Tiers digne de confiance : prioriser le placement d’enfant auprès d'un proche
Publié le 18 novembre 2025
Sur la petite place du lycée Thiers, à Marseille, un café solidaire* a pris racine. C’est ici, dans cet espace associatif de “ressourcerie parentale”, que nos travailleuses sociales ont donné rendez-vous aux tiers dignes de confiance qu’elles accompagnent. Nous sommes début septembre et plus de trois ans ont passé depuis la loi du 7 février 2022, dite loi Taquet. En matière de protection de l’enfance, celle-ci fait date en donnant notamment la priorité au placement d’enfant auprès d'un tiers digne de confiance avant tout placement institutionnel. Par tiers digne de confiance, comprenez une personne de l’entourage proche d’un enfant en danger et volontaire pour l’accueillir. Grands-parents, oncle, tante, ami de la famille, grande sœur, cousin, voisin, professeure de cirque ou ancien éducateur spécialisé… Toutes ces personnes vont, sur un temps plus ou moins long, s’occuper du quotidien d’un ou plusieurs enfants dont les parents ne peuvent en assumer la responsabilité.
Si ce statut n’est pas nouveau (8 % des mineurs en danger placés le sont chez un tiers digne de confiance**), tous les départements de France doivent à présent accompagner ces personnes, les suivre et les épauler. C’est dans ce contexte que nous avons ouvert notre tout premier service d’accompagnement des tiers dignes de confiance, à Marseille, il y a près d’un an. Un service pionnier dans les Bouches-du-Rhône. Ici, juristes, éducatrices spécialisées, éducatrices de jeunes enfants et psychologue accompagnent des centaines de familles sur le chemin parfois sinueux de l’éducation, des démarches administratives et juridiques. “L’idée, c’est de permettre au tiers digne de confiance de se saisir de son statut, de ce qu’il implique à la fois vis-à-vis de l’enfant et des parents”, explique Quentin Lerebour, directeur adjoint du service. Tous ont pour boussole l'intérêt supérieur de l’enfant. “L’objectif, c’est que l’enfant puisse grandir dans des conditions les plus favorables possibles à son développement - intellectuel, social, moral -, que sa sécurité physique soit assurée, qu’il soit nourri, vêtu correctement et puisse évoluer avec un rythme et dans un environnement adaptés”, détaille-t-il.
Des grands-mères comme ancrage
Le rythme, c’est elles qui le donnent. Ce vendredi 5 septembre, cinq femmes accompagnées par nos salariés se sont donc retrouvées autour d’un café pour un atelier de parole, joliment appelé “Parenthé”. Des moments informels imaginés par notre équipe pour se rencontrer, se questionner, se livrer, ou juste écouter. “C’est le TDC qui gère toute la vie quotidienne de l’enfant : la santé, la scolarité, les activités, l’administratif… Parfois, il se retrouve avec des fratries entières, des bébés... Ça peut être une grosse charge et il peut avoir besoin de soutien”, indique Marine Carvin, coordinatrice juridique. “A l’époque, on ne nous disait rien sur nos droits, c’était la surprise du chef !” s’exclame Marcelle, l’une des femmes participant à l’atelier. “Je sais bien que tout le monde a beaucoup de travail, mais quand on est dans notre situation, on a envie d’être le seul dossier à traiter. Maintenant avec ce service, j’espère que ça va aller.”
Ces ateliers - organisés en parallèle du suivi quotidien des familles - abordent autant les histoires personnelles de chacune que les aspects pratico-pratiques de leur statut : comment prendre des décisions en l’absence de l’autorité parentale ? Les enfants ont-ils droit à un avocat gratuitement ? “Ces moments sont faits pour que les tiers dignes de confiance se rencontrent, qu’ils et elles échangent leurs bonnes pratiques, leurs expériences et problématiques. C'est très rare d’être TDC, alors échanger entre eux, ça les soulage”, abonde Alice Collomb, éducatrice de jeunes enfants.
Autour de la table ce jour, l’échantillon est caractéristique : ce sont des grands-mères - sur-représentées chez les TDC - qui accueillent leurs petits-enfants. Ces femmes sont des phares, des ancrages au beau milieu de situations familiales complexes et souvent douloureuses. Marcelle, la soixante-dizaine et le brushing impeccable, garde ses deux petits-enfants depuis 2009. “C’est beaucoup de bonheur et beaucoup de galères, confie-t-elle. C’est un chemin de croix, parce que quand une maman abandonne ses enfants, on ne peut pas imaginer la souffrance que c’est pour eux. La seule chose qui nous tient, c’est l’amour”. Et lance aux autres femmes assises près d’elle : “Est-ce que vous avez culpabilisé, vous, de vous substituer à vos propres enfants pour s’occuper des leurs ?” Amina répond du tac au tac : “Non, car ma fille a des problèmes de santé, elle est malade.” Une autre renchérit : “La mienne a fait une grosse dépression, ça a été une évidence pour moi d’avoir mes petits-enfants.”
“Je suis fière de moi”
Les histoires familiales divergent, mais les grands-mères, elles, ont toutes été au rendez-vous pour leurs petits-enfants, quel que soit le contexte et malgré les difficultés financières, l’intensité d’un quotidien bouleversé par l’arrivée d’un bébé, d’un ado, d’une fratrie ou encore d’un enfant en situation de handicap. Pour Marcelle, la solidarité familiale s’est mise en place il y a plus de 15 ans, dans l’adversité. “On a un double rôle, celui de mamie et de parent. On les porte à bout de bras nos petits-enfants. C'est fort tout ce qu’on leur donne, c’est nous qui les aidons à pousser droit”, livre-t-elle. Ce statut de tiers digne de confiance lui a aussi permis de voir la famille autrement : “Il ne faut pas forcément un papa et une maman pour grandir, il faut une personne qui les aime.”
Si les difficultés existent et sont parfois d’une brutalité rare, la joie est un sentiment mis spontanément sur la table. Toutes sont fières d’elles, de ce qu’elles ont accompli par amour. “C’est que du bonheur d’accueillir ma petite-fille. Elle aura 9 ans au mois de mai, je suis reconnaissante de ce que je fais pour nous”, témoigne Zainaba. “Je suis fière de moi”, abonde une autre. Mokhtaria, qui accueille les enfants respectifs de ses deux fils - trois petits au total - concède que tout n’a pas toujours été facile, mais résume sereine : “On est bien avec eux, ils sont bien éduqués et ils ne manquent de rien. Heureusement, on est là. Courage à nous, force à nous”.
* Le café Meinado , concept associatif de ressourcerie parentale, Marseille
** Chiffre Justice des mineurs, rapport enfance en danger 2017