EHPAD : Nous nous rendons vraiment au chevet des patients
Publié le 14 octobre 2024

Nous sommes dans un EHPAD, à une demi-heure du centre-ville de La Rochelle. Allongée dans son lit, Ghislaine, 99 ans, se repose. Nos équipes entrent alors dans sa chambre, la saluant chaleureusement. Elles sont quatre femmes : deux médecins, les Dr Anne-Sophie Dolez, spécialisée en médecine physique et en réadaptation, et Marielle Mandon, gériatre ; une infirmière, Claire Le Bescond ; une ergothérapeute, Caroline Regnault. Toutes sont salariées à temps plein ou partiel et font partie d’une expérimentation portée par notre association, nommée “Auto-Nom”, lancée il y a un an. L’idée : créer une unité mobile dans huit établissements sanitaires porteurs afin d’accompagner les équipes dans la prise en charge des déformations articulaires fortement handicapantes au quotidien appelées Hypertonies déformantes acquises (HDA). Ce projet transversal sanitaire et médico-social vise à soulager des effets de l’HDA mais aussi à sensibiliser les personnels : médecins, ergothérapeutes, aides-soignantes. Sans oublier les proches des résidents.
Connaître les symptômes pour soigner dignement
Souvent méconnue, y compris parmi les soignants, l’HDA frappe des centaines de milliers de personnes âgées, et en priorité celles peu actives. Certaines perdent tout ou partie de la mobilité de leurs membres, d’autresgardent en permanence le poing serré. L’HDA entraîne aussi un déclin fonctionnel et cognitif avec pour principales conséquences : plaies, macération, mycoses, douleurs, perte d'habileté gestuelle, troubles de la communication, isolement, repli et dépression. Elle se traduit par un fort retentissement sur l’activité du personnel soignant dont les soins de base, d’hygiène et de nursing sont rendus extrêmement difficiles.
C’est notamment le cas aujourd’hui pour Ghislaine. Première question que lui pose le Dr Dolez : « Vous pouvez lever les mains ? Les jambes ? Tendre les jambes ? Vous pouvez écarter les genoux ? » La vieille dame, qui entend parfaitement et plaisante, ne peut rien faire de tout cela. Ses maigres jambes semblent raides comme du bois, ce qui gêne le travail des aides-soignantes notamment pour effectuer sa toilette intime. Adelaïde, une toute jeune aide-soignante, est elle aussi présente dans la chambre. « C’est compliqué, je n’ose pas trop forcer, j’ai peur de lui faire mal en lui écartant les jambes. Moi-même, j’ai du mal à faire les gestes. Alors je vais pouvoir être facilitée dans mon travail et apprendre comment faire. » Notre équipe lui propose de s’approcher. Caroline, l’ergothérapeute, montre les bons gestes à la jeune femme mais aussi à l’ergothérapeute de l’établissement, penchée sur la vieille dame. « On va pouvoir prodiguer des conseils sur comment effectuer tel ou tel geste, positionner la personne dans son lit, dans son fauteuil roulant » explique-t-elle. Pendant ce temps, le Dr Dolez et Claire, l’infirmière, préparent la piqûre contenant le médicament qui va permettre de rendre les muscles de la patiente moins rigides. « Avant la mise en place de ce dispositif, nous aurions dû faire venir cette dame dans notre centre de soins situé à La Rochelle », explique Claire. Soit à plus de trente minutes de route. Impensable pour une dame de 99 ans. « C’est beaucoup moins traumatisant pour le patient ou la patiente de réaliser cette intervention ici, dans sa chambre. Dans les EHPAD, certaines personnes n’ont pas quitté leur chambre depuis quatre ou cinq ans. Elles seraient totalement déstabilisées de sortir et de revenir quelques heures après. » Le Dr Dolez précise : « Nous nous rendons vraiment au chevet du patient, pour éviter du stress et de la fatigue mais aussi pour éduquer les équipes des établissements. » Les professionnels de santé s’accordent à reconnaître que l’initiative facilite l’accès aux soins des personnes fragiles, difficiles à transporter. Elle engage également une amélioration du dépistage ainsi qu’un accompagnement plus précoce en renforçant la formation des soignants.
Pour détendre l’atmosphère et surtout détourner l’attention de Ghislaine, les soignants lui demandent : « Alors, qu’est-ce que vous avez mangé à midi ? » puis diffusent de la musique : « La bonne du curé » d’Annie Cordy puis « Les Corons » de Pierre Bachelet. Finalement, l’intervention va durer trente minutes. La patiente ne va se plaindre qu’une fois, quelques secondes, au moment de la piqûre. L’effet du médicament va durer au moins six mois. « Il est presque immédiat, explique la Dr Dolez. Et dès demain, les membres seront moins rigides et les personnels de l’établissement pourront plus facilement procéder à la toilette. » Avant de quitter la chambre, les médecins et l’ergothérapeute montrent justement à l’aide-soignante comment pratiquer les bons gestes en fonction de la mobilité partiellement retrouvée. « Tu vois, si tu plies le genou comme ça, tu as une relaxation sur le fléchisseur de la hanche. Et pour les escarres ou la toilette intime, tu peux faire comme ça. » Adelaïde, fraîchement diplômée de son école, est ravie : « Je vais pouvoir procéder à sa toilette sans avoir à forcer sur ses jambes et je pourrai également en parler à mes collègues. C’est la première fois que j’assiste à ce type de séance et c’est vraiment super intéressant. » En intervenant de la sorte, l’équipe offre aux soignants la possibilité de procéder à des gestes du quotidien au lit du patient, en allant directement dans leur structure afin d’éviter des déplacements à l’hôpital, risqués et traumatisants.
L’innovation qui a tout bon
L’expérimentation est prévue dans quatre régions : Île-de-France, Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes et Bretagne. A La Rochelle, l’équipe mobile notre centre de santé Richelieu intervient tous les jeudis après-midi dans 14 établissements volontaires de la Charente-Maritime avec toujours la même idée : informer sur l’HDA puisque des moyens préventifs et curatifs existent mais sont souvent méconnus par le personnel soignant. Un manque de connaissances qui empêche souvent sa détection en établissement médico-social. Si nous pouvons nous charger de cette mission, c’est grâce à l’article 51 de la Loi de financement de la Sécurité sociale 2018, qui permet d’expérimenter de nouvelles organisations en santé « visant à améliorer les parcours patients et le système de santé, avec la possibilité de déroger à des règles de droits communs et de tester des modes de financement inédits. »
Nous voici maintenant à l’EHPAD Valpastour, à Saint-Médard-d’Aunis, dans la chambre de Marie-Paule, une patiente âgée de 72 ans. Sur les murs, près de la télévision, ont été punaisées les photos des membres de sa famille. A sa gauche, une petite affiche : « Pour les soins de Marie-Paule, ne la tourner que sur la gauche. » La dame, allongée dans son lit, ne parle presque pas. Victime d’un Alzheimer précoce, elle a aussi subi une fracture de la hanche. Le Dr Dolez explique que l’HDA, qui n’est pas une maladie mais un symptôme, peut être due à différentes causes comme un AVC, la maladie d’Alzheimer ou encore aux effets d’un traitement neuroleptique. Grâce aux gestes médicaux prodigués comme ici, les effets de l’HDA peuvent parfois être atténués. Aucune intervention n’est réalisée sans l’accord des patients ou de leur famille. Le docteur consulte le dossier médical de Marie-Paule et s’étonne qu’on l’ait contrainte à rester au lit, au risque de beaucoup perdre en mobilité. Caroline, l’ergothérapeute de l’équipe, se penche délicatement sur elle : « Vous pouvez lever la main ? Tendre le coude ? Levez bien le coude, voilà c’est super ! Vous avez mal ? » Une aide-soignante s’est approchée. Là encore, la spécialiste lui prodigue ses conseils : « Tu vois, tu prends bien là, et tu écartes doucement ici. » Pour mieux se faire comprendre, elle accompagne le bras de la jeune femme et lui montre les gestes : « Tu vois, quand je fais ça ? C’est comme cela qu’il faut faire. »
Ailleurs dans le département, dans la commune de Marans (4500 habitants), l’unité mobile Auto-Nom (Autonomie et Neuro-Orthopédie Mobile) a reçu une autre demande d’intervention pour une dame résidente d’un EHPAD. Celle-ci souffrait d’une HDA du bras droit et d’une autre au cou. Maëlisse et Amandine, toutes deux aide-soignantes, ont pu assister aux soins dispensés. « J’avais du mal à mobiliser son bras droit, c’était compliqué pour la toilette et l’habillage car elle se raidissait et son bras droit était en arrière, explique la première. Elle avait aussi une inclinaison de la tête vers la gauche et c’était difficile de lui donner à manger. » Au terme de l’intervention de nos soignants, les deux jeunes femmes ont constaté une nette amélioration de l’état de la patiente : « Les jours qui ont suivi, la toilette était plus simple et c’était plus facile de vérifier l’état cutané. Elle ouvrait aussi plus facilement ses mains. Désormais, dès que nous dépistons un problème chez un résident, lors de la toilette, de l’habillage ou de l’installation en fauteuil roulant, nous en parlons tout de suite aux ergothérapeutes. »
C’est la fin de l’après-midi. En rentrant à La Rochelle, la Dr Mandon, gériatre, explique qu’en France, l’âge moyen des pensionnaires des EHPAD est de 85 ans. Dont un très grand nombre souffre des effets de l’HDA. « Participer à cette expérimentation avec la Croix-Rouge m’a sensibilisée sur la question, mais j’ai aussi pu répercuter ces nouvelles connaissances dans ma pratique au sein des EHPAD où j’interviens, explique-t-elle. Cela fait partie d’une prise de conscience qui était nécessaire. »