Projet REPAIR - L'histoire de Mohammad
Publié le 15 avril 2025

« Mes parents et moi avons fui l’Afghanistan il y a plus de 30 ans, alors que je n’avais que six ans. Nous nous sommes rendus en Iran pour fuir l’insécurité et la violence qui régnaient dans notre pays. En Iran, j’ai terminé mes études et je me suis marié. Ma femme et moi avons eu deux fils, mais nous n’avons jamais obtenu de permis de séjour. Pendant des années, j’ai travaillé sans papiers, jusqu’à ce que je sois arrêté en 2013. Les autorités iraniennes m’ont proposé de me libérer si je rejoignais leurs forces armées.
Lorsque j’ai refusé, elles m’ont expulsé vers l’Afghanistan. En Afghanistan, un conflit avec un parent lié aux talibans a donné lieu à des menaces de mort et au ciblage de mon domicile et de mon lieu de travail. Mon employeur m’a aidé à rester caché jusqu’à ce que je puisse retourner en Iran.
Après avoir retrouvé ma famille en Iran en 2015, nous avons tenté de fuir vers la Turquie, mais trois d’entre nous ont été arrêtés à la frontière. Les passeurs nous avaient séparés en plusieurs groupes et mon fils aîné, qui n’avait que six ans, avait déjà traversé la frontière. Nous ne savions pas si nous le reverrions un jour. Coincé en Iran, menacé d’expulsion et d’arrestation, endeuillé par la séparation d’avec notre aîné, et notre plus jeune enfant n’étant pas assez fort pour affronter un voyage potentiellement très dangereux, j’ai fui l’Iran seul en 2018. En juin 2018, j’ai demandé l’asile en France. Un an plus tard, en juin 2019, j’ai reçu une décision positive. Plus tard dans l’année, j’ai contacté la Croix-Rouge française pour qu’elle m’aide à retrouver mon fils aîné. Je suis resté en contact permanent avec ma femme et notre plus jeune enfant – toujours en Iran sans papiers mais il s’est écoulé près de deux ans avant que nous ayons des nouvelles de notre fils aîné. Il était en sécurité, vivait en Suède et avait reconnu ma photo dans le système Trace the Face du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
La même année, la Croix-Rouge française a commencé à nous aider à remplir notre demande de réunification familiale. En mars 2022, notre dossier était enfin prêt et ma femme et mon fils ont pris rendez-vous à l’ambassade de France à Téhéran pour déposer leurs documents.
Plus de huit mois se sont écoulés avant que nous ne recevions une réponse. J’ai envoyé à ma femme de l’argent de mon salaire tous les mois pour couvrir le loyer et les frais de subsistance en Iran pendant que nous attendions la décision. Enfin, en décembre 2022, ils ont obtenu un rendez-vous à l’ambassade pour récupérer leurs visas. Mais même avec les visas, nous ne savions pas s’ils pourraient quitter l’Iran. Ma femme et mon fils cadet n’ont jamais eu de permis de séjour ; les amendes qu’ils devraient payer pour obtenir un visa de sortie pourraient s’élever à des dizaines de milliers d’euros.
Le consulat français n’a pas de dialogue avec les autorités iraniennes concernant les autorisations de sortie, le CICR a proposé de négocier, mais notre expérience nous a appris que tout dialogue avec les autorités avait peu de chances d’aboutir. Nous avons pris la décision difficile que ma femme et mon fils cadet se rendraient en Afghanistan et essaieraient de partir de Kaboul. C’était extrêmement risqué, mais nous savions que nous ne pourrions jamais payer les amendes en Iran et que le temps était compté avant l’expiration de leurs visas. En février 2023, ma femme et mon fils cadet ont repassé la frontière afghane et signé un document officiel déclarant leur départ d’Iran. Ils ont ensuite pris l’avion pour Kaboul et se sont immédiatement cachés, car les talibans étaient toujours à ma recherche.
Il n’est pas facile de voyager de Kaboul à Paris. La plupart des pays ont inscrit les compagnies aériennes afghanes sur leur liste noire, mais la Croix-Rouge a trouvé un itinéraire passant par Dubaï, l’une des seules villes à disposer de liaisons aériennes avec Kaboul. Finalement, le 7 mars 2023, ma famille s’est rendue à l’aéroport pour embarquer. Les autorités étaient très réticentes à l’idée de laisser une jeune femme et un enfant monter seuls à bord de l’avion sans chaperon masculin. Mon fils était terrifié pendant que mon beau-père négociait avec les talibans. Après avoir payé une forte somme à l’agent à la porte d’embarquement, ils ont été autorisés à monter à bord de l’avion et m’ont envoyé un selfie d’eux ensemble à bord. J’étais tellement soulagé.
Au petit matin du 8 mars 2023, ma femme et mon fils cadet sont arrivés à Paris. J’étais si heureux de les voir : après tant d’années et tant de dangers, nous pouvions enfin être ensemble. De retour à Montpellier, où je vivais, nous avons vite constaté que nos difficultés n’étaient pas terminées.
Sans assistante sociale ni aide financière, je devais trouver le moyen d’inscrire mon fils à l’école, de demander la carte de séjour de ma femme et de subvenir aux besoins de ma famille dans notre appartement de deux pièces. Bien que nous soyons heureux d’être réunis, le manque de soutien au début de notre nouvelle vie nous a empêchés d’aller de l’avant, surtout lorsque j’ai été licencié de mon emploi dans l’entretien des bâtiments.
Notre fils aîné en Suède a été enregistré comme mineur non accompagné et placé dans une famille d’accueil qui a reçu des droits parentaux. Nous travaillons avec un avocat pour voir comment nous pouvons récupérer la garde de notre fils et j’ai demandé un document de voyage pour lui rendre visite. Nous nous parlons aussi souvent que possible, mais il était si jeune lorsqu’il est parti qu’il a oublié son Farsi et nous faisons de notre mieux pour communiquer en anglais. Comme beaucoup de familles qui ont vécu une séparation, nous avons surmonté beaucoup de choses et nous sommes reconnaissants d’avoir la chance de vivre ensemble, mais recommencer dans un nouveau pays, avec une nouvelle langue et une culture différente est extrêmement difficile.
À l’avenir, nous espérons que les familles comme la nôtre bénéficieront d›un soutien pratique plus important pour trouver leurs marques, afin de donner à des personnes comme nous les meilleures chances de réussir leur nouvelle vie ».
*Le nom a été modifié