Partir pour retrouver la joie de vivre

Joëlle a perdu 4 kilos en une semaine. Elle ne mange plus et se renferme sur elle-même à mesure que les bombardements se rapprochent. Elle parle de la mort, de la guerre, de militaires et de viols. Cette situation empire chaque jour et Nayla, sa maman, ne le supporte plus. Sa fille n’a que 18 ans, elle n’a pas vécu la dernière guerre du Liban mais semble en porter les stigmates.

Alors, la mère et la fille décident de partir. Pour ne plus endurer la pression militaire qui augmente encore et pour que Joëlle retrouve la joie de vivre de ses 18 ans qu’elle avait avant le début des bombardements. Il faut donc partir mais laisser la famille à Saïda. Georges, le mari, ne partira pas. "Il est chirurgien orthopédiste et ne veut pas être absent au moment ou ses compatriotes ont besoin de lui" exlique sa femme. Rima, la petite dernière, sera du voyage également. Ce sera le premier départ forcé des deux enfants. Mais ce sera le quatrième pour Nayla qui est déjà partie sous la contrainte en 76, en 82 et en 89.

Sur le pont extérieur du bateau qui les amène à Chypre, Nayla se confie à un secouriste de la Croix-Rouge française. Elle dit à la fois son soulagement en pensant à sa fille mais aussi son désespoir de ne jamais voir son pays durablement en paix. Au loin, Beyrouth commence à disparaître dans un dernier rayon de soleil.

Jean-François Riffaud, envoyé spécial de la Croix-Rouge française

L'odyssée sous les bombes de la famille Fahs

Hassan, un psychiatre franco-libanais, sa femme enceinte de 3 mois et leur fille Morjane, 14 mois, sont arrivés le 10 juillet au Liban pour passer un mois de vacances dans le sud, près de Nabatieh. Hassan y est né il y a 47 ans. Là, il retrouve sa mère, ses quatre soeurs, son frère et ses neveux.

Et puis, les bombardements israéliens ont commencé. Toute la famille paniquée se réfugie à la cave. Depuis le sous-sol, la famille suit les événements grâce à la radio et la télévision. Les informations disent que les frappes israéliennes détruisent les routes et les ponts. "Hassan, prends ta femme et ta fille et va-t-en", lui dit sa mère qui craint qu'il reste bloqué.

Mais pas question pour Hassan de laisser les siens dans le sud. Le 13 juillet, tout le monde part à bord de deux voitures en direction de Beyrouth. "Je roulais doucement. Juste avant Saïda, j'entends un bruit. Un missile tombe à quelques mètres de nous. Une énorme fumée s'échappe. Si j'avais roulé un peu plus vite, ma famille et moi aurions été tués", confie-t-il.

Il poursuit. La famille se réfugie chez un habitant "le temps que ça se calme". Il les supplie de rester car "les Israéliens tirent sur tout ce qui bouge". Mais Hassan décide de repartir et rejoint la banlieue sud de Beyrouth où vit son frère. Les Fahs pensent alors être tranquilles mais "les bombes tombent à nouveau". La femme d'Hassan est prise d'une crise d'angoisse. Il ne sait plus quoi faire: "on n'est psychiatre que pour les autres..." Grâce à une relation, Hassan loue un appartement dans le nord de Beyrouth, épargné par les bombardements. Ils sont vingt dans un trois-pièces.

A moitié rassuré, il décide de revenir en France. Après plusieurs tentatives auprès de l'ambassade, la famille est inscrite sur la liste des rapatriés. Comme pour tout le monde, on leur tamponne en rouge la lettre R sur l'avant-bras. Hassan en retire "l'impression d'être marqué comme les déportés".

Débarqué à Roissy samedi en fin d'après-midi, Hassan a confié à la fois son soulagement, mêlé d'un remords pour ses proches demeurés là-bas: "si je n'avais pas eu ma femme et ma fille, je serais resté au Liban".

Méhdi Fedouach, AFP