Au Tchad, la crise est devenue chronique
Publié le 22 juillet 2025

Quelle est la situation aujourd’hui au Tchad et quel est notre rôle ?
Francis : Le Tchad fait face à ce qu’on appelle une crise chronique. Cela fait plus de 20 ans que le pays accueille des réfugiés, mais cette fois, c’est un pic sans précédent : en deux ans, des centaines de milliers de Soudanais ont traversé la frontière, souvent dans un état de grande faiblesse. Cela exerce une énorme pression sur les communautés locales, elles-mêmes en grande précarité, et sur des ressources déjà limitées. Dans ce contexte, nous agissons aux côtés de la Croix-Rouge du Tchad et d’autres partenaires du Mouvement, comme la Fédération internationale ou encore les Croix-Rouge luxembourgeoise et italienne. L’urgence est de répondre aux besoins immédiats, d’autant plus que la saison des pluies arrive. Ce qui va notamment compliquer les déplacements et favoriser la propagation des maladies.
Pourquoi parle-t-on de crise chronique au Tchad ?
Francis : Une crise, par définition, ne devrait pas durer dans le temps, mais ici, c’est une situation qui s’installe et qui resurgit à chaque nouveau conflit. C’est ce qu’on appelle une crise chronique : une situation qui perdure, avec des pics d’intensité à chaque reprise des violences. C’est un peu comme une maladie chronique : on la gère au quotidien, mais elle ne disparaît jamais vraiment.
Le Tchad est historiquement une terre d’accueil. Le gouvernement et les populations font tout leur possible pour accueillir les réfugiés. Mais aujourd’hui, face à un afflux incessant et à la baisse des financements, ils sont dépassés. Cela fragilise encore davantage le système de santé et l’accès aux soins.
Le profil des réfugiés a-t-il évolué depuis le début du conflit ?
Blanche : Oui, il a évolué. En 2023, les tous premiers réfugiés étaient souvent des personnes diplômées, avec quelques ressources. Elles avaient anticipé qu’elles ne pourraient pas revenir chez elles et avaient fui avec leurs biens et un minimum de moyens. Puis, très rapidement, une deuxième vague a concerné les populations vivant près des frontières. Aujourd’hui, ce sont les plus vulnérables qui arrivent : des personnes parties de plus loin, souvent sans aucune ressource, et ont marché durant des semaines. Mais également, des personnes arrivant du Darfour voisin qui continue de fuir la violence et la faim. Quand elles atteignent le Tchad, elles sont déjà extrêmement affaiblies, dénutries, parfois déshydratées, avec un système immunitaire fragilisé qui les rend très vulnérables aux maladies. Beaucoup souffrent aussi de traumatismes psychologiques profonds. Ce changement de profil est aussi le signe de la brutalité du conflit au Soudan. Là-bas, la guerre est d’une violence extrême et le Droit international humanitaire n’est pas respecté. Les humanitaires sont pris pour cible. Les femmes et les enfants paient le plus lourd tribut, avec des violences sexuelles utilisées comme arme de guerre et des tortures psychologiques. Face à cela, fuir vers les pays voisins où ils espèrent trouver un peu de sécurité reste souvent la seule option.
Quels sont les principaux défis sanitaires ?
Blanche : La guerre a entraîné l'effondrement du système de santé soudanais. La population n’est plus vaccinée et il n’existe plus de dispositif capable de surveiller l’apparition ou la propagation des épidémies. Cela crée un risque épidémique majeur, qui peut à tout moment franchir la frontière et toucher les zones d’accueil au Tchad. Face à cela, notre priorité est de renforcer l’agilité du système de santé local tchadien. Cela signifie être capable de s’adapter aux besoins qui évoluent en permanence, mais aussi de rendre les communautés elles-mêmes plus résilientes. Dans l’un des hôpitaux où nous intervenons, une unité accueille les enfants souffrant de malnutrition : il y a des lits, du personnel motivé, mais aucun équipement, parfois même ni eau ni électricité. En juin, au tout début du pic de cas de malnutrition, les centres de santé et l’hôpital étaient déjà saturés. C’est pareil pour la maternité : peu de soignants qualifiés et très peu de moyens matériels. Notre action consiste donc à renforcer ce qui existe, sans le fragiliser davantage. Nous transmettons aux équipes locales des compétences et des outils pour mieux prévenir les maladies ; détecter les symptômes tôt permet d’éviter que les patients arrivent à l’hôpital en situation critique.
Comment accompagner les familles quand les moyens médicaux manquent cruellement ?
Blanche : Je pense à Fatime et sa maman Zara. Fatime est née prématurée à sept mois de grossesse, dans des conditions extrêmement précaires. Quand Zara l’amène à l’hôpital, Fatime est déjà très faible, malnutrie et atteinte de paludisme. Mais sur place, il n’y a pas les traitements nécessaires pour la soigner. Alors, avec les équipes, nous avons proposé à Zara d’adopter la méthode kangourou, ce contact peau à peau qui aide les bébés prématurés à survivre. Toute la famille s’est installée dans une petite chambre de l’hôpital. Le personnel hospitalier a accompagné Zara et son mari pas à pas. Fatime a commencé à prendre du poids et a vaincu le paludisme. Pour les soignants, c’était un vrai miracle. Nous apprenons aussi aux mères à reconnaître les signes de la malnutrition grâce aux clubs de mères. Cela ne règle pas tout, mais ça leur donne les moyens d’agir vite, de se rendre au centre de santé dès les premiers signes. Et ainsi, de sauver la vie de leurs enfants avant que la maladie ne s’aggrave.
Aujourd'hui, quels obstacles fragilisent notre capacité d’agir ?
Francis : La conjoncture internationale se durcit avec la baisse des financements publics, pourtant, les besoins sur le terrain, eux, continuent de croître. Nous devons nous préparer à une période particulièrement difficile qui mettra à l’épreuve la résilience de tous. Trouver de nouvelles ressources financières est désormais un enjeu important pour pouvoir poursuivre notre action efficacement.