En proie à de nombreux bouleversements liés à l’impact du changement climatique, les petits États insulaires des 3 bassins océaniques doivent sans cesse s’adapter aux impacts déstabilisants de ces événements. Dans ce contexte et à quelques jours des 25 ans de la Journée mondiale des premiers secours, Mercedes Aguerre et Sarah Favrichon, salariées de la Croix-Rouge française, respectivement coordinatrice du pôle de soutien technique du Centre mondial de référence des premiers secours (CMRPS) et référente technique sur l’adaptation au changement climatique, reviennent sur l’importance des premiers secours pour mieux préparer les communautés.

Quel est votre rôle à la Croix-Rouge française et votre implication dans le projet 3 Océans ?

Mercedes Aguerre : Au CMRPS, nous estimons que pour rendre les communautés plus sûres et plus résilientes, les premiers secours doivent être reconnus comme faisant partie intégrante d’une approche de développement plus large. C’est pourquoi mon rôle et celui de l’équipe plus globalement est de travailler en étroite collaboration avec les Croix-Rouge et Croissant-Rouge du Mouvement afin de faciliter le partage des connaissances entre elles et promouvoir une éducation de qualité aux premiers secours au niveau mondial. Cela passe notamment par la réflexion, création et le déploiement d’un certain nombre d’outils, de supports, d’ateliers, etc.

Notre équipe est très internationale, on y parle entre 10 et 12 langues, car nous venons de tous les coins du monde ! Intégrés à l’équipe, nous avons aussi deux référents qui sont basés en Guadeloupe et à Fidji, accompagnant le déploiement et le renforcement des capacités au plus près des populations des territoires insulaires de leur zones. Respectivement présents au sein de la Plateforme d’intervention régionale des Caraïbes (PIRAC) et de la Plateforme d’intervention régionale du Pacifique Sud (PIROPS), ce sont eux qui font le lien avec moi sur le soutien technique en premiers secours du projet 3 Océans , dans leur zone. 

Sarah Favrichon : Dans le projet 3 Océans , j’appuie les trois Plateformes d’intervention régionale (PIR) sur l’intégration des enjeux autour du changement climatique, dans les trois régions. Par exemple, j’apporte un appui technique à notre Plateforme d’intervention régionale dans l’Océan Indien, la PIROI, sur son accompagnement des Croix-Rouge et Croissant-Rouge de la zone, notamment à travers des formations pour mieux prendre en compte le changement climatique. Le but, c’est de travailler sur notre action face aux effets du changement climatique, mais aussi de réfléchir à notre impact sur l'environnement et les écosystèmes qui nous entourent. 

Pourquoi lier les premiers secours et l’adaptation au changement climatique ?

Mercedes Aguerre : Normalement, les populations savent prévoir les saisons des tempêtes, des sécheresses et des cyclones, mais le climat se dérègle et se préparer à ces aléas devient de plus en plus compliqué. Les événements climatiques deviennent plus fréquents et intenses, et cela impacte les récoltes et les personnes, aussi bien physiquement que psychologiquement. Dans ce contexte, nous recevons de nombreuses demandes de nos collègues des Croix-Rouge et Croissant-Rouge à travers le monde pour adapter les modules et formations aux premiers secours à des risques climatiques de plus en plus soudains et intenses. Nous avons donc amorcé un travail autour d’une boîte à outils qui se base sur l’expérience des autres Croix-Rouge et Croissant-Rouge, pour répondre à ce besoin. 

Par exemple, lors de notre dernière réunion régionale dans les Amériques en mai dernier, qui réunissait toutes les Croix-Rouge de la région, les collègues de Saint-Vincent et les Grenadines nous ont présenté une formation sur la marche à suivre face aux vagues de chaleur extrême, qu’ils ont élaboré suite à la sollicitation d'une entreprise privée. Au Pakistan, où les vagues de chaleur extrême se multiplient, le Croissant-Rouge est très intéressé pour participer à l’élaboration des modules de formation sur les canicules. 

Notre démarche, au CMRPS, c’est donc de recenser, valider scientifiquement, puis partager les expériences vécues par les autres acteurs du Mouvement, pour proposer une boîte à outils complète et innovante. Ce sera la première de ce type ! C’est là toute la force du CMRPS : nous avons une vision globale des actions des Croix-Rouge et Croissant-Rouge face aux aléas climatiques, et la possibilité de les partager largement pour les rendre accessibles à d’autres. 

La démarche est la même pour notre application universelle de premiers secours. Celle-ci permet d’envoyer des notifications géolocalisées à la population, par exemple sur la préparation et la réponse en cas de canicule. En Turquie, le Croissant-Rouge s’est intéressé à ce type de notifications dans des zones où de grandes manifestations religieuses se déroulent parce que ce type de notifications pourrait faciliter le rappel aux personnes de s’hydrater régulièrement, de s’habiller de manière adaptée, d’être attentives aux signes de coup de chaleur chez leur entourage et pour expliquer la prise en charge des victimes de ces fortes chaleurs en cas de besoin. Une initiative qui gagnerait à être suivie dans d’autres pays !  

En fait, tous les gestes de premiers secours pour répondre aux risques liés aux aléas climatiques existent déjà. 

Sarah Favrichon : Les phénomènes météorologiques extrêmes tels que les cyclones et les inondations sont de plus en plus intenses et fréquents. Il y a des populations qui n’étaient pas touchées auparavant et qui se trouvent confrontées à de nouveaux risques aujourd’hui. Elles n’ont donc pas forcément les bons réflexes, ne savent pas comment réagir face à cette nouvelle donne. En plus, il faut bien avoir en tête que l’impact du changement climatique ne touche pas tout le monde de la même façon. Certains groupes plus vulnérables comme les personnes âgées, les enfants, ou les femmes enceintes vont souffrir davantage, lors des vagues de chaleur de plus en plus longues par exemple. 

Par ailleurs, l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des aléas climatiques entraîne une destruction récurrente des systèmes de santé auxquels on a l’habitude d’avoir recours : des locaux inutilisables ou des voies de communications coupées en cas d’inondations, des générateurs qui ne fonctionnent plus à cause de la chaleur extrême, etc.  

Coupler les premiers secours avec les enjeux climatiques permet de développer et de répandre la connaissance des bons gestes en cas de catastrophes, et de rendre ainsi les communautés plus résilientes. Nous devons former les personnes aux gestes de premiers secours pour les rendre capables de réagir tout de suite après les catastrophes, et de manière autonome si les systèmes de santé sont impactés. 

Dans ce contexte, comment réagir et rendre les outils pertinents en toute circonstance ?

Mercedes Aguerre : Une des missions du CMRPS, c’est l’harmonisation des premiers secours. Mais harmonisation ne veut pas dire standardisation : l’idée est de proposer des mesures appropriées à chaque contexte. Pour cela, le contenu et les illustrations doivent être adaptés à la vie, ainsi qu'à l'environnement de chaque territoire pour représenter avec plus d’exactitude les personnes et leur quotidien. C’est dans le cadre du projet 3 Océans , financé par l’Agence française de développement , que nous allons pouvoir adapter les manuels de formation au contexte du Pacifique pour qu’ils correspondent davantage aux risques et réalités de ce dernier.

Dans les îles du Pacifique où se déploie le projet 3 Océans, nous allons aussi fournir du matériel de premiers secours aux Croix-Rouge et renforcer leurs capacités techniques, avec l’objectif de disposer de formateurs de formateurs dans chacune d’elles. Notre but, c’est de construire un réseau solide et de qualité en matière de premiers secours. 

Sarah Favrichon : D'abord, nos systèmes de santé ne sont pas assez préparés aux vagues de chaleur. Les structures de soins se retrouvent saturées, à devoir prendre en charge de nombreux cas de détresse respiratoires ou d’hyperthermies, chez des personnes déjà très vulnérables. On l’observe en France et dans beaucoup d’autres pays. 

Pour faire face à ce problème, nous voulons former les personnes des communautés impactées afin qu’elles puissent réagir aux catastrophes et aléas auxquels elles font nouvellement face, et ainsi sauver des vies avant même l’intervention des professionnels de santé. Si on connaît déjà les bons gestes, on peut nous-mêmes les appliquer et les faire appliquer par notre entourage, sans forcément avoir recours à un professionnel de santé. Par exemple, en juillet dernier, un feu de végétation a ravagé plus de 750 hectares et s’est propagé jusqu’aux portes de Marseille. Savoir quoi faire lors d’un incendie, connaître les gestes pour soulager une brûlure ou l’intoxication par les fumées est indispensable en attendant les secours, qui parfois peuvent mettre longtemps à arriver.

En outre, au-delà des incendies ou des cyclones, particulièrement spectaculaires et soudains, il y a aussi des événements plus sournois qu’on caractérise comme “à montée lente”. Invisibles ou presque au quotidien, ils n’en sont pourtant pas moins dangereux. Montée du niveau de la mer, érosion côtière engendrant des éboulements ou des glissements de terrain, etc. : ces phénomènes n’ont pas toujours un impact direct sur la population mais produisent une modification de l’environnement et le rendent incertain. Dans l’hexagone, des zones de bords de mer sur lesquelles vous aviez l’habitude de vous promener peuvent devenir plus dangereuses. Dans les îles du Pacifique, les plages changent, à Madagascar, à cause de la déforestation et des pluies torrentielles, les fondations des maisons sont fragilisées, ce qui entraîne des éboulements en pleine saison des pluies. A cela s’ajoute un biais cognitif : l’être humain a du mal à anticiper, réagit la plupart du temps a posteriori, et oublie relativement vite les impacts de certains évènements. Tandis que les effets du changement climatique s’inscrivent dans le temps long, notre vision très court terme et réactive doit laisser place à des mesures anticipatoires et de réponse réalisées dans une perspective de long terme. 

Pour se préparer à réagir à ces deux catégories d’événements liés au changement climatique, nous développons une boîte à outils, avec un catalogue et des modules de formation correspondant à chaque type de catastrophe ayant pour objectif de sensibiliser les populations sur le fait que certains événements extrêmes peuvent créer des situations durant lesquelles il faudra être capable d’appliquer soi-même des gestes de premiers secours. Pour chaque événement climatique identifié, les gestes à pratiquer et le matériel à utiliser seront détaillés, sans oublier le protocole spécifique à appliquer dans le cadre des prises en charge pour certaines personnes (enfants, femmes enceintes…). Cette boîte à outils s’adresse principalement aux équipes de nos homologues des Croix-Rouge et Croissant-Rouge. L’idée est que ces équipes puissent utiliser le guide pour, à leur tour, former les populations. 

Enfin, nous avons ajouté un volet sur le plaidoyer, pour que les Croix-Rouge et Croissant-Rouge sensibilisent les gouvernements à l’importance d’intégrer les premiers secours dans les curricula et les campagnes destinés au grand public. En effet, avec notre Mouvement, nous avons déjà la capacité de réponse pour réagir aux catastrophes en lien avec les risques climatiques, sur le court terme, dans l’urgence. Ce qu’il faut maintenant renforcer, c’est ce qui touche à la préparation. Et cela ne peut se faire que sur un temps long. 

Mercedes Aguerre

Coordinatrice du pôle de soutien technique au CMRPS de l’IFRC

Sarah Favrichon

Référente technique sur l’adaptation au changement climatique

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