Quelques jours avant l’accueil des premiers patients au centre de traitement (CTE) Ebola de Macenta, en Guinée forestière, Stéphane Mantion, le directeur général de la Croix-Rouge française et Annick Girardin, Secrétaire d'État au Développement et à la Francophonie, se sont rendus sur place le 14 novembre 2014 pour inaugurer le site. Accompagnés du Professeur Youssouf Traoré, Président de la Croix-Rouge guinéenne, et du ministre guinéen de la Santé, le Docteur Rémy Lamah, ils ont eu l’occasion de visiter le centre qui est désormais au cœur de la lutte contre l’épidémie d’Ebola dans la préfecture de Macenta. Interview de Stéphane Mantion, directeur général de la Croix-Rouge française.

Comment s'est déroulé l'inauguration du CTE de Macenta ?

L’Etat a demandé à la Croix-Rouge française d’être l’opérateur du gouvernement français pour monter et gérer un centre de traitement Ebola (CTE) à Macenta, en Guinée Forestière, région carrefour avec la Sierra Leone, le Liberia et la Côte-d’Ivoire, afin de prendre en charge les populations les plus directement touchées par le virus. J’ai eu l’honneur d’accompagner Annick Girardin le 14 novembre dernier à Macenta, car elle tenait absolument à inaugurer le centre, désormais opérationnel. 

Quels sentiments avez-vous ressentis au cours de cette visite ?

Ce n’est pas un endroit qu’on inaugure avec de grands discours. Le lieu est chargé d’émotions. C’est un endroit difficile, où des personnes vont pouvoir être sauvées mais où d’autres vont mourir. C’est un endroit où l’on va mettre en situation de risque du personnel – des collaborateurs du ministère de la Santé, des hôpitaux français, de la Croix-Rouge française et d’autres organisations qui nous appuient dans cette mission. Mais le CTE est un dispositif de très haut niveau, mis en place grâce à une collaboration originale et exceptionnelle avec Médecins sans frontières (MSF). L’organisation nous a transmis son expertise sur le virus d’Ebola, en formant nos premières équipes et a contribué à la construction du site. La Croix-Rouge française a quant à elle apporté un certain nombre d’améliorations sur la conception du site, en particulier sur la partie triage des cas suspects et sur l’accueil des patients en traitement. Nous tenions en effet à établir plusieurs niveaux de prise en charge et à isoler les malades en fin de vie, notamment. La Croix-Rouge française en a dorénavant la responsabilité à part entière. Le CTE constitue une véritable ville en bordure de Macenta. Ce dispositif était absolument indispensable dans une zone où l’épidémie est encore active. 

En quoi cette mission est-elle nouvelle pour la Croix-Rouge française ?

Tout d’abord, la Croix-Rouge française a répondu à une commande des pouvoirs publics, ce qui engendre un nouveau mode de fonctionnement avec les différents ministères impliqués. Cela nous a permis d’apporter tous les moyens matériels et financiers nécessaires à la Guinée, qui est un pays ami. Le second point dont je me félicite, concerne la mobilisation, la réactivité de tous les grands acteurs internationaux déterminés à lutter contre ce fléau : le système onusien a su réagir dans l’urgence, l’Union européenne s’est également fortement mobilisée, tout comme la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Nous sommes « tous ensemble dans ce combat contre l’épidémie », comme l’a souligné Annick Girardin lors de l’inauguration du CTE. Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec le début de l’épidémie de sida apparue il y a trente ans en Afrique. Je veux croire que des leçons ont été tirées…

Quelle est la spécificité de cette crise ?

Il faut rappeler que le phénomène n’est pas nouveau. Il s’agit de la vingtième épidémie d’Ebola enregistrée. En 1976, le Professeur Marc Gentilini, ancien président de la Croix-Rouge française, accueillait le premier cas d’Ebola à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris... Mais depuis 1976, l’Afrique a changé, elle s’est urbanisée, et c’est principalement ce phénomène qui explique la propagation du virus à d’autres pays et son ampleur. Cette mission est un challenge pour la Croix-Rouge française, c’est certain ! La principale difficulté va être de gérer cette crise dans la durée. Car la maladie se développe lentement. Nous nous retrouvons dans une situation d’urgence « chronique » en quelque sorte, même si les deux termes sont antinomiques.

La Croix-Rouge française est à l’origine de la mise en place d’une formation au départ en mission Ebola qui se déroule en français. Pour quelles raisons ?

J’ai été très choqué de constater que nous disposions uniquement de formations en anglais jusqu’alors. A moins d’être totalement bilingue, il est très difficile de comprendre parfaitement les subtilités de certains gestes techniques qui peuvent être vitaux. L’habillage et le déshabillage sont des phases à risques élevés, en particulier, qui ne tolèrent aucune approximation. Nous nous sommes donc appuyés sur des modèles de formations existantes et les avons retravaillées, avec l’expertise conjointe de la direction de l’urgence et du secourisme, et la direction des relations et des opérations internationales. Nous sommes, je le rappelle, le premier formateur privé et non lucratif aux métiers du paramédical en France. Cela n’a donc rien d’étonnant ! Le 18 novembre a donc débuté au siège de la Croix-Rouge française la première formation en français destinée à la seconde rotation qui sera déployée dans quelques jours à Macenta. 

Comment s’effectue la collaboration de la Croix-Rouge française avec la Croix-Rouge guinéenne ?

La Croix-Rouge française s’est mobilisée en Guinée dès la fin mars, répondant ainsi à l’appel de la Croix-Rouge guinéenne et à la sollicitation du ministère de la Santé guinéen. Jusqu’à début juin, nos urgentistes ont formé plus de 350 volontaires et travaillé spécifiquement sur la sensibilisation communautaire et les tâches les plus difficiles à accomplir, à savoir le ramassage des corps, la désinfection des maisons, le suivi des cas contact… Des volontaires de la Croix-Rouge guinéenne ont d’ailleurs été contaminés lors de ces missions. Il faut souligner leur rôle majeur sur le terrain. En effet, ce sont les seuls à pouvoir pénétrer dans les communautés, à convaincre les familles – musulmanes en majorité – de leur laisser gérer les dépouilles particulièrement contagieuses, de renoncer par conséquent à faire la toilette des morts… Ces actions de communication auprès des communautés sont essentielles pour enrayer la propagation de l’épidémie.

A plus long terme, la Croix-Rouge française espère pouvoir rester en Guinée pour contribuer à la mise en place de systèmes de santé performants, comme le souhaite la population. L’absence d’investissements suffisants dans le domaine de la santé contribue à l’instabilité des pays d’Afrique. J’ai d’ailleurs évoqué ce sujet avec le président Alpha Condé ouvertement, lors de notre rencontre en octobre dernier.

Ces actions sont menées grâce au soutien du ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique guinéen, du Ministère des Affaires Etrangères et du Développement International français (MAEDI), ainsi que de l’Agence Française de Développement (AFD). Elles s’intègrent dans un plan d’action global pour lutter contre l’épidémie de virus Ebola.

Propos recueillis par Géraldine Drot

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