Usage des armes dans l’espace : les conséquences humanitaires et juridiques pour les terriens
Publié le 30 août 2021
Des objets spatiaux sont déjà utilisés à des fins militaires dans l'espace, cependant, on constate une augmentation de la militarisation et des hostilités avec des conséquences importantes pour nous, les terriens !
L’utilisation d’armes dans l’espace, que ce soit par des moyens cinétiques ou non cinétiques, en utilisant des systèmes d’armes spatiaux et/ou terrestres, pourrait avoir des effets importants sur les civils sur terre.
Conformément à sa mission humanitaire et à son mandat, la Croix-Rouge française avec le Mouvement International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge anticipent le droit applicable dans l’espace et les impacts humanitaires.
Dans ce contexte, le Comité international de la Croix-Rouge a soumis un document de positionnement au Secrétaire général des Nations Unies, pour apporter son expertise au débat sur les questions exposées dans la résolution 75/36 de l'Assemblée générale . Les réflexions en cours soulèvent plusieurs préoccupations.
Les conséquences humanitaires de l'utilisation des armes dans l'espace
Les infrastructures civiles essentielles et nécessaires aux soins de santé, aux transports, aux communications, à l’énergie et au commerce dépendent de plus en plus des systèmes spatiaux.
Ces systèmes spatiaux sont souvent « à double usage », c’est-à-dire qu’ils remplissent des fonctions à la fois militaires et civiles. Par exemple, les systèmes mondiaux de navigation par satellite (par ex. GPS, Beidou, Galileo et GLONASS) jouent un rôle essentiel dans les systèmes de transport civil, tels que le contrôle du trafic aérien et la navigation maritime.
Elles sont également cruciales pour la synchronisation précise des infrastructures civiles critiques, telles que les réseaux de communication mondiaux, les systèmes bancaires, les marchés financiers et les réseaux électriques. Ces systèmes peuvent également être utilisés par les militaires, ce qui pourrait en faire des objectifs militaires dans des circonstances particulières. Désactiver ou endommager de tels satellites pourrait avoir des conséquences pour les civils sur terre.
Les objets spatiaux, en particulier la météo, les communications, la navigation et les satellites d’observation et d’imagerie de la Terre, apportent une contribution humanitaire dans l’évaluation des besoins, les secours d’urgence, la réduction des risques de catastrophes et de conflits. Les satellites de communication permettent au personnel médical et aux travailleurs humanitaires de communiquer en cas de catastrophe naturelle ou de conflit armé, lorsque les réseaux de téléphonie mobile et les services Internet peuvent être dysfonctionnels. Les satellites météorologiques fournissent des renseignements pour prévenir ou atténuer les répercussions des phénomènes météorologiques violents comme les ouragans. Les satellites de navigation peuvent soutenir la logistique et fournir un repérage en temps réel, précis et à faible coût au personnel humanitaire. La perturbation par des satellites, des services citées ci-dessus, engendre des nuisances, un ralentissement, voire l’impossibilité de mener des secours humanitaires.
Endommager ou détruire physiquement des objets spatiaux va générer une énorme quantité de débris. De plus, ces débris vont continuer à voyager dans l’espace. Compte tenu de la vitesse à laquelle ils se déplacent, ils pourraient endommager ou détruire de manière imprévisible d’autres objets spatiaux qui soutiennent les activités civiles essentielles à la sécurité et aux services civils sur terre. De tels risques augmentent en raison du lancement accru de nouveaux satellites, y compris des satellites commerciaux, au cours des dernières années. L’utilisation d’armes dans l’espace pourrait multiplier ces risques de façon exponentielle !
Les limites posées par le droit international dans l’espace pour nous protéger
Tout d’abord, il y a déjà des limites d'une telle utilisation en vertu du droit international, notamment le Traité sur l'espace extra-atmosphérique, la Charte des Nations Unies et le droit international humanitaire, y compris les interdictions et limitations de l'utilisation des certaines armes, moyens et méthodes de guerre.
Le Traité sur les principes régissant les activités des États dans l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et d’autres corps célestes (1967), adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2222 (XXI) du 19 décembre 1966, reconnaît l’intérêt commun de toute l’humanité dans le progrès de l’exploration et de l’utilisation de l’espace à des fins pacifiques.
Son article IV interdit le placement en orbite d’objets transportant des armes nucléaires ou d’autres armes de destruction massive, l’installation de ces armes sur des corps célestes et le stationnement de ces armes dans l’espace extra-atmosphérique de toute autre manière. Le traité interdit également l’établissement de bases militaires, d’installations et de fortifications, l’essai de tout type d’armes et la conduite de manœuvres militaires sur des corps célestes, et exige que la lune et les autres corps célestes soient utilisés exclusivement à des fins pacifiques.
La Charte des Nations Unies codifie les grands principes des relations internationales, depuis l'égalité souveraine des États jusqu'à l'interdiction d'employer la force dans ces relations, sauf dans les cas autorisés par le Conseil de sécurité des Nations Unies en vertu du chapitre VII et en cas de légitime défense en vertu de l’article 51. La Charte des Nations Unies charge également les États membres de régler leurs différends internationaux par des moyens pacifiques.
En droit international humanitaire, l’ensemble des principes liées à la conduite des hostilités doivent s’appliquer aux opérations cinétiques contre des objets spatiaux, mais aussi aux opérations non cinétiques qui désactiveraient des objets spatiaux sans nécessairement les endommager physiquement. Lors de l’évaluation de la légalité de telles attaques, tous les dommages directs et indirects prévisibles ou les dommages aux objets civils doivent être pris en compte, y compris lors du ciblage d’un objet spatial à double usage. Le risque de créer des débris et ses effets indirects. Le DIH interdit également les armes qui sont de nature à causer des blessures superflues ou des souffrances inutiles et qui sont indiscriminées par nature, ainsi qu’un certain nombre de types d’armes spécifiques.
La Cour internationale de justice a rappelé que les principes et règles établis du DIH applicables dans les conflits armés s’appliquent « à toutes les formes de guerre et à toutes les armes, celles du passé, celles du présent et celles de l’avenir »*. À cet égard, les États parties au Protocole additionnel I de 1977 sont tenus de vérifier la légalité de toute nouvelle arme*, moyen ou méthode de guerre spatiale qu’ils décident de développer ou d’acquérir des armes cinétiques ou non, spatiales ou terrestres – pour s’assurer que son emploi est conforme au DIH et aux autres règles pertinentes du droit international, y compris le Traité sur l’espace. Tous les États ont intérêt à le faire pour s’assurer que leurs forces armées sont capables de mener des hostilités conformément à leurs obligations internationales.
Les États sont donc invités à examiner dès maintenant les conclusions et les recommandations pour débattre et faire reconnaître que :
Les conséquences humanitaires de l’usage d'armes dans l'espace extra-atmosphérique sur les civils sur terre;
La protection offerte par les règles du DIH qui restreignent le choix des moyens et méthodes de guerre par les belligérants, y compris dans l'espace extra-atmosphérique;
L’applicabilité du DIH ne légitime pas la militarisation ou les hostilités dans l'espace extra-atmosphérique et n'encourage pas, ni ne justifie en aucune manière le recours à la force dans l'espace extra-atmosphérique.
* Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226
* Application de l'article 36 du Protocole additionnel I (1977) aux Conventions de Genève de 1949.