Interview de David Annequin, coordinateur adjoint de l’opération Ebola
Publié le 5 février 2015
Après une baisse très nette des cas contaminés depuis le 20 décembre 2014, l’épidémie d’Ebola enregistre une recrudescence en Guinée. Comment faire face à ces vagues cycliques ?
Nous avons observé à partir de fin décembre une baisse réelle de nouveaux cas dans nos zones d’intervention et de manière plus générale dans les trois pays affectés que sont la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone. Mais depuis fin janvier l’épidémie est repartie à la hausse, notamment à Conakry et ses préfectures environnantes – dont Forécariah où la CRf intervient – ainsi que dans la préfecture de Lola en Guinée forestière, soit dans la même région où travaillent nos équipes de Macenta. Le combat est donc loin d’être terminé. Le contrôle de l’épidémie n’est pas suffisant puisque 50 % des nouveaux cas confirmés ne sont pas des cas contacts pré-identifiés par les autorités sanitaires, ce qui signifie la persistance de chaînes cachées de transmission du virus. En outre, bien que l’épidémie ait baissé en intensité sur les zones fortement affectées initialement, elle se dissémine dans le même temps par petites poches sur le reste du territoire. Dans la mesure où un seul cas reste suffisant pour provoquer une nouvelle flambée, le niveau de vigilance doit rester maximal.
Comment expliquer cette baisse soudaine des cas contaminés ?
Tout d’abord il est fortement possible qu’une partie de cette baisse soit un trompe-l’œil qui s’explique par la persistance de cas cachés dans les communautés où les opérateurs humanitaires n’ont pas accès pour différentes raisons. Néanmoins nous pouvons souligner la forte mobilisation des autorités des trois pays d’Afrique de l’Ouest et des acteurs humanitaires impliqués dans la riposte. Le pilotage des gouvernements et des pouvoirs locaux a été performant et tous les acteurs – autorités, ONG, Nations unies – travaillent en bonne synergie. A travers l’ouverture de centres de traitement sur plusieurs points des territoires affectés, un plus grand nombre de lits a été mis à la disposition des personnes contaminées. Ensuite, les réticences de certaines populations locales se sont progressivement levées, quand elles se sont rendu compte que la réponse internationale se traduisait par des résultats positifs et concrets sur le terrain. Le renforcement de ce lien de confiance a permis d’obtenir un meilleur accès aux communautés locales qui ont changé leurs pratiques, notamment en s’intégrant dans le dispositif d’alerte ou en mettant fin à certaines pratiques exposantes dans l’accomplissement de leur rites funéraires traditionnels. Enfin, il faut souligner l’action déterminante des sociétés nationales Croix-Rouge dans chacun des trois pays où plus de 6 000 volontaires se sont mobilisés pour transporter les cas suspects, retrouver les personnes qui sont entrées en contact avec eux et garantir la sécurité sanitaire des obsèques.
Quelle est la priorité aujourd’hui ?
Tout d’abord, il faut maintenir le dispositif global de prise en charge et ne pas désarmer les CTE. Le taux de contamination a diminué mais l’évolution épidémiologique de ces deux dernières semaines montre que ce déclin n’a pas été durable. A plusieurs reprises nous avons pu penser que la propagation du virus ralentissait mais seulement pour resurgir plus tard. Il est fortement possible qu’une partie de cette baisse s’explique par la persistance de cas cachés non répertoriés. Des personnes peuvent encore avoir peur d’être prises en charge au sein d’un CTE, désirent enterrer leurs proches elles-mêmes, ou encore ne sont tout simplement pas en contact avec les autorités. C’est pourquoi la réponse ne peut pas se concentrer uniquement sur le traitement des malades. Les activités communautaires sont essentielles pour briser les chaînes de transmission du virus : intensifier la sensibilisation et la communication auprès des communautés locales, assurer la recherche active des cas, améliorer l’isolement des cas contacts, organiser des enterrements dignes et sécurisés, etc.
Action de sensibilisation auprès des communautés locales
Le CTE de Macenta, géré par la Croix-Rouge française, enregistre une nette baisse d’activité depuis fin décembre 2014. Est-il amené à fermer ses portes ?
Non, il serait dangereux de baisser la garde parce que le nombre de nouveaux cas diminue. Le travail sera terminé quand il n’y aura plus un seul cas dans le pays. Certains aspects du dispositif ont été allégés mais il est important de conserver notre capacité opérationnelle pour accueillir d’éventuels nouveaux patients. La situation épidémiologique demeure imprévisible. Il reste de grandes poches de réticences, notamment à Conakry et dans le secteur de Forécariah, où les acteurs humanitaires ont des difficultés d’accès. L’accent doit donc être mis sur la communication auprès des communautés pour l’adoption de comportements de bonnes pratiques qui vont faciliter le contrôle de l’épidémie.
Quelles sont les autres actions envisagées pour les semaines ou les mois à venir en Guinée forestière ?
Depuis début janvier, la Croix-Rouge française a repris en main la gestion directe du centre de transit de Forécariah, situé à 100 km de Conakry, d’une capacité de 15 lits. Une équipe de 10 expatriés est sur place pour appuyer la Croix-Rouge guinéenne et améliorer la prise en charge médicale des patients, dont les cas confirmés sont référés ensuite vers le CTE de Coyah (capacité de 50 lits). La CRF s’apprête également à ouvrir un nouveau centre de traitement à Kérouané, en Haute-Guinée, afin de compléter le maillage territorial voulu par les autorités nationales.
La Croix-Rouge française est déjà mobilisée pour alimenter la réflexion sur la sortie de crise et la phase post-Ebola. Des réunions importantes ont lieu dans chaque pays pour trouver ce qu'il est nécessaire de faire pour la reconstruction des systèmes de santé déjà vulnérables avant la crise et fortement impactés depuis. La Croix-Rouge française souhaite apporter son concours en Guinée pour bâtir un système de santé résilient et capable de résister à de futurs chocs.
Comment se déroule la coordination de toutes ces actions sur le terrain ?
Le gouvernement guinéen a créé une cellule chargée de coordonner la riposte avec tous les acteurs humanitaires et partenaires de la société civile : la coordination nationale de lutte contre Ebola. Au quotidien, tous les partenaires s’y retrouvent pour faire le point de la situation dans le pays. Le recueil des informations nous permet de faire une analyse de la situation, d’échanger avec les acteurs de terrain pour répondre de manière coordonnée aux besoins exprimés. La réponse à l’épidémie se fait d’une manière concertée avec une répartition des rôles bien définie.