Souvent dans l’ombre, parfois dévalorisée, la logistique humanitaire est pourtant ce qui permet à tout projet de solidarité internationale de se concrétiser. Ayant une quinzaine de missions à l’étranger, la Croix-Rouge française mène depuis deux mois une bataille importante pour acquérir et acheminer le matériel nécessaire pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans ces pays. Eclairage avec Marie Evreux, responsable du département logistique-achats à la direction des opérations internationales de la Croix-Rouge française.

En quelques mots, pouvez-vous préciser ce qu’est la logistique humanitaire ?

La logistique humanitaire c’est, comme on dit, la « colonne vertébrale » de toute opération à l’international. En effet, aucun projet ne peut se faire sans bien ou sans équipement, du véhicule à l’ordinateur, du médicament au bien non alimentaire, du personnel qualifié aux équipements de protection individuelle (EPI). Ainsi, la logistique est en charge d’approvisionner tous ces biens pour permettre la réalisation du projet. Achat, stockage, transport, livraison depuis l’international puis, sur le terrain, administration de ces biens, maintenance, gestion des stocks et gestion des ressources humaines dédiées … La logistique englobe toute la « supply chain » (chaîne d’approvisionnement), avec un objectif : mettre en place l’ensemble des moyens nécessaires pour mener l’opération humanitaire en question, qu’il s’agisse d’une intervention suite à une catastrophe naturelle, d’un appui aux structures de santé d’un territoire ou d’un programme de sécurité alimentaire. Bien entendu, une pandémie comme celle du Covid-19 nécessite la mise à disposition de nombreux moyens et nous mobilise intensément depuis trois mois.

Quels sont les grands challenges rencontrés dans le cadre d’une crise comme celle-ci ?

En raison de son caractère mondial, cette crise est absolument inédite. Notre premier défi a consisté à trouver des EPI, et notamment des masques, pour approvisionner nos délégations à l’international. Nous n’étions malheureusement pas les seuls, la planète entière tentait d’obtenir des masques, des blouses, des gants… Tout le monde a cherché des fournisseurs, situés en Chine essentiellement. Ainsi, on a vu le prix du masque passer de 8 centimes d’euros en temps normal à près de 10 euros au début de la crise ! En trouver à des tarifs que l’on peut se permettre, s’assurer de leur qualité, sécuriser les commandes : tels étaient nos premiers défis. Une fois que ces EPI étaient achetés, le second challenge consistait à les acheminer dans les pays de destination : la fermeture des frontières et de l’espace aérien était en ce sens un sérieux obstacle. Nous n’avions jamais vu ça. Toute la chaîne d’approvisionnement était impactée : des achats difficiles (voire impossibles) à faire aux avions inexistants pour les transporter.

Dans un tel contexte, des envois de matériel ont-ils pu être réalisés ?

Oui, après des semaines de mobilisation et l’installation de deux mécanismes pour permettre aux organisations d’envoyer du matériel par avion. L’un est celui du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies. L’autre est celui de l’Union européenne, qui a mis en place un pont aérien entre l’Europe et plusieurs pays. C’est dans ce contexte que la Croix-Rouge française – avec les autres organisations du Réseau Logistique Humanitaire (RLH) – a pu envoyer du matériel et des personnels en République centrafricaine . Trois vols ont été effectués à destination de ce pays. Par ailleurs, outre la République centrafricaine, nous avons récemment envoyé des biens au Tchad, au Cameroun, au Niger, en République démocratique du Congo, en Guinée, en Mauritanie et au Mali. Pour ces pays, nous sommes passés par des vols commerciaux - c’est-à-dire payants - mais il était urgent que nous puissions y envoyer du matériel.

Comment la suite va-t-elle s’organiser ?

En jonglant entre les mécanismes du PAM, de l’Union européenne et les vols commerciaux, nous arrivons désormais à acheminer des biens à l’international, même si la question du délai reste complexe. La situation devrait continuer à s’améliorer dans les prochaines semaines… à condition de travailler en synergie avec les autres organisations, ce que nous faisons de plus en plus au sein du RLH. Nous nous coordonnons pour gagner en efficacité et mutualisons les ressources dès que possible : c’est nettement plus concluant de remplir un avion ensemble plutôt que de se disperser.

Quels enseignements peut-on en tirer pour l’avenir ?

Il est encore trop tôt pour tirer tous les enseignements de cette crise, dont nous ne sommes pas sortis. Ceci dit, l’un des grands enjeux sur lesquels nous devons travailler, c’est le pré-positionnement à l’international de matériel, et éventuellement d’EPI selon l’évolution de la situation. C’est ce que nous faisons avec nos plateformes ( PIRAC et PIROI ), dans les zones fréquemment touchées par les cyclones. Il faut désormais réfléchir à cette notion de pré-positionnement pour d’autres types de crises. Plus globalement, il s’agit d’être dans la proactivité et non dans la réactivité, de tout faire pour agir en amont, de se préparer le mieux possible.

Enfin, on a vu que cette crise était exceptionnelle. En temps « normal », la Croix-Rouge française envoie-t-elle aussi du matériel humanitaire à l’étranger ?

Même si nous privilégions l’approvisionnement local pour un grand nombre de choses, la Croix-Rouge française envoie régulièrement du matériel dans les pays où elle intervient car certains biens ne peuvent être achetés sur place. C’est traditionnellement le cas des médicaments… et actuellement des EPI. Pour mener à bien les projets, nous ne pouvons pas prendre le risque d’avoir des masques qui ne filtrent rien, du gel hydro-alcoolique qui désinfecte mal. La sécurité de nos équipes et de toutes les personnes que nous accompagnons est en jeu. La logistique humanitaire doit être à la hauteur.

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