Un défi de taille posé au droit international humanitaire
Publié le 30 novembre 2021
Le 8 janvier 1961, il y a maintenant plus de 60 ans, le Général de Gaulle soumettait à référendum la question suivante: « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant l’autodétermination des populations algériennes et l’organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l’autodétermination ? »
Le 3 juillet 1962, l’Algérie devient indépendante après huit années de conflit marquées par le tragique enchaînement des attentats provoquant la répression, suivie de nouveaux attentats entraînant une répression de plus en plus dure avec pour résultat toujours plus de victimes dans les deux camps.
Pour se rappeler ces huit années de conflit, L’Humanitaire dans tous ses états a consacré un article au travail du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pendant la guerre d’Algérie. C’est dans ce même esprit que le pôle droit international humanitaire de la Croix-Rouge française vous propose aujourd’hui un papier consacré à ce conflit dans lequel seront évoqués les problématiques qui se sont posées à cette époque en droit international humanitaire, les actions menées par le CICR ainsi que les développements actuels.
L'adoption des Conventions de Genève
En 1949, quelques années avant le début du conflit franco-algérien, sont adoptées les quatre Conventions de Genève : la première concerne l'amélioration de la condition des blessés et malades des forces armées sur le champ de bataille ; la deuxième protège les militaires blessés, malades ou naufragés en mer en temps de guerre ; la troisième s’applique aux prisonniers de guerre et la quatrième protège les civils, notamment en territoire occupé.
Les Conventions de Genève comportent un article 3 commun aux quatre conventions qui représente une avancée capitale dans la mesure où il couvre, pour la première fois, les situations de conflits armés non internationaux. Ces types de conflits sont très variés : ils comprennent notamment les guerres civiles traditionnelles, les conflits armés internes qui s'étendent à d'autres États et les conflits internes durant lesquels un État tiers ou une force multinationale intervient aux côtés du gouvernement.
L'article 3 commun établit des règles fondamentales qui n'acceptent aucune dérogation. Il s'apparente à une mini-Convention au sein des traités, car il contient les règles essentielles des Conventions de Genève sous forme condensée et les rend applicables aux conflits ne présentant pas un caractère international :
L'article 3 exige que toutes les personnes se trouvant aux mains de l'ennemi soient traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable. Il interdit plus particulièrement le meurtre, les mutilations, la torture, les traitements cruels, humiliants et dégradants, les prises d'otages et les procès inéquitables.
Il établit que les blessés, les malades et les naufragés doivent être recueillis et soignés.
Il octroie au CICR le droit d'offrir ses services aux parties au conflit.
Il appelle les parties au conflit à mettre en vigueur, par voie d'accords dits spéciaux, tout ou partie des Conventions de Genève.
Il reconnaît que l'application de ces dispositions n'aura pas d'effet sur le statut juridique des parties au conflit.
Si la France adhère aux Conventions de Genève en 1951, elle ne reconnaît pas leur applicabilité au conflit algérien, en considérant que le conflit algérien est un conflit non international. Il faudra néanmoins attendre le 23 juin 1956 pour que, à travers la voix de Guy Mollet, alors président du Conseil, le gouvernement français reconnaisse officiellement l’applicabilité de l’article 3 commun au conflit algérien.
L’action du CICR
Si les démarches répétées du CICR conduisent à de nombreuses améliorations des conditions de détention et, en particulier, à l’établissement d’un statut particulier et de camps d’internement militaire pour les combattants pris les armes à la main, en revanche, ses démarches ne permettent pas de mettre un terme à la pratique de la torture lors des interrogatoires de prisonniers.
Dans le cadre du conflit algérien, les visites aux détenus constituent l’élément essentiel de l’action du CICR et elles s’effectueront toutes selon le même processus: les délégués commencent par prendre contact avec les autorités françaises locales pour établir la liste des lieux à visiter et les modalités de leurs déplacements qu’ils effectueront avec un officier de liaison. Arrivés dans le lieu de détention – camp d’internement ou prison – les délégués s’entretiennent avec le commandant, puis ils visitent les installations (dortoirs ou cellules, cuisines, sanitaires, cachots, etc.) et s’entretiennent sans témoin avec les détenus de leur choix.
Cet entretien est le point crucial de la visite car c’est le plus souvent à ce moment-là que les délégués peuvent constater l’existence d’éventuels mauvais traitements; un délégué médecin participe d’ailleurs systématiquement à ces entretiens afin de vérifier l’état de santé des détenus et, le cas échéant, l’exactitude des allégations de sévices subis. A l’issue de la visite, les délégués ont un entretien final avec le commandant; ils lui font part de leurs constatations et, le cas échéant, lui proposent certaines améliorations.
La visite terminée, les délégués font généralement parvenir des secours aux détenus et ils établissent un rapport relatant de manière précise et détaillée les constatations qu’ils ont faites ainsi que les mesures qu’ils recommandent aux autorités d’adopter pour améliorer le sort des captifs. Ils envoient ce rapport au siège du CICR à Genève, qui le transmet aux autorités françaises à Paris, avec une lettre de couverture dans laquelle il attire l’attention du gouvernement sur les améliorations qu’il conviendrait d’apporter au régime de détention et, le cas échéant, sur les cas de mauvais traitements constatés par ses délégués.
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Et aujourd’hui ?
Le 20 janvier dernier, Benjamin Stora, spécialiste reconnu de l’histoire contemporaine de l’Algérie a remis à Emmanuel Macron un rapport visant à « dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie ».
Le rapport de Benjamin Stora se compose donc d’une vingtaine de propositions, parmi lesquelles la création d’une commission Mémoire et Vérité « chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires » ; le lancement de travaux sur les essais nucléaires français dans le Sahara et leurs conséquences, ainsi que celles de la pose de mines antipersonnel durant la guerre ; la facilitation de l’accès aux archives dans les deux pays ; l’érection de « lieux de mémoire » sur quatre camps d’internement d’Algériens en France ou encore la publication d’un « guide des disparus » algériens et européens pendant le conflit.
En effet, malgré les nombreux efforts entrepris tant par le CICR que par la Croix-Rouge française, de nombreuses personnes ont été portées disparues et certaines n’ont d’ailleurs jamais été retrouvées. Les rapports d’activité du CICR de 1962 et 1963 soulignent sur ce point que s’il entreprit de nombreuses démarches pour retrouver la trace de personnes disparues, celles-ci demeurèrent trop souvent vaines.
C’est aussi le constat que fait le service de rétablissement des liens familiaux (RLF) de la Croix-Rouge française en précisant que les proches des harkis et des rapatriés firent des recherches intensives jusqu’en 1964, et bien plus tard encore mais que ces démarches se compliquèrent encore davantage avec le départ de l’armée française et de la Croix-Rouge française suite à la création du Croissant-Rouge algérien.
Si près de 60 ans se sont écoulés depuis la fin du conflit, de nombreuses questions demeurent ainsi en suspens telles que le nombre de disparus, le nombre de morts et de blessés causés par les mines posées par la France pendant la guerre, le nombre d’Algériens qui ont été exposés aux radiations lors des essais nucléaires ou encore le nombre de celles et ceux qui le sont toujours du fait des déchets radioactifs laissés sur place.
À cet égard, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) entré en vigueur le 22 janvier dernier pourrait faire évoluer les choses. Si l’Algérie, qui a été parmi les premiers pays à avoir signé ce traité, le ratifie effectivement, elle sera dans l’obligation de porter assistance aux personnes victimes d’utilisation ou d’essais d’armes nucléaires ainsi que de prendre toutes mesures nécessaires et appropriées en vue de la remise en état de l’environnement des zones contaminées par le nucléaire. Le gouvernement algérien pourrait ainsi se retourner vers la France dans la mesure où l’Etat français a réalisé de nombreux essais nucléaires dans le Sahara algérien entre 1960 et 1966.
Comme le souligne une étude récente d’ICAN France, si les plus gros accidents, tels que celui de Béryl à In Ecker, le 1er mai 1962, sont connus, de nombreuses zones d’ombre perdurent notamment en ce qui concerne les conséquences sanitaires et environnementales de l’enfouissement des déchets nucléaires qui résultent de ces essais.
« Le traité TIAN va permettre d’ouvrir la voie à une meilleure collaboration entre la France et l’Algérie. Alger va être contrainte de nettoyer ces sites et de s’occuper des populations concernées. Paris peut et doit aider », estiment Jean-Marie Collin et Patrice Bouveret.
Si le sujet vous intéressenous vous invitons à écouter ce podcast de France culture