La saison cyclonique 2024-2025 a été atypique, pour ne pas dire inédite. Pas moins de 13 systèmes cycloniques ont été enregistrés - contre 10 habituellement -, dont 6 cyclones intenses, soit plus du double de la normale à l’échelle de la région. « En 25 ans, on n’a jamais vécu un enchaînement aussi intense d’événements », selon Christian Pailler, responsable de la Plateforme d’intervention régionale de l’océan Indien (PIROI Center).

Quels pays et territoires le PIROI Center couvre-t-il et quelles sont les vulnérabilités de la zone ?

La zone de compétences du PIROI Center englobe le Mozambique, Madagascar, les Seychelles, Maurice, La Réunion, Mayotte et la Tanzanie. Il nous arrive aussi d’intervenir au delà de la côte africaine, comme au Malawi, car les cyclones poursuivent parfois leur route à l’intérieur des terres. Les vulnérabilités sont multiples : maladies comme le choléra au Mozambique et en Tanzanie, la peste à Madagascar, le chikungunya à La Réunion et Mayotte, la dengue… et, bien sûr, tempêtes tropicales et cyclones. En résumé, hormis les avalanches, la région est exposée à tous les risques sanitaires et naturels ! 

Cette saison cyclonique a été rude. Qu’en retenez-vous ?

Nous avons dressé le bilan de nos interventions lors de notre réunion annuelle régionale et force est de constater que peu d’Etats insulaires ont été épargnés. Cette rencontre avec toutes les Croix-Rouge et Croissant-Rouge de la zone nous a également permis d’échanger sur nos pratiques et de repenser l’avenir en termes de préparation des équipes et des populations. Ces échanges de pair à pair sont très constructifs. Notre objectif est de mutualiser toutes les compétences et moyens pour gagner encore en efficacité dans les réponses que nous apportons. Nous avons re-signé en novembre dernier les accords de coopération avec toutes les Sociétés nationales, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et la Fédération internationale (IFCR), qui définissent notre organisation et les règles d’intervention.

En effet, les tempêtes et cyclones se sont succédé avec une rare intensité et de façon précoce. Il y a d’abord eu Bheki, dès novembre, qui s’est approché dangereusement de La Réunion avant de s’éloigner, suivi de Chido en décembre et de Garance fin février. Il y a aussi eu Dikeledi, Hondé, Jude, Vince… En plus de leur intensité, tant au niveau des vents que des précipitations, leur trajectoire a été parfois atypique. Garance, par exemple, a traversé La Réunion en sens inverse du mouvement habituel. De même, Mayotte a été fortement impactée, alors qu’elle n’avait pas connu de cyclone depuis 90 ans. En revanche, Madagascar, souvent dans la ligne de mire de ces phénomènes, a été moins touché que les années précédentes.

Quelles leçons tirez-vous de cette saison cyclonique ?

Il faut aller jusqu’au dernier kilomètre, au plus près de la population. Continuer également à dimensionner nos entrepôts communautaires, comme c’est le cas aux Comores. Nous avons installé trois stocks de matériel sur les trois principales îles. Une réflexion identique est en cours à Maurice. Je rappelle qu’on dispose d’un stock énorme de matériel : 11 entrepôts, soit plus de 600 tonnes dans toute la région.

Nous venons aussi en appui des populations tout au long de l’année, pour les sensibiliser à la réduction des risques de catastrophes. Ce n’est pas forcément visible ni médiatique, et pourtant c’est notre cœur de métier et c’est comme ça qu’on sauve le plus de vies : en changeant les mentalités, en éduquant les enfants qui, eux-mêmes, sensibilisent leurs parents. Ça veut dire que si un cyclone a lieu, les gens auront le réflexe de se protéger, de ne pas se mettre en danger et, donc, de sauver des vies. A Mayotte, par exemple, il n’y a plus d’acculturation aux risques car aucun cyclone n’avait frappé l’île depuis 90 ans. Les habitants savaient qu’un cyclone arrivait mais ils n’y ont pas cru et de nombreuses tôles ont blessé ou tué des personnes. Notre travail, c’est donc d’intervenir auprès des communautés et de marteler ce que sont les risques de catastrophes.

Nous allons par ailleurs remettre des stocks à Mayotte, et construire un second entrepôt de stockage sur Grande-Terre pour mieux répondre aux besoins quotidiens et aux situations d’exception. Ces stocks seront gérés directement par les équipes Croix-Rouge sur place. Nous planifions d’autres projets sur les trois prochaines années, voire à plus long terme.

Les équipes de la Croix-Rouge française sont également intervenues sur le cyclone Garance à La Réunion…

C’est intéressant de comparer ces deux événements. A la Réunion, où la population est préparée, informée et dispose aussi de moyens plus importants, il y a une culture du risque et des services d’urgence et de secours aguerris aux crises, comme les cyclones. Les gens se sont immédiatement protégés, par réflexe. 

Sur des crises de grande ampleur comme Garance, le PIROI Center intervient en appui en apportant une organisation quand les équipes en ont besoin. Par ailleurs, nous assurons l’entreposage et la délivrance de matériel à destination de la Sécurité civile. Cette coopération entre tous les acteurs Croix-Rouge doit encore être renforcée par la mise en place de procédures communes, par la mutualisation de nos moyens, car nous sommes et serons de plus en plus exposés à des crises liées aux aléas naturels, aux crises sanitaires et au changement climatique qui frappent les populations du Sud-Ouest de l’océan Indien. C’est tout l’enjeu de notre cadre stratégique pour les 5 prochaines années.

Comment se préparer à une catastrophe ?

Ces événements sont imprévisibles et néanmoins assez cadrés. Le PIROI Center a un partenariat de longue date avec Météo France et dispose d’outils permettant de faire des prévisions très serrées sur l’impact que peuvent avoir des cyclones. Dès qu’une zone est signalée suspecte, on la surveille durant plusieurs jours. Cette information se précise peu à peu – tempête ou cyclone – et on est alors en capacité d’alerter. Parallèlement, on ajuste notre réponse, on prépare nos stocks en amont, on les amène au plus près des populations. C’est ce qui s’est passé avec Chido. Nous avons vu le cyclone arriver quelques jours avant qu’il ne frappe Mayotte. On a alors déplacé des équipiers PIROI spécialisés dans la coordination et la gestion des catastrophes, des équipes logistiques de la Croix-Rouge française et envoyé des valises satellites de communication. Nous avons également déployé en urgence 140 tonnes de matériel.

Des plans de contingence sont mis à jour chaque année avec l’ensemble des acteurs de la Croix-Rouge française. Ils permettent d’évaluer les différents risques et de mettre en face les moyens et réponses possibles. A 3 jours d’un cyclone violent, on met en marche ce plan qui structure la réponse de première urgence. La mutualisation des moyens entre l’international, le national et l’Outre-mer nous a permis d’être sur le terrain dès les premières minutes, avant même l’impact de Chido. Près de 400 volontaires ont été mobilisés, c’est énorme.

Pourquoi être passé de la PIROI au PIROI Center ?

Cette évolution vise surtout à nous renforcer. Notre département Innovation doit imaginer nos interventions de demain, selon les besoins identifiés. On teste des innovations sur nos capacités de réponse, sur notre matériel. On sait aujourd’hui fabriquer du chlore par exemple. Pendant deux ans, nous avons travaillé à fabriquer des bâches fluorescentes en cas de coupures d’électricité à grande échelle. Notre valeur ajoutée, c’est de pouvoir récupérer assez d’informations du terrain pour imaginer des solutions. On prend de la hauteur. Le pôle Recherche est lui aussi en plein développement. On encourage les projets menés avec un pôle d’ingénieurs par exemple, pour réhabiliter ou transformer un hôpital modulaire quand la crise est passée. La formation aura également une place prépondérante dans les nouvelles activités du PIROI Center. Tout ce travail se fait en réseau, à travers des collaborations avec Bioforce, les universités, Météo France... Notre ambition, c’est de décentraliser le PIROI Center, de le déployer hors les murs, en travaillant au sein même des Sociétés nationales afin de mettre en avant les ressources locales.

Photos Guillaume Binet/MYOP

Projet 3 Océans

renforcer la résilience des populations et des territoires dans trois bassins océaniques

Le projet "3 Océans" vise à renforcer les capacités de préparation et de réponse à l’urgence des territoires insulaires de l’océan Indien, du Pacifique Sud et des Caraïbes en développant des actions focalisées autour des étapes du cycle de la gestion des risques de catastrophes (anticipation, préparation, prévention, réponse à l’urgence et réhabilitation). Il est mis en œuvre par les Plateformes d’intervention régionales de la Croix-Rouge française en Guadeloupe, à La Réunion (depuis 2019) et en Nouvelle-Calédonie (depuis 2024), avec le soutien de l’Agence française de développement .

A travers ce projet, la Croix-Rouge française et ses partenaires se mobilisent pour atténuer l’impact des catastrophes, des crises sanitaires et du changement climatique sur les populations des petits États insulaires en développement (PEID). La 3ème phase du projet (2024-2026) met l'accent sur les enjeux environnementaux et l'égalité femmes-hommes dans la gestion des risques de catastrophes. Elle vise à bénéficier indirectement à une population estimée à dix millions de personnes.

Je découvre le dossier sur le projet 3 océans

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