Le premier bénévole de la Croix-Rouge est son fondateur, Henry Dunant, lorsqu’il organise les secours aux blessés de Solférino en 1859, avec le concours de la population locale. Pour créer la Croix-Rouge, en 1863, quatre autres hommes se joignent à lui, au sein du Comité des Cinq. Depuis, le profil des volontaires s’est modifié, au gré des conflits et des crises, des évolutions sociales et des mentalités, mais aussi de l’extension des domaines d’action de l’association. Qui était-il en 1864, 1914, 1940, 1970…, pour devenir ce qu’il est aujourd’hui ?

Des origines aristocratiques

Les premiers à adhérer aux idées de Dunant en France et à s’investir pour la réalisation de ses projets font partie de l’élite. C’est auprès d’eux que le fondateur a prospecté pour constituer un réseau influant, en mesure d’y consacrer du temps mais aussi des moyens. Ils répondent à un véritable besoin qui touche l’ensemble des familles françaises : l’absence quasi-totale de soins aux soldats qui donnent leur vie. De hauts militaires vont porter cette cause, généraux, maréchaux, aristocrates souvent, hommes de lois (Louis Renault), hommes de science, dont le propre médecin de Napoléon III, des industriels et financiers également (Alphonse de Rothschild).

Ils font, de fait, profiter l’association de leur expérience, de leurs réseaux sociaux mais aussi de leurs biens, mus par cette aspiration commune qu’est le secours aux blessés de guerre. Leur rôle est de trouver des financements pour acquérir du matériel de secours, provoquer des innovations en la matière, susciter des vocations au volontariat, trouver du personnel sanitaire en cas de conflit. Lorsqu’éclate la guerre contre la Prusse en 1870, suivie des évènements de la Commune, ils sont en mesure de provoquer sur l’ensemble du territoire la création de 400 comités de bénévoles. Les volontaires sont au rendez-vous, collectent des fonds, envoient secours et messages familiaux aux prisonniers de guerre, montent des ambulances.

Une histoire de femmes

Société de secours aux blessés militaires (SSBM), la Croix-Rouge est affaire d’hommes. Cependant, la base active va vite se constituer de femmes. Marquées de voir leurs fils et leurs maris partir au combat, femmes patriotes, elles voient dans la Croix-Rouge l’occasion de participer à la défense de la France, en soignant les soldats blessés et de jouer ainsi un rôle à part entière. Si elles ont leur place au sein des comités – au vestiaire et à la communication –, elles veulent surtout être actives et opérationnelles en cas de conflit. Or, face au manque d’hommes volontaires disponibles et aux lacunes en matière de formations aux soins, elles poussent à la création de l’enseignement sanitaire.

Cette volonté sera à l’origine des premières formations d’infirmières, dont le rôle sera salutaire pour les hôpitaux militaires en 1914-1918. Mais au lendemain de 1870, la proposition n’est pas entendue dans un premier temps par la SSBM. Les meneuses font donc sécession et créent leur propre association en 1879, l’Association des Dames Françaises, première société de femmes à porter secours aux blessés militaires en France. Une seconde scission suit en 1882, donnant naissance à l’Union des Femmes de France. Ces trois associations composeront, jusqu’à leur fusion en 1940, la Croix-Rouge française.

Composition des premiers réseaux bénévoles

Le principe judéo-chrétien de charité est très prégnant dans la société française du XIXème siècle et la Croix-Rouge en propose une approche nouvelle. Se côtoient ainsi, à la Croix-Rouge, Catholiques, Protestants et Juifs, unis dans un même but. Les premiers membres actifs sont les notables locaux : députés, maires, instituteurs, hommes de loi et de médecine, grands propriétaires, industriels.... On trouve par exemple, dans les grandes régions industrielles, les dirigeants de société comme Kœchlin-Schwartz (Alsace), Wendel (Lorraine), Cointreau (Angers), Polignac (Reims). Les mères, épouses et filles y sont aussi très actives. L’éducation morale et domestique des jeunes filles de bonne famille passe aussi par l’apprentissage des soins, qu’elles acquièrent en passant le diplôme simple de dame infirmière. Cette base leur sera très utile lorsque nombre d’entre elles décideront de s’engager auprès de la Croix-Rouge au cours des deux guerres mondiales. Parmi elles, de grands noms : la fille de Georges Clémenceau, la mère de Saint-Exupéry, de grandes aristocrates, les mères de grands hommes qui s’engageront à leur tour, comme René Cassin ou Louis Pasteur Vallery-Radot. De grandes anonymes aussi, généralement femmes de tête et au fort tempérament.

Lorsqu’en 1919 la Croix-Rouge se donne comme nouvelle mission le soutien sanitaire des populations civiles, elle attirera de nouveaux visages et une plus grande diversité parmi ses membres.

La majorité de la population travaille de 10 à 12 heures par jour, 7 puis 6 jours par semaine... Par conséquent, ceux qui s’investissent à la Croix-Rouge sont ceux qui disposent de moyens suffisants pour ne pas avoir à travailler. Cependant, la volonté d’ouverture au plus grand nombre, quelle que soit leur origine, est grandissante. De la haute société, elle va peu à peu attirer la bourgeoisie, puis les classes moyennes. Si l’instauration des congés payés et de la semaine de 40 heures en 1936 donnent aux classes populaires la possibilité de donner de leur temps, c’est au cours de la seconde guerre mondiale que cet appel à toutes les bonnes volontés va jouer le plus et sera déterminant pour la suite. En ce sens, 1939-1945 est une phase charnière pour la démocratisation de l’accès au bénévolat et pour une plus grande parité hommes-femmes.

La guerre et les secouristes

C’est véritablement après 1940 que la Croix-Rouge devient un microcosme de la société française. La guerre a suscité un grand élan de solidarité national. Chacun donne de son temps à sa manière, de la confection de colis et de lainages pour les prisonniers de guerre au secours des victimes des bombardements, en passant par l’accueil des rapatriés des camps. Tous choisissent de prendre des risques, comme ces convoyeuses qui intègrent des enfants juifs aux groupes d’enfants éloignés en train vers les campagnes, les arrachant ainsi à la déportation. Tout comme ces secouristes qui perdent la vie, durant les combats de la libération, malgré le brassard qui les distingue et aurait dû les protéger...

Le secourisme, activité nouvelle née de cette guerre, est un facteur important d’une plus grande ouverture au bénévolat. Les dirigeants de la Croix-Rouge poussent à un recrutement plus massif et à plus d’interactions entre bénévoles : il faut ouvrir les rangs, apprendre au plus grand nombre à apporter les premiers secours, être à l’écoute des besoins de la population… Ces arguments seront le grand leitmotiv de l’après-guerre, avancés en novembre 1951 par le premier bénévole d’entre tous, le Président de la Croix-Rouge française, Georges Brouardel : « Si l’on veut une Croix-Rouge qui soit de plus en plus populaire, très largement ouverte à tous, ou chacun puisse travailler côte à côte avec l’artisan, l’employé et l’ouvrier, il faut développer le secourisme. »

Ouverture, démocratisation, parité

Comme les infirmières avant guerre, les secouristes représentent par la suite l’essentiel des effectifs bénévoles. Pour mieux organiser les équipes, permettre les échanges et communiquer « l’esprit Croix-Rouge », des camps de chefs d’équipes sont organisés. Dès 1956, un nombre important d’ouvriers, apprentis, employés se mêlent aux étudiants, médecins et ingénieurs. Ces futurs responsables, venus de toute la France, également répartis entre hommes et femmes, ont en moyenne entre 20 et 25 ans. Se mettent aussi en place des congrès, nationaux et interdépartementaux, ayant une véritable force d’émulation pour les volontaires. L’association se positionne aussi comme une force morale : « Être membre de la Croix-Rouge, c’est s’efforcer soi-même d’être un homme, mais c’est aussi s’employer à ce que chacun le soit ou puisse le devenir, dans la plénitude de ses moyens » (Vie et Bonté, n°74, avril 1956). Libres et conscients de leur choix d’engagement, ils prêtent serment. Le secourisme permet aussi de « donner à la jeunesse l’occasion de fournir dans nos rangs un effort bénévole, d’affirmer sa personnalité et de jouer un rôle positif » (André François-Poncet, président de la Croix-Rouge française, 1965).

Cette jeunesse du bénévolat, surreprésentée chez les secouristes, est appelée de tout cœur par tous les présidents successifs, mais, jugée trop remuante, n’est pas toujours du goût des bénévoles de l’ancienne école. La question est ouvertement discutée, et si l’on refuse « les préjugés et la méfiance des personnes vivant plus dans le passé, qui restent attachées au caractère aristocratique de la Croix-Rouge des origines » (André François-Poncet, 1967), on rappelle aussi à l’ordre les garçons aux cheveux longs et les filles en mini-jupes. Toutefois, en 1970, en dépit de la « crise de la jeunesse » qui secoue la société, 25 % des bénévoles ont moins de 25 ans, 50 % entre 25 et 37 ans.

Parallèlement, la nécessité de la diversité s’impose. En octobre 1960, à Alger en pleine guerre de décolonisation, on nomme pour la première fois un directeur départemental musulman, originaire d’Algérie.

En 1970 comme en 1956, on constate que toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées, mais l’équilibre s’inverse par rapport à l’avant-guerre : la Croix-Rouge compte moins de membres issus des classes dirigeantes, en faveur d’une plus grande représentation des classes moyennes et ouvrières.

Interaction, échange, adaptation

Le bénévolat et la recherche d’adhérents demeurent des préoccupations récurrentes, faisant l’objet d’études et de séminaires, notamment sur la construction d’une organisation rationnelle. Au début des années 1970, le bénévolat au sein de la Croix-Rouge fait l’objet d’une autocritique en vue d’étudier son adaptation à l’évolution du monde moderne. Une politique unique de volontariat applicable aux salariés comme aux bénévoles est envisagée. Les jeunes retraités qui peuvent apporter des compétences professionnelles en tant que bénévoles sont particulièrement visés dans les recrutements. Enfin – c’est un constat de longue date –, la bonne volonté ne suffit pas. Les volontaires doivent ainsi être orientés dans les branches qui répondent à leurs compétences. À cela s’ajoute la création de formations spécifiques qui leur permettent d’évoluer et de s’épanouir à la Croix-Rouge. En ce sens, 1975 est une année de réflexion générale.

Dans les années 1980, face à la montée de l’individualisme dans une société de consommation en crise, à la désagrégation des liens traditionnels, le bénévole trouve dans l’équipe qu’il intègre un nouveau cercle, un nouveau sens social. L’association écoute ses bénévoles qu’elle ne conçoit pas uniquement comme des troupes agissantes. C’est un véritable dialogue qui s’instaure, pour mieux recruter, mais aussi pour répondre aux attentes des volontaires. Dans ce lieu de démocratie par excellence qu’est l’association, l’engagement est libre et l’échange primordial. La multitude des aspirations individuelles est un gage de richesse dans les réflexions, avec un objectif commun à toutes : la solidarité. L’engagement bénévole est ainsi devenu un acte de citoyenneté essentiel.

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