaines. De plus, avec l’intensification du changement climatique, on observe que distinguer urgence et développement n’a plus de sens. En effet, même dans des contextes stables de développement, une catastrophe naturelle peut réduire à néant tous les efforts de développement consentis, et dans des contextes d’urgence, penser en matière de développement et d’accroissement de la résilience est indispensable pour poser les bases de la réduction à long-terme de la vulnérabilité et ainsi espérer sortir des cycles récurrents des crises à répétition que le dérèglement climatique ne fera qu’exacerber.
Face au réchauffement climatique, la diversification des activités, voir l’abandon de la production agricole est-elle inéluctable dans certaines régions ?
Une marge d'adaptation aux nouvelles conditions de production imposées par le changement climatique est possible et dans laquelle il faut agir pour accompagner les producteurs agricoles à faire évoluer leurs manières de cultiver la terre, de conduire leurs troupeaux, de pratiquer leur pêche. Cela nécessitera d’être imaginatif, d’accompagner le changement, de créer un environnement favorable, doté des services nécessaires, pour que les familles rurales puissent vivre de leur activité. Toutefois, dans certains contextes, le coût et les efforts que cette adaptation demandera ne seront pas soutenables. Si les scenarios prospectifs pluviométriques se confirment, certaines zones traditionnellement agricoles, comme par exemple au niveau du pourtour du bassin méditerranéen, devront abandonner l’agriculture. Au Sénégal le changement climatique contribue à différents phénomènes comme l’érosion hydrique ou la désertification qui eux-mêmes conduisent à la salinisation de surfaces très importantes de terres jusque-là cultivées mais que les producteurs sont obligées aujourd’hui d’abandonner.