Lors de leur point presse du dimanche 19 avril, Edouard Philippe et Olivier Véran ont annoncé le rétablissement, dans les jours à venir, d’un droit de visite pour les familles des résidents des Ehpad. Cette intervention s’appuyait sur le rapport de Jérôme Guedj, remis la veille, et pour lequel la Croix-Rouge française a été sollicitée. Une décision qui a bien évidemment un impact sur les établissements que nous gérons, comme nous l’explique Johan Girard, délégué national de la filière « Personnes âgées et domicile » à la Croix-Rouge française.

Interview de Johan Girard, délégué national de la filière « Personnes âgées et domicile » à la Croix-Rouge française

Pourquoi était-il vital de stopper, voire d’interdire, ces visites jusqu’à présent ?

Effectivement, le Gouvernement et le ministère de la Santé ont émis un avis de confinement assez tôt pour l’ensemble des résidents des Ehpad et des résidences-autonomie. Cette décision était relative à leur fragilité. En effet, nous savons tous que le Covid-19 peut avoir un impact très délétère, voire mortel, pour les personnes en situation de fragilité. L’âge n’est pas nécessairement le seul critère, c’est d’ailleurs un aspect que la Croix-Rouge souligne, mais peut néanmoins aggraver le risque pour les personnes atteintes. Par conséquent, le fait de les confiner de manière stricte permettait de limiter la propagation du virus dans les premières phases de l’épidémie

Dans quelle mesure ces impératifs liés à la sécurité des résidents pouvaient-ils, à la longue, avoir des effets négatifs sur leur santé ?

Cette question relève de la problématique entre le bénéfice et le risque. Le risque évident de prime abord est la contamination au Covid-19. Il a donc fallu prendre des décisions rapides relatives au confinement. Cependant, de nouveaux risques sont apparus et nous les avons très vite anticipés. Un de ces risques est celui de l’isolement social et familial. En effet, il s’agit souvent de personnes qui sont, à juste titre, très liées à leur entourage. Le fait de ne plus pouvoir avoir de contacts directs avec les personnes qui leur sont chères s’est avéré, dans de nombreux cas, très problématique. S’est ajouté à cela un risque complémentaire que l’on peut appeler "syndrome de glissement" -  nommé plus communément un désinvestissement -, c’est-à-dire lorsque la personne ne perçoit plus de sens à sa vie et se laisse glisser progressivement. Cela pouvant parfois malheureusement aller jusqu’au décès. Le second risque était la rupture dans la continuité de certains soins. En effet, même les kinésithérapeutes, sauf en cas de besoin vital, n’avaient plus accès aux Ehpad. Il a donc fallu mesurer ces risques liés à la situation et le Gouvernement s’est prononcé hier à ce sujet pour rouvrir les Ehpad selon une organisation rigoureuse d’application des mesures barrières et impliquant les familles dans leur bon respect.

Comment va-t-on s’organiser pour que cela puisse se faire dans les meilleures conditions pour tous ?

Dès l’annonce du Premier ministre et du ministre de la Santé ce week-end, j’ai immédiatement fédéré un certain nombre d’acteurs de la Croix-Rouge pour que l’on puisse préparer, dès ce lundi, un ensemble de notes organisationnelles, de procédures et une charte à destination des familles, mais aussi une communication visant l’ensemble des parties prenantes. Il me semblait, en effet, très important que les familles coupées de leurs proches depuis plus d’un mois, puissent être informées rapidement, au vu des annonces qui venaient d’être faites. Nous avons donc envoyé à l’ensemble des directeurs d’établissements plusieurs documents : un courrier à destination des familles pour donner le sens et les modalités d’organisation des visites ; une charte de bonnes pratiques, notamment sur l’engagement des familles à respecter un cadre rigoureux, parce que l’ouverture ne signifie pas le déconfinement. En effet, l’ouverture, cela veut dire lutter contre l’isolement, tout en continuant à se battre contre le Covid-19, avec toutes les mesures de sécurité que cela implique au niveau organisationnel et matériel, notamment en ce qui concerne les équipements de protection individuelle (EPI) et les mesures de distanciation physique indispensables. Il a également été demandé d’informer les mairies de chacune de nos communes d’implantation.

En quoi cette nouvelle mesure répond à une vision Croix-Rouge du grand âge qui implique de pouvoir maintenir au maximum le lien social ?

Nous sommes convaincus à la Croix-Rouge française - ce qui a été souligné dans notre « Plaidoyer pour une société de la longévité », remis en septembre 2019 à la ministre de la Santé -, de l’importance des enjeux liés à un accompagnement de qualité du grand âge. Notre vision est très claire. Le soin est prépondérant, on le voit d’ailleurs dans la période actuelle. Cependant, nous affirmons que les enjeux liés au lien social sont tout aussi importants. L’équilibre et l’approche synergique de ces deux aspects est incontournable. On ne peut pas concevoir une qualité de vie et une qualité de fin de vie uniquement sous l’angle du soin. Passer d’une logique du « cure » au « take care », c’est-à-dire prendre soin de la personne dans sa globalité est un élément incontournable si l’on veut avoir une vision humaniste de l’accompagnement des seniors dans notre société.

Propos recueillis par Benjamin Lagrange

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