Dans les Deux Sèvres, on vaccine les populations isolées
Publié le 11 juin 2021
Un reportage de Constance Decorde et Alexandre Bonnemaison
Un camion transformé en unité de vaccination mobile sillonne les routes du département pour aller au-devant des personnes éloignées du système de soin. Ce dispositif itinérant est le fruit de la collaboration entre l'Agence Régionale de Santé, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) et la Croix-Rouge française.
« Dans notre département très rural aux nombreux déserts médicaux, c’est un réel besoin », explique le Docteur Alain Puthon, médecin à la Croix-Rouge française, tout récemment élu président de la délégation territoriale. Si, dans les Deux-Sèvres comme ailleurs, de nombreux centres de vaccination ont ouvert ces derniers mois, encore faut-il pouvoir s’y rendre. Pour de nombreux habitants de villages isolés, ou dans l’incapacité de se déplacer, c’est parfois mission impossible. Et en raison des contraintes logistiques liées à la préparation du vaccin et à son acheminement, les médecins traitants ne peuvent pas toujours leur injecter les précieuses doses. Sans ce dispositif itinérant, un nombre significatif de personnes serait donc privé de vaccin. Venant en complément des vaccinations de masse, cette initiative plus ciblée et moins anonyme permet aussi un accès à ces populations parfois privées de tout lien social.
C’est grâce à une très bonne coordination entre les différents acteurs départementaux de la santé que cette opération a pu voir le jour. Tout d’abord, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) appelle toutes les personnes de plus de 75 ans pour savoir si elles sont vaccinées. Elle transmet ensuite leurs coordonnées à l’Agence régionale de Santé (ARS) qui a mandaté le Service Départemental d’Incendie et de Secours (SDIS)et la Croix-Rouge française sur la partie opérationnelle du dispositif. « On a profité de la très bonne logistique des sapeurs-pompiers, puis on s’est ajusté », confirme Alain Puthon.
Un camion aux couleurs de la CRF
Depuis la mi-avril, une équipe composée d’un médecin, d’un infirmier et d’unbénévole se rend une fois par semaine chez les habitants, dont la liste est diffusée la veille.
L’équipe mobile se déplace avec un camion de pompier ou un véhicule Croix-Rouge. Ce dernier est utilisé depuis 2016 comme point d’accueil santé itinérant ou pour les maraudes. Lutter contre les inégalités d’accès aux soins est l’une de nos missions premières », explique Camille Commergnac, chargée mobilité et accueil en santé sociale. C’est elle qui prend le volant ce jour-là. A l’arrière, Delphine Gérard, infirmière-anesthésiste des Sapeurs-Pompiers, sort le flacon Pfizer de l’espace réfrigéré et prépare les doses. « Pour ne pas perdre une goutte du produit, il faut un certain entrainement. Mais les nouvelles seringues permettent un rendement optimum, et il est désormais possible d’en faire 7 doses au lieu de 6 », précise la dynamique brune à lunettes.
Vaccination en EPHAD
Première étape, le jour de notre venue, l’EPHAD du Val d’Or situé dans la jolie commune d’Airvaut. Si la plupart des 134 résidents ont déjà été vaccinés en début d’année, restent ceux qui viennent d’arriver ou qui ont déjà contracté le coronavirus. « Nous avons désormais des besoins par à-coups » explique la directrice intérimaire de l’établissement, madame Jonquet.
Dans la salle commune de l’établissement, monsieur F. attend sa première dose. « Bonjour Monsieur ! Il me faudrait votre carte vitale, l’ordonnance, et votre dossier médical », demande Alain Puthon. Après les questions médicales d’usage, Delphine Gérard sort la seringue : « Je vais vous faire une piqure dans le bras, vous êtes d’accord ? » demande-t-elle gentiment. « Vous avez eu mal ? »
« Merci, ça va ! » répond ce dernier. Madame T., 86 ans, accompagnée de son beau-fils, ne parait pas non plus ressentir la moindre douleur. « C’était à peine comme une piqure de puce ! », dit-elle avec un sourire malicieux avant de signer l'attestation de vaccination d’une main assurée.
Alain Puthon et Delphine Gérard se rendent ensuite à l’étage, où trois autres pensionnaires, dont une jeune centenaire, attendent tranquillement côte à côte sur leurs fauteuils. Ces dames profitent ensuite des quinze minutes d’attente post vaccinales pour bavarder. « Les gens aiment bien discuter. Échanger avec eux, c’est indispensable et cela fait partie intégrante de notre mission », glisse le docteur Puthon.
Permettre aux plus isolés de se faire vacciner
Le camion reprend sa route, au milieu des champs et des hameaux épars, vers une destination encore plus isolée : le lieu-dit Buzay, à côté du village de Thenezay. Devant leur maison en pierre aux volets verts, au milieu des fleurs de leur coquet jardin, Jean et Gilberte, un couple de personnes âgées, attendent avec impatience.
« Nous n’avons plus de voiture, mon mari a un myélome et j’ai moi-même subi deux AVC. Je ne peux pas marcher plus de dix minutes sinon je tombe. Et en plus, je perds tout le temps ma canne », explique Gilberte. « J’aurais bien aimé me faire vacciner plus tôt, mais c’était impossible » ajoute-t-elle avant de tendre son bras gauche à Lucie, l’infirmière des sapeurs-pompiers qui a remplacé Delphine pour la suite de la tournée. Pendant ce temps, assis à la table de la cuisine, le docteur Puthon vérifie l’ordonnance des médicaments prescrits à son mari, Jean, qui lui aussi apprécie cette vaccination à domicile. Son seul regret ? Que ça n’ait pas commencé plus tôt !
« Je suis originaire de ce village et je sais qu’il y a beaucoup de personnes âgées isolées qui ne peuvent pas se rendre jusqu’aux centres de vaccination », précise Lucie. D’où l’importance, cruciale, de ce dispositif. Fonctionnant parfois en équipe dédoublée - une à bord du camion des pompiers et l’autre à bord du camion Croix-Rouge française - le but est d’augmenter la cadence et d’aller jusqu’à deux tournées hebdomadaires pour répondre à la demande. A raison d’une quinzaine de personnes vaccinées à chaque sortie, près de 225 personnes ont déjà pu recevoir l’injection.
« A chaque fois, les patients nous remercient avec effusion. Ils sont vraiment reconnaissants. Parfois jusqu’aux larmes. Et ça, ça m’a marqué », conclut le docteur Puthon. « Retraité depuis l’âge de 68 ans, ce dernier est désormais médecin bénévole à la Croix-Rouge française et assure trois permanences par semaine pour des publics précaires. Aller au-devant de personnes vulnérables comme il le fait aujourd’hui dans le cadre de cette nouvelle mission est pour lui une évidence et une nécessité.