Dans les rues étroites de Chartres, la voiture de la Croix-Rouge se faufile. Au volant, Lillian, bénévole de 19 ans, tente de se frayer un chemin entre passants et rues pavées. A ses côtés, Siham, 40 ans, et Ingrid, 46 ans, observent les rues à la recherche de personnes qui auraient besoin d’un peu de chaleur.

D’un pas rapide, une personne rattrape la voiture et tambourine sur la vitre. “Je ne veux pas dormir dehors, lâche-t-il désemparé. J’ai froid.” La voiture freine, se gare et Siham descend. Dans le coffre, des boissons chaudes, des soupes, du chocolat mais aussi des produits d’hygiène et des duvets. “Il faut m’aider”, continue-t-il. Siham le rassure, lui propose des solutions et lui offre une viennoiserie et du chocolat.

Un suivi intensifié

Samedi 21 janvier, le plan grand froid a été déclenché dans le département d’Eure-et-Loir et maintenu durant une dizaine de jours. Cela se traduit par des places d’hébergement débloquées par la préfecture pour mettre à l'abri celles et ceux qui dorment dehors. Cela permet aussi à la Croix-Rouge de faire deux maraudes par jour :  une le matin de 10h à 12h, la seconde de 14h à 16h, contre deux par semaine habituellement.

Sur un bout de trottoir, Idéfix tremble. Gil s’empare de la couverture qui lui protège les jambes et enroule son petit chien dedans. “Avec la pluie, l’humidité et le froid, c’est pas simple en ce moment, reconnaît-il, mais y’a pire.” Siham remplit un gobelet et lui tend un chocolat chaud avec des sucreries. “Est-ce qu’Idéfix a besoin de croquettes ? On en a si vous voulez. Est-ce que vous, vous avez besoin de quelque chose ? On va repasser demain donc on peut vous apporter des vêtements chauds, un sac. Dites-nous. Est-ce que vous avez un endroit où dormir ce soir ?”

Pendant quatre heures, la voiture de la Croix-Rouge va arpenter la ville et s’arrêter au gré des besoins, sur un bord de route, devant une enseigne de la grande distribution ou à proximité d’un fast-food, là où se réfugient régulièrement les personnes sans abri.

Sans solution d’hébergement

Deux femmes sans abri, Estelle, 44 ans, et Sandrine, 45 ans, se trouvent justement là, avec leurs caddies débordant de sacs et d’affaires. Non loin, Guy, 62 ans, tente de se réchauffer dans un fast-food. “L'hôtel nous a demandé de partir, explique Sandrine. Mon compagnon est malade et il ne peut pas rester debout, du coup il s’est mis dans le resto le temps que l’on trouve une solution. ” Du doigt, elle montre Guy, resté à l’intérieur pour se réchauffer. Depuis plus de deux heures, elle et son amie sont là, sur ce bout de trottoir, en face de l'hôtel où elles dormaient. “Je ne peux pas bouger. Avec toutes ces affaires et Guy qui n’arrive plus à marcher, comment je fais ? Je peux pas pousser les deux caddies et l’aider à avancer. C’est pas possible.”

Ingrid lui propose une boisson chaude et une collation. Au téléphone avec le 115, Siham tente de trouver une solution d’hébergement en urgence. “Tu me gardes mes affaires Estelle, comme ça je vais chercher Guy pour lui dire que la Croix-Rouge est là. On vous attendait depuis qu’on a dû quitter l'hôtel.” Entre-temps, d’autres personnes, qui elles aussi ont dû quitter l'hôtel à midi, s'approchent du véhicule de la Croix-Rouge pour une boisson chaude, une couverture de survie, une soupe ou tout simplement pour briser un peu leur isolement.

Briser l’isolement

Une blessure à la main, Jimmy, la quarantaine, arrive discrètement. “Est-ce qu’il serait possible de refaire mon pansement ?” “On s’occupe de Guy et oui, après, bien sûr”, lui répond Siham “mais en attendant, de quoi avez-vous besoin ?” Il attrape une boisson chaude, plonge ses yeux dans ceux de Siham et s’effondre. “J’en peux plus, je n’ai plus la force de continuer à me battre. C’est trop dur.”

Originaire du Havre, il a suivi un de ses proches à Chartres pour se faire un peu d’argent. Une fois dans cette ville, son ami l’a escroqué et Jimmy s’est retrouvé sans argent, sans téléphone et sans endroit où dormir. “Mes enfants m’ont cherché pendant des années, ils pensaient que j’étais mort. Vous imaginez ? Mort ! Mais non, je suis toujours là. Toujours vivant. Toujours debout, comme dirait l’autre. Maintenant, je veux juste trouver une solution pour rentrer chez moi et retrouver mes enfants. Mais je n’ai pas l’argent pour le billet de train.”

Siham tente de la rassurer, de lui faire entendre qu’elle va tenter de lui apporter une solution. “Et une grande valise à roulettes, ça sera plus simple pour vos affaires”. Ils se promettent de se retrouver demain avant la maraude pour voir ce qu’il est possible de mettre en place. “J’ai trouvé un endroit où dormir pour ce soir, mais je dois être dehors à 8h. Je serai devant le local à 9h.”

« Je ne peux pas rester seule à la rue »

Entre-temps, Guy et Sandrine reviennent péniblement. Ses jambes ne le portent plus et chaque pas semble une épreuve supplémentaire. Un des secouristes bénévoles de la Croix-Rouge, revient avec une ambulance pour les premiers secours. Guy a peur d’aller aux urgences. Beaucoup de personnes de sa famille y sont mortes et il ne veut pas mourir. Après plusieurs minutes de négociation, il accepte finalement d’être ausculté dans l’ambulance. “S’il part aux urgences, moi je fais quoi?”, s’inquiète Estelle.

Les minutes passent, le 115 ne répond plus. 16h. Toutes les places doivent être prises. Deux heures déjà que les bénévoles tentent de trouver une solution pour ce couple et pour toutes les personnes qui passent ici. Guy accepte finalement de partir aux urgences. Son état est grave et sans soins appropriés, il pourrait s’aggraver. Une nuit d'hôtel a finalement été trouvée pour Sandrine, en passant par une autre association. C’est la préfecture, avec le plan grand froid, qui a débloqué les fonds. “Cela nous laisse un peu de répit pour leur trouver une solution pérenne, se rassure Siham, parce que là, c’est pas possible, ni l’un ni l’autre ne peut continuer comme ça.”

Après avoir mis à l'abri ce couple pour une nuit, l’équipe de bénévoles retourne en centre-ville pour continuer la maraude. Devant une enseigne de la grande distribution, Mickaël lance un grand sourire à la voiture de la Croix-Rouge qui s’arrête à son niveau. “ça me fait plaisir de vous voir”, lance Mickaël. A ses côtés, Cannelle, sa chienne de 4 mois dort. “Je suis passé à la vestiboutique hier et regardez ce qu’ils m’ont donné: une petite doudoune d’enfant qui ne trouvait pas preneur. Comme ça, elle n’a plus froid.”

Kit d’hygiène et café chaud

Ingrid lui tend un café chaud et un paquet de croquettes. Siham lui tend une collation. “Est-ce que vous avez besoin d’un kit d’hygiène ? De vêtements chauds ? On repasse demain, donc dites nous. On est là.” Mickaël sourit, colle ses mains sur le café chaud et répond “J’ai pu prendre une douche hier soir et être au chaud, ça m’a fait beaucoup de bien. Et j’ai bien dormi.”

Avec son casque encore vissé sur la tête, Pierre, 19 ans, s’arrête devant la voiture de la Croix-Rouge. “Je peux avoir un café s’il vous plaît ? Je sors de ma mission d’intérim là et je vous ai vus, je me suis dit que comme ça je vous donnerais des nouvelles aussi.” Entre deux gorgées, il raconte ces derniers mois entre intérim et galère pour trouver un endroit où dormir. “Il ne me reste plus longtemps à tenir pour que je puisse retrouver mon ancien métier et ainsi retrouver une certaine stabilité avec un logement.”

Au total, ce jour-là, une vingtaine de personnes ont été aidées par la Croix-Rouge. Un passant leur laissera aussi ses coordonnées. “N’hésitez pas à m’appeler, j’ai du temps et je veux être bénévole à la Croix-Rouge.”

Texte : Elie Hondet

Photo : Leif Carlsson

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