La situation est plus inquiétante que jamais
Publié le 12 février 2010
QUEL BILAN PEUT-ON TIRER, UN MOIS APRÈS LE SÉISME ?
Je dirais que la situation est plus inquiétante que jamais et la gravité de cette catastrophe se confirme chaque jour. Notre mobilisation, le déploiement d’hommes et de matériel, ont été inédits, à la fois rapides, massifs et efficaces, et ce, dès les premières heures qui ont suivi le séisme. On a su répondre très vite et de manière coordonnée à la situation de première urgence avec les autres sociétés Croix-Rouge et Croissant-Rouge présentes antérieurement ou déployées à l’occasion. En dépit de cette mobilisation incroyable, on prend chaque jour la mesure de cette catastrophe et d’une autre catastrophe à venir, à l’approche de la saison des pluies. Si l’on n’est plus dans l’urgence médicale, qui vise à sauver des vies, nous sommes désormais face à une nouvelle urgence humanitaire : l’urgence de protéger la population et de prévenir un drame supplémentaire qui s’annonce. La situation à Port-au-Prince est particulièrement inquiétante. Ce sont des centaines de milliers de personnes – on parle même d’un million de personnes – qu’il va falloir prendre en charge ; des personnes qui vivent dehors, sous des tentes ou des abris de fortune ; des personnes qui dorment et qui se font soigner dehors…
LES HUMANITAIRES ONT-ILS LES MOYENS DE PRÉVENIR UNE SECONDE CATASTROPHE EN SI PEU DE TEMPS ?
Je ne le pense pas. Il est évident que tout le monde ne sera pas à l’abri d’ici le mois d’avril. Les conditions de vie vont nettement se dégrader pour un grand nombre de personnes, sans parler des risques d’épidémies. La population à reloger est trop importante et nous sommes face à une pénurie de moyens, de tentes en particulier. Il en faut des milliers ! Idéalement, il faudrait faire sortir la population de Port-au-Prince pour pouvoir y installer des camps décents. Rien que pour identifier les personnes et les sites sur lesquels installer ces lieux de vie, effectuer les travaux nécessaires - niveler le sol, mettre en place les systèmes d’approvisionnement et d’évacuation d’eau, poser des latrines, installer des socles sous les tentes pour les stabiliser et permettre l’évacuation des eaux de pluie - cela prendra des semaines ! Pour relever ce défi, une grande coordination sera indispensable entre les autorités du pays, les Nations unies et tous les acteurs humanitaires présents.
EST-CE LA RAISON POUR LAQUELLE LA CROIX-ROUGE FRANÇAISE RENOUVELLE AUJOURD’HUI SON APPEL À DONS ?
C’est la raison principale, certes, mais associée au fait que la générosité n’a pas été à la hauteur des besoins du pays. Les 12 millions d’euros que nous avons récoltés à ce jour nous permettront tout juste de mener nos programmes pendant 18 mois. Or, face à l’immensité de la tâche et l’ampleur des difficultés qui sont devant nous, il est clair que nous avons encore besoin, plus que jamais besoin, de faire appel à la générosité des Français. Tous les observateurs considèrent qu’il faudra une dizaine d’années pour reconstruire Port-au-Prince. La Croix-Rouge française envisage pour sa part de rester engagée en Haïti pour au moins trois ans. Bien sûr, il s’agit juste d’une estimation au regard des missions que nous allons mener à court et moyen terme pour redonner des conditions de vie décentes à la population haïtienne, lui prodiguer des soins quotidiens ou mettre en place une structure de soins de suite et de réadaptation pour les personnes amputées, par exemple. L’enjeu pour nous est de continuer à sensibiliser le grand public et nos partenaires sur cette action dans la durée.
LA CROIX-ROUGE FRANÇAISE FAIT TOUT DE MÊME PARTIE DES ASSOCIATIONS FRANÇAISES À AVOIR REÇU LE PLUS DE DONS POUR CETTE CATASTROPHE…
C’est juste, et nous tenons évidemment à remercier tous nos donateurs qui se sont mobilisés durant les deux premières semaines qui ont suivi le séisme. Nous avons eu environ 120 000 donateurs. Or, il faut savoir que 500 000 personnes donnent chaque année à notre association. Les donateurs réguliers en France, toutes associations confondues, représentent, quant à eux, 6 à 7 millions de personnes ! La part de la population ayant donné pour Haïti est donc faible. Cela s’explique probablement par le fait que la médiatisation a été bien moins importante, ces derniers temps, mais aussi, indéniablement, par l’effet de la crise économique que nous traversons actuellement. On peut peut-être y voir - et nous y sommes naturellement sensibilisés à la Croix-Rouge française – un signal fort de la misère sociale dans notre pays.
VOUS ÉTIEZ SUR PLACE FIN JANVIER, QUEL EST VOTRE SENTIMENT PERSONNEL SUR LA SITUATION DE PORT-AU-PRINCE ?
En arrivant dans la capitale, plus encore que les dégâts matériels, c’est la pauvreté extrême qui m’a frappé et même bouleversé. Cette catastrophe s’ajoute à une situation de très grand dénuement qui préexistait au séisme. Notre dispensaire basé à Pétion ville offre aujourd’hui des soins à des personnes qui n’y avaient pas accès auparavant. J’espère que nos actions dans la durée vont permettre à ce pays de se relever et à la population haïtienne de vivre dans des conditions plus dignes qu’avant ce séisme.