« Apprendre et avancer » : Bousri, l’homme qui voulait faire bouger les lignes
Publié le 18 avril 2025

Le chiffre est tout simplement renversant : aux Comores, 15 000 des 836 000 habitants du pays sont volontaires au Croissant-Rouge comorien, soit près de 2 % de la population. C’est peu ou prou comme si la Croix-Rouge française comptait quelque 1,3 million de bénévoles. Il faut dire qu’aux Comores, on retrouve un comité local dans la quasi-totalité des localités du pays. Une solidarité nécessaire, vitale, pour l’archipel figurant parmi les nations les plus pauvres du monde et très exposé aux catastrophes naturelles. Éruptions volcaniques, séismes, cyclones meurtriers, paludisme endémique, épidémies de dengue, de Covid et de choléra : le pays n’a pas été épargné ces dernières années. Mais, à chaque crise, la population peut compter sur une très forte entraide communautaire.
Aider les autres. C’est ce besoin qui a poussé Bousri à s’engager au sein du comité local du Croissant-Rouge comorien de son village, il y a 10 ans. 5e d’une fratrie de 7 enfants, le jeune homme de 32 ans vit encore chez ses parents. La famille occupe une vala - habitation rudimentaire avec des murs et un toit en tôle ondulée - sur les hauteurs de Malé, une petite bourgade située sur la côte sud-est de l’île de Grande Comore. Ici, pas de réfrigérateur, un âtre à même le sol permet de chauffer les aliments. Une grande bassine permet de récupérer l’eau de pluie. «Je suis né dans cette maison. Avant, mon père avait un bout de terre à cultiver et quelques vaches pour nous nourrir, mais il ne peut plus travailler car il est âgé. Alors maintenant, ce sont mes 6 frères et sœurs et moi-même qui subvenons aux besoins de nos parents », confie-t-il.
L’évidence de l’engagement
« J’ai commencé l’école à l’âge de 6 ans. Je n’étais pas le meilleur de ma classe mais je n’ai jamais rien lâché. Moi, mon credo, c’est apprendre et avancer », dit-il. Le jeune homme a travaillé dur pour obtenir le Baccalauréat puis une licence de sciences économiques. « Dès que j’ai terminé mes études, à 22 ans, je me suis engagé comme volontaire. Pour moi, c’était une évidence. Ma famille est très modeste, mais nous avons toujours mangé à notre faim. Et ici, il y a toujours des gens autour de vous qui vivent dans des conditions encore plus difficiles que les vôtres. Aider les autres, cela fait partie de mon éducation et de ma culture », explique le jeune homme qui a grandi en voyant son père donner discrètement des fruits ou des légumes de sa petite ferme à des voisins dans le besoin.
Durant les premières années de son engagement, Bousri a participé à des actions sanitaires, pour sensibiliser les communautés aux mesures d’hygiène afin de prévenir les épidémies. Il a participé également à des opérations de secours d’urgence, lors de graves évènements climatiques.
“Les violences faites aux femmes sont un fléau dans notre société”
« En mars 2021, j’ai appris que la Croix-Rouge française allait lancer un programme de lutte contre les violences basées sur le genre, pour aider le Croissant-Rouge comorien à renforcer ses actions en matière de prévention et de prise en charge des victimes, se souvient-il. Ce programme a déjà fait ses preuves dans d’autres pays d’Afrique centrale. J’ai immédiatement postulé pour suivre les formations parce que les violences faites aux femmes sont un fléau dans notre société. »
« Le formateur, nous a appris à mener une animation, à prendre la parole en public, à utiliser des visuels pour expliquer la différence entre sexe et genre. Il nous a aussi montré comment prodiguer les premiers secours psychologiques aux victimes de violences. J’ai beaucoup appris et ensuite je suis parti sur le terrain. »
Bousri anime ainsi sur son temps libre plusieurs dizaines de sessions de sensibilisation par an. « Nous travaillons en binôme. Nous commençons par contacter le chef du village pour caler la date de notre venue. Nous lui demandons ensuite d’inviter la population concernée par le thème que nous avons choisi : nous faisons des séances de sensibilisation pour les jeunes filles, les jeunes garçons, les mamans ou encore les notables d’un village. C’est mieux de travailler avec des groupes homogènes, la parole se libère plus facilement. Ce sont des petits groupes de 15 personnes maximum, pour mieux faire passer nos messages et instaurer des échanges entre les participants», détaille-t-il.
Faire évoluer les mentalités, “bien sûr que ça marche !”
Après trois ans d’expérience terrain, Bousri n’a aucun doute sur l’efficacité de sa mission. « Bien sûr que ça marche ! Récemment, nous avons une maman, qui, après notre passage, a eu le courage de dénoncer un adulte qui violait sa fille de 13 ans. L’homme est allé en prison. Et sa fille a été prise en charge par le service d’écoute de l’hôpital », se félicite-t-il.
S’apprêtant à fonder une famille avec sa future femme, Bsouri se sent aujourd’hui d’autant plus concerné par le sujet.. « Aux Comores il n’y a pas d’égalité des sexes. Les femmes doivent se taire et rester à la maison pour élever les enfants, elles n’ont aucun droit. La pauvreté et l’ignorance sont à l’origine de ces violences faites aux femmes. Vous y ajoutez le poids des traditions et le manque d’éducation et vous comprendrez mieux comment nous en sommes arrivés là, conclut-il. Moi, je veux changer ça. Ma future femme est professeure d’anglais et elle continuera à travailler quand nous serons mariés. J’élèverai mes enfants avec ces valeurs d’égalité. Et bien-sûr, je continuerai mes missions avec le Croissant-Rouge comorien. Je suis persuadé que c’est en éduquant la population qu’on fera évoluer notre société.» Apprendre et avancer.