A Lyon, des campements informels abritent des dizaines de personnes migrantes. Parmi elles, beaucoup de mineurs non accompagnés dans l'attente d'une prise en charge de l'Aide sociale à l'enfance. Nos volontaires leur ont proposé de se former aux gestes de premiers secours. Un besoin crucial pour ces adolescents souvent livrés à eux-mêmes et exposés à toutes sortes de menaces.

Le thermomètre ne dépasse pas les 5 degrés ce matin de décembre lorsque Micha et Hannah, en service civique à la Croix-Rouge et au Samu social, se garent dans la cour du Passage : deux maisons squattées arborées d'un grand jardin. « Normalement, ils sont trente-six mais en vérité, on est plus proche d'une cinquantaine. Ce n'est pas pour rien qu'on le surnomme ainsi », expliquent-elles en sortant du coffre les tapis, mannequins adultes et les sacoches de défibrillateurs. Margot, une habitante du quartier, vient leur prêter main forte. Son collectif Migrants mineurs isolés Croix-Rousse a obtenu de la ville une autorisation de deux ans pour y mettre à l'abri les adolescents. « Ce sont des gamins qui sont en recours, c'est-à-dire dont la minorité a été refusée par le Centre de mise à l'abri et d'évaluation (CMAE) de Lyon. Ils sont à la rue et peuvent attendre des semaines avant de passer devant le juge des enfants ». Leurs conditions de vie sont terribles, ajoute Alexandre qui participe au dispositif d'Intervention en campement informel (ICI) de la Croix-Rouge depuis deux ans. «Avant-hier, il a fait -4 degrés. Ils dorment dehors, dans les squares, sous les escaliers... Quand il pleut, les couvertures sont inutilisables parce qu’ils n’ont pas la possibilité de les sécher. La peur, la faim, le froid génèrent des tensions et des bagarres... Ils vivent l'enfer ». La situation est de pire en pire dans la métropole lyonnaise où l'on dénombre trois squats et deux campements principaux. Les places d'hébergement manquent, les services sont débordés : « Il y a un campement de soixante-dix jeunes qui n'ont pas été évalués encore. Ça peut prendre quatre mois. En attendant, ils sont livrés à eux-mêmes », alerte Margot.

« Le temps des institutions n’est pas le même que celui des urgences sociales. »

Margot, habitante du quartier.

Alors au Passage, on s'organise pour répondre aux besoins essentiels des adolescents. On leur assure le repas du soir, on leur distribue des vêtements, des produits d'hygiène et des aliments de premières nécessité : de l'huile, du sel, de la farine et du thon. « Actuellement c’est compliqué pour nous parce que nous n’avons plus assez de financements pour la nourriture »précise Alexandre. Malgré tout, la solidarité résiste. Plusieurs associations leur viennent en aide. Elles sont nombreuses comme Margot à passer ce matin. Des visites maternantes et chaleureuses à l'image de Françoise qui accompagne les mineurs dans leurs démarches administratives. Corinne, quant à elle, est venue vérifier si le chauffage fonctionne enfin. Toutes deux en profitent pour prendre des nouvelles de deux garçons rapatriés ici après s'être fait casser le bras pour l'un et la jambe pour l'autre aux abords d'un campement de la ville.

S'adapter à un public spécifique

Dans le salon, Hannah et Micha commencent la formation. Une dizaine de garçons participe. Les traits sont tirés, les visages fatigués. Beaucoup ne parlent pas bien français. Du haut de ses 21 ans, Micha est rodée : « On sait s’adapter à ce jeune public. On prête une grande attention à leurs réponses, on communique avec des gestes et des images ». Les jeunes femmes usent ainsi de mises en situation, d'imitations, de reformulation et de répétition pour s’assurer que tout le monde comprend bien. Tandis que Micha montre des photos de coupure, d'incendie, de personne inanimée au sol et invite les adolescents à interagir par un jeu de questions-réponses, Hannah traduit en anglais si besoin. Aucun n'est laissé de côté. « On les incite aussi à traduire entre eux parce que ça crée des liens dans le groupe ». Les premiers retours sont hésitants mais les mises en situation en binômes déverrouillent les sourires, et les échanges se font plus francs. L'apprentissage de la position latérale de sécurité et du garrot est une formalité. Les gestes sont réalisés parfaitement. Et pour cause : nombre d’entre eux ont connu des situations similaires. Malgré la concentration que demande l'initiation et le nombre d'informations transmises (numéros d'urgence, applications utiles à télécharger, fonctionnement du défibrillateur...), tous sont très attentifs.

Libérer la parole

Place au massage cardiaque. Les mains sur le thorax du mannequin, Éric* interpelle les formatrices : « Qu'est-ce qui se passe si on n'y arrive pas bien ?” “Si tu as peur de le faire, la personne va mourir. Alors il faut essayer. Entraînez-vous. On est là pour ça ! ». Former aux gestes qui sauvent, c'est donner confiance. C'est aussi savoir accueillir la parole qui se libère. Après avoir répété les mêmes gestes jusqu'à les maîtriser, Éric se confie : « Quand j'ai quitté la Guinée, j'ai perdu un ami sur la route. Il est tombé. On a appelé une ambulance mais elle a mis du temps à arriver. On n'a pas su comment le réveiller. Si j'avais su faire ça avant... ». Hannah le constate à chaque fois : « Beaucoup font des parallèles avec leurs expériences. On leur apprend des choses que nous n'avons souvent pas vécues. Eux, ils savent. Ils ont conscience que c'est précieux ».

Redonner à chacun le pouvoir d'agir

En plus d’un kit de premiers secours (compresses, sparadrap, savon, pansements, ciseaux et gants), les participants se voient surtout décerner un diplôme nominatif. Cela crée l'émoi dans l'assemblée. Les jeunes s'applaudissent. « Ils sont toujours super contents et honorés qu'on vienne à leur rencontre, qu'on prenne du temps pour eux, qu'on les considère ». Une séance photo s'improvise. Chacun prend la pose aux côtés des formatrices, le papier tenu fermement dans les mains. « C'est mon premier diplôme depuis mon arrivée en France. J'en suis fier ! », s'exclame Abdoulaye*, un jeune garçon à l'allure frêle, en France depuis 4 mois. « J'ai quitté la Guinée Conakry avec mon grand frère. On s'est séparé en Tunisie. C'était la guerre là-bas. Il y avait beaucoup de problèmes. On nous agressait avec des couteaux, on nous jetait des cailloux. Et moi j'étais petit. Alors mon frère a fait ce qu'il fallait faire. Il m'a poussé à partir seul parce qu'on n'avait pas les moyens de continuer à deux ». Le contraste entre l'histoire que raconte l'adolescent de 15 ans et le sourire qu'il arbore est saisissant. « J'ai appris plein de choses ce matin. On m'a bien expliqué. C'est un atout, ça va me servir. Je pourrai mieux me protéger et aider les autres maintenant ». Mission réussie pour les volontaires de la Croix-Rouge.

La route migratoire de Steeve

La formation terminée, Steeve se prépare pour ses cours de français. Hors de question d'être en retard. « C'est tous les jours à 13h. Il ne faut pas que je tarde » précise-t-il d'une petite voix calme mais déterminée. Le garçon de 16 ans est installé au Passage depuis un mois. « Je n'avais pas d'endroit où dormir. J'ai fait une demande cet été au forum des réfugiés. Ils m'ont d'abord logé à l'hôtel. J'ai passé mes évaluations et ils m'ont refusé. J'ai été mis dehors le 13 octobre. J'ai fait un recours avec un avocat. J'attends mon jugement l'année prochaine». Steeve a quitté le Cameroun en janvier 2023. Il parcourt le Nigéria et le désert du Niger : « J'ai passé trois jours tragiques. Notre véhicule est tombé en panne. Des amis sont morts de soif à cause de la chaleur ». L'adolescent poursuit sa route en Algérie. Toujours de nuit, souvent à pied pour éviter les contrôles. En Tunisie, il embarque sur un bateau et traverse la Méditerranée pendant deux jours. Ils feront naufrage. Steeve doit sa vie à une chambre à air utilisée comme gilet de sauvetage et au navire venu les secourir jusqu'en Italie. S'ensuivent Lampedusa, Naples et Turin. « J'ai marché toute la nuit dans la montagne et je suis arrivé à Briançon à 4h du matin ». Le jeune homme, qui confie appeler sa maman tous les jours pour se réconforter, ne perd pas espoir : « Mon but, c'est faire une formation pour pouvoir m'insérer professionnellement et m'intégrer. Que ce soit en plomberie, menuiserie, carrosserie, chauffage… C'est ça mon rêve ».

* Prénoms modifiés pour respecter l’anonymat des mineurs.

Texte : Laurène Renoux , Photographe : Alexandre Bagdassarian

Vous pourriez être intéressé par