Originaires d’Afghanistan, Karim* et sa famille ont été séparés pendant des années alors qu’ils cherchaient à se mettre à l’abri. Aujourd’hui réunie en France, la famille est confrontée à un nouveau combat pour reconstruire leur vie.

« Lorsque j’ai fui l’Afghanistan en 2015, je ne savais pas quand je reverrais ma femme et mes enfants. Les menaces de mort proférées par les talibans après mon refus de les soutenir financièrement ne m’ont pas laissé d’autre choix que de fuir. Craignant pour la sécurité de ma famille, j’ai fait en sorte qu’elle se rende au Pakistan avec mon frère, où elle s’est enregistrée en tant que réfugiée en 2017. Pendant ce temps, je me suis rendu en France, où j’ai obtenu la protection subsidiaire en 2018.

Mon statut de protection internationale m’a permis de voyager pour rendre visite à ma famille au Pakistan, mais je ne savais pas comment faire une demande de réunification familiale pour que nous puissions tous vivre ensemble.

En 2021, j’ai rencontré l’équipe juridique de la Croix-Rouge française qui m’a aidé à entamer les démarches. Il a fallu des mois pour rassembler tous nos documents d’identité, des captures d’écran de nos appels et messages, des preuves de transferts d’argent et des photos de famille. Pour compliquer les choses, notre plus jeune enfant, Ali, est né au Pakistan, deux ans après que ma demande d’asile a été accordée en France.

Obtenir des documents d’identité pour lui a été extrêmement difficile.

Enfin, en décembre 2022, notre demande de réunification familiale était prête. Comme je ne parle pas encore couramment le français, la Croix-Rouge française m’a aidée à écrire un courriel pour que ma famille prenne rendez-vous avec l’ambassade de France au Pakistan. Ils ont obtenu un rendez-vous pour le 1er février 2023.

Les demandes de visa français doivent être déposées en personne, ma femme a donc dû se rendre à Islamabad avec nos six enfants où ils ont récupéré leurs documents de demande de visa imprimés auprès du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

Nous avons très reconnaissants de l’aide apportée par le Mouvement. En plus d’organiser le rendez-vous, ils ont également imprimé plus de 200 pages de documents.

Sans leur soutien, ma famille aurait eu beaucoup de mal à soumettre leur demande.

J’étais très anxieux à l’idée de leur voyage à Islamabad ; cela coûtait cher à tout le monde et c’était difficile pour ma femme avec tous les enfants mais, plus important encore, avec le nombre croissant de familles afghanes menacées d’expulsion et d’emprisonnement, un check-point aurait pu être synonyme de désastre.

Nous comprenons qu’il y ait des procédures à honorer, mais le fait de se rendre aux ambassades, sur des trajets parfois longs et dangereux, peut rendre le processus réellement risqué pour les gens. Une fois notre demande soumise, il nous a fallu quatre mois pour obtenir une réponse. Finalement, en juin 2023, nous avons reçu le feu vert.

Nous étions ravis, mais l’organisation du voyage de ma famille en France était un autre obstacle majeur. Ma famille n’a jamais eu de permis de séjour officiel au Pakistan, ce qui signifiait que l’obtention d’une autorisation de sortie du territoire serait un défi.

La Croix-Rouge française a confirmé auprès du CICR et du HCR que les cartes de réfugié de ma famille constituaient un permis de séjour valable au Pakistan, rendant inutile le permis de séjour délivré par le gouvernement, mais les autorités pakistanaises n’étaient pas de cet avis.

La Croix-Rouge française a demandé à l’ambassade de France si elle pouvait intervenir auprès des autorités pakistanaises pour obtenir nos permis de sortie. Mais l’ambassade a répondu qu’elle ne pouvait pas nous aider et que c’était à nous de trouver une solution.

Mon frère s’est rendu au Bureau des migrations de Peshawar où l’agent l’a informé que pour obtenir un permis de sortie, ma famille devrait payer 3 000 dollars. C’était bien au-dessus de nos moyens. Lorsque mon frère me l’a annoncé, j’étais dévasté mais pas surpris : il n’est pas rare que des étrangers soient obligés de payer de tels frais. Nous sommes allés voir des amis et des parents pour essayer d’emprunter de l’argent afin de couvrir la somme demandée.

Mais lorsque mon frère est retourné au Bureau, le fonctionnaire avec lequel il s’était entretenu était parti et un nouvel agent avait pris sa place. Le second fonctionnaire a exigé 5 000 dollars. Il a dit que si nous payions, il pouvait garantir que ma famille embarquerait sur son vol.

Quel choix avions-nous ? Nous devions essayer de trouver l’argent.

L’agent a accompagné ma famille de Peshawar jusqu’à l’aéroport d’Islamabad. Il les a fait passer les contrôles de sécurité et les a conduits à la porte d’embarquement, où ma femme et mes enfants ont pris leur premier vol.

J’ai attendu toute la nuit pour savoir s’ils avaient embarqué, et mon frère m’a finalement confirmé qu’ils étaient en route. Le 13 juin à 10 heures du matin, j’ai attendu anxieusement avec l’équipe de la Croix-Rouge que ma famille franchisse les portes du terminal 1 de l’aéroport St Exupéry. Après huit ans, nous pouvions enfin vivre ensemble en toute sécurité – nous étions si heureux.

Mais nos luttes ne sont pas terminées. Pour l’instant, nous vivons à huit dans un appartement de 30 mètres carrés, un espace très étroit pour une famille de six enfants – trois filles et trois garçons âgés de 2 à 16 ans. La Croix-Rouge française nous a orientés vers un service de logement social pour faire une demande d’appartement plus grand, mais nous ne savons pas si et quand nous pourrons déménager. Ma femme a demandé son permis de séjour, mais elle doit apprendre le français et trouver une formation professionnelle avant de pouvoir commencer à travailler. Nous devons également inscrire nos enfants à l’école et trouver des moyens de couvrir l’augmentation de nos dépenses. Les enfants sont impatients d’étudier, d’avoir leur propre lit et d’apprendre le français pour se faire de nouveaux amis.

Nous sommes prêts à commencer notre nouvelle vie en tant que famille, mais la route est longue. Pour les nouvelles familles qui arrivent, il est important d’assurer les besoins essentiels comme la nourriture et le logement, mais aussi l’accès aux services sociaux, aux soins de santé et à l’éducation. Il s’agit de systèmes complexes avec beaucoup de paperasserie, surtout pour les nouveaux arrivants dans le pays. Les familles comme la nôtre sont tellement heureuses d’être ici et de se retrouver, mais nous devons aussi faire face aux réalités de la reconstruction de nos vies et d’un avenir dans un nouvel endroit.

Pour l’instant, nous devons encore relever de nombreux défis pour devenir complètement autonomes, et il faudra du temps avant que nous soyons vraiment installés dans notre nouvelle communauté.

*Le nom a été modifié

Les images sont fournies à titre d'illustration uniquement

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