Pour une société de la longévité

Notre société est depuis de nombreuses années confrontée à un vieillissement de sa population. Les projections confirment cette tendance. Depuis le milieu des années 2010, les plus de 65 ans sont plus nombreux que les moins de 20 ans en France. En 2030, ils représenteront plus de 30% de la population, tandis que les moins de 20 ans seulement 20%. Les 85 ans et plus verront leur nombre exploser. En 2050, ils seront 5,6 millions, soit 7 à 8% de la population française, dont 2 millions en perte d’autonomie. (source INSEE)

Cette société dite de la « longévité » attire l’attention de différents acteurs. Certains y voient des opportunités économiques avec le développement de la Silver Économie, d’autres au contraire s’inquiètent du financement de la « dépendance ». 

Mais de qui parle-t-on ? Et de quoi parle-t-on ?

Il existe aujourd’hui une réelle difficulté de notre société à reconnaître une véritable place aux seniors en perte d’autonomie. Ces personnes sont aujourd’hui considérées comme “dépendantes”, c’est-à-dire comme des personnes qui n’ont pas “leur autonomie par rapport à l’autre, qui ne sont pas libres d’agir à leur guise”. 

Nous souhaitons un changement radical de ce mode de pensée et d’agir pour redonner aux séniors leur statut de citoyen à part entière ; leur identité de personnes « capables » d’agir, de penser, de choisir, et tout simplement de continuer à vivre leur parcours de vie en pleine citoyenneté. 

L’enjeu est pour nous d’accompagner ce changement de paradigme à travers la réponse à deux questions stratégiques :

  • De quoi parle-t-on, lorsque nous parlons d’âge et de grand âge ? 

  • De qui parle-t-on lorsque nous accompagnons une personne en perte d’autonomie au sein de la société ?

Pour répondre à cet enjeu majeur de la longévité, nous nous engageons à accompagner ce changement d’état d’esprit en faisant preuve d’exemplarité dans notre modèle d’accompagnement des personnes âgées au sein de nos établissements et de nos services ; et bien sûr, en mobilisant la force de notre collectif auprès des pouvoirs publics.

Vous trouverez ci-dessous une synthèse de nos 14 propositions d’actions concrètes.

Nous vous invitons par ailleurs à télécharger notre rapport sur la société de la longévité.

Synthèse des propositions

PROPOSITION 1 : PARCOURS DE VIE VERSUS ÂGE 

Repenser le modèle de société et d’organisation des soins sous l’angle de “parcours de vie” plutôt que par une segmentation par l’âge.

L’évolution de notre société vers la “longévité” invite à dépasser la catégorisation des personnes par leur âge, et à prendre au contraire en considération leur parcours de vie.

PROPOSITION 2 : AUTONOMIE VERSUS DÉPENDANCE 

Créer une Délégation Interministérielle de l’autonomie, garante de la cohérence des politiques publiques en faveur de l’autonomie.

Cette Délégation serait notamment chargée de :

  • Modifier l’ensemble du champ lexical qui touche au sujet du vieillissement sous un angle « positif » en assurant la promotion de l’autonomie plutôt que de la « perte ».

  • Élaborer une évaluation qualitative de tout le champ lexical utilisé dans le secteur et appliquer les « bons mots » au « bon moment » de chaque parcours de vie.

  • Prendre en considération le parcours de vie des personnes.

PROPOSITION 3 : VALORISATION DE LA TRANSMISSION 

Replacer la transmission aux jeunes générations au cœur de notre modèle de société.

Les personnes ont accumulé de nombreuses expériences, professionnelles ou personnelles, tout au long de leur parcours de vie. Ce capital expérience est précieux et mérite d’être davantage valorisé et transmis, en les plaçant comme acteur des formations professionnelles du secteur du soin, comme “patient-expert”.

PROPOSITION 4 : PLACE AUX CAPABILITÉS 

Inverser le regard par la reconnaissance des “capabilités” de chaque personne fragile.

Il s’agit de prendre en compte les “capabilités” d’une personne, c’est-à-dire à la fois leurs capacités et leurs libertés, celles d’agir et de faire des choix qu’ils jugent pertinents pour eux (Amartya Sen).

Cette approche modifie intégralement le regard porté sur les vulnérabilités, pour en faire des sources d’opportunités plutôt que de menaces, afin d’être intégrées comme telles dans notre modèle de société et dans l’intégralité des politiques publiques.

La reconnaissance des capabilités se décline dans tous les domaines. Il s’agit, par exemple, d’adapter l’urbanisme pour que les personnes âgées puissent se déplacer sans difficultés, ou encore de leur redonner tout leur rôle dans la cellule familiale. 

PROPOSITION 5 : NUMÉRIQUE 

Ne plus opposer systématiquement personnes âgées et numérique.

Reconnaître les capabilités des personnes fragiles vieillissantes passe aussi par un accompagnement pour dépasser la fracture numérique. 

Nous recommandons ainsi d’une part qu’une alternative à la démarche en ligne soit maintenue pour toute démarche administrative ; et d’autre part, de rendre le numérique attractif pour ces publics, en évaluant finement leurs besoins, leurs attentes, leurs sources d’intérêt et leurs freins.

PROPOSITION 6 : CITOYENNETÉ ET GOUVERNANCE 

Considérer l’expression, la participation et l’écoute des personnes en situation de fragilité comme un vecteur de reconnaissance de la pleine citoyenneté.

Une reconnaissance de la citoyenneté de la personne en situation de fragilité passe en premier lieu par l’exercice de leurs droits jusqu’au bout de leur parcours de vie, par leur participation active aux différentes instances au sein d’une collectivité territoriale (ville, intercommunalité, département, région, national…) ou d’un établissement de santé par exemple.

Nous appelons tous les acteurs de la Silver économie à s’engager à respecter le libre choix des personnes fragiles et à n’œuvrer qu’avec leur accord. 

PROPOSITION 7 : DOMICILE VERSUS DOMICILIAIRE 

Passer d’une logique de lits ou de chambres à une logique d’habitat.

Nous souhaitons que toute personne avançant dans son parcours de vie puisse se sentir « chez elle » das les structures qui l'accueillent. Il s’agit de passer d’une logique hôtelière (notion de lits / chambres) à une logique d’habitat, de passer d’une logique organisationnelle commerciale à une logique de respect individuel, en prenant en compte les attentes, au-delà des besoins. Ceci a donc un impact sur la conception des architectures, des organisations, des rythmes pour que chaque personne se sente « chez elle ». 

PROPOSITION 8 : PRÉVENTION VERSUS COMPENSATION 

Intégrer la prévention tout au long des parcours de vie dans les politiques de santé pour assurer une longévité en bonne santé à notre société.

Dans le cadre de cette société de la longévité, il nous apparaît essentiel  de sensibiliser à la prévention dès le plus jeune âge. Le bien vieillir ne se décrète pas, il se prépare. Prévention à l’école, prévention en médecine, prévention en entreprise, prévention en famille, prévention dans l’habitat… autant de politiques publiques qui sont touchées par cet enjeu majeur.

PROPOSITION 9 : AIDANT/AIDÉ : UNE POLITIQUE GLOBALE ET DES FINANCEMENTS ADAPTÉS 

Mieux reconnaître la place et la valeur de l’aidant dans les politiques publiques

La place des aidants est fondamentale dans la prise en compte de l’accompagnement de la fragilité. Quand cette reconnaissance n’est pas accordée, l’aidant peut devenir une nouvelle personne fragile. Reconnaître l’aidant est un signal fort pour notre société si l’on veut porter des valeurs de cohésion et d’humanité, qu’il soit aidant en activité professionnelle ou aidant à la retraite. Cela passera par des actions d’écoute, de formation, de répit, d’actions d’entreprises en faveur du maintien dans l’emploi, de financement d’actions de prévention.

PROPOSITION 10 : ENCADREMENT ADAPTÉ

Renforcer le taux d’encadrement à domicile et en établissement.

L’accompagnement professionnel des personnes vulnérables exige un taux d’encadrement adapté, aussi bien à domicile qu’en établissement. Pouvoir renforcer l’autonomie des personnes fragiles, développer l’écoute active, accompagner de manière personnalisée, cela demande du temps et ce temps est incompressible. Il est urgent de renforcer durablement les taux d’encadrement à l’instar des ratios de nos voisins européens ou du secteur du handicap.

Nous proposons également, dans ce cadre, de développer l’offre d’accompagnement social des aidants et de leurs proches malades, à travers des activités bénévoles complémentaires de celles des professionnels :

  • Faciliter les démarches des aidants et leur accès à l’information en créant des structures d’accueil conviviales de proximité ;

  • Inventer de nouvelles formes d’accompagnement solidaire des personnes âgées, en mobilisant des bénévoles.

PROPOSITION 11 : CAPABILITÉS ET BÉNÉVOLAT 

Promouvoir l’engagement comme réponse à l’isolement social et comme vecteur de valorisation des capabilités des personnes âgées

Aujourd’hui, en France, 1,5 million de personnes âgées sont en situation d’isolement relationnel, soit 1 personne âgée sur 4. L’isolement, qui crée un risque important de perte d’autonomie et de dégradation de l’estime de soi, est devenu un nouveau risque social, un enjeu de santé publique et de cohésion sociale.

Le bénévolat est donc un levier majeur de valorisation et d’utilité sociale à promouvoir dans notre modèle de société. Penser sa place et son rôle dans les politiques publiques devient un incontournable si l’on veut pouvoir toucher le plus grand nombre à des fins d’intérêt collectif. Au sein de l'association, près de 3 000 bénévoles sont engagés dans des actions de proximité qui touchent plus de 13 000 personnes âgées isolées. Nous considérons aussi que les entreprises ont un rôle à jouer dans la préparation de leurs salariés à la retraite, ainsi que la formation, et bien sûr, le bénévolat des séniors.

PROPOSITION 12 : AUTONOMIE ET ECONOMIE 

Renforcer la formation, l’attractivité et l’accompagnement des professionnels dans les métiers dits du « grand âge »

La société de la longévité modifie considérablement la façon dont nous devons organiser notre société. Il s’agit d’une véritable opportunité de capital humain et d’emplois non délocalisables. Nous proposons donc de revaloriser la reconnaissance des métiers dits du « grand âge » : revalorisation salariale, facilité de reconversion, développement de son attractivité… 

PROPOSITION 13 : AUTONOMIE ET MOBILITÉS

Favoriser les actions de mobilité alternatives permettant aux personnes âgées isolées de bénéficier de services de proximité afin de leur permettre de sortir de leur isolement

Les personnes en perte d’autonomie voient leurs relations sociales s’éroder car les  transports communs sont souvent non adaptés, conduire leur voiture leur est difficile… Les dispositifs Croix-Rouge sur Roues et notre Programme Mobilités permettent de venir à la rencontre des personnes isolées et leur permettent de conserver un lien social et des échanges réguliers.

PROPOSITION 14 : LE DÉNI DE LA FINITUDE

Replacer le sujet de la mort comme un élément du parcours de vie

Nous pensons que la société nie de plus en plus la place de la mort. Or il est important de pouvoir replacer le sujet de la mort comme un élément du parcours de vie. Cela, au même titre que le bien vieillir, se prépare pour soi-même et pour son environnement. Un travail de communication et d’action doit pouvoir être mené en la matière.

Nous souhaitons renforcer la formation des professionnels aux soins palliatifs pour un accompagnement de qualité des personnes en fin de vie, et inclure les aidants dans cet accompagnement. 

Sources:

Projections démographiques pour la France, ses régions et ses départements à l’horizon 2030 

  1. insee statistiques

  2. insee statistiques

  3. insee statistiques