Habituée à recevoir les malades pour offrir à leurs conjoints ou enfants un répit dans leur quotidien d’aidants, notre Halte répit-détente Alzheimer, à Reims, organisait une journée de divertissement autour d’un repas, le 5 octobre dernier. Une bulle d’air festive pour renforcer les liens.

Au deuxième étage d’un immeuble du quartier populaire La Croix du sud, à Reims, une quinzaine de personnes se tient debout autour d’un petit-déjeuner d’accueil. Le café fume. On papote en attendant que les derniers participants arrivent. Ce matin de début octobre, les bénévoles de notre Halte répit-détente Alzheimer (HRDA) sont épaulés exceptionnellement par cinq salariées de l’entreprise Bohringer Ingelheim*, venues découvrir la structure. « Avant le Covid, tous les ans, nous faisions un repas aidants-aidés, se rappelle Monique, responsable de la halte depuis 13 ans. C’était comme aller au restaurant, ce qu’une partie des familles ne se permet plus. Quand Unis-Cité nous a sollicités, nous avons pensé que ce serait l’occasion de relancer l’initiative ». La HRDA, créée il y a 14 ans, accueille onze malades, les mercredis et jeudis après-midi. Comme une grande partie utilise un service de transport spécialisé pour se rendre sur place, bénévoles et aidants ne se rencontrent pas toujours. Cette journée festive est donc l’occasion de réunir tout le monde.

Pour l’heure, sous les consignes de Naïma, cheffe-cuisinière, les unes s’activent pour hacher les oignons, égrainer les grenades, mixer les pois chiches et griller les pignons. Au menu : un mezzé aux influences libanaises. Les autres dressent les tables avec les décorations fabriquées par les malades. Progressivement, dans ce brouhaha bon-enfant de casseroles et de discussions, la salle prend des couleurs et l’atmosphère de bonnes odeurs.

Assis à l’écart de l’agitation, Germain observe sa femme Gilberte aller et venir entre l’atelier cuisine, les bénévoles et lui-même. Il vient de fêter ses 93 ans. Elle en a 92, mais en paraît moins. Ici, elle connaît tout le monde. Malade depuis plusieurs années, sa situation a empiré l’année dernière. « Elle est devenue agressive. Elle boudait sur le canapé. Dans ces moments de crise, on n’a aucun secours… », raconte Germain. Depuis, le gériatre lui a prescrit un traitement. « Un miracle », soupire-t-il avec des larmes dans les mots. « Elle s’est retrouvée comme vous la voyez aujourd’hui. Souriante. Aidante aussi, alors qu’elle n’avait plus envie de rien… » Pour tenter de faire comprendre ce qu’il vit, il multiplie les anecdotes, s’amusant parfois du caractère ubuesque des situations. « Parfois, elle me dit : laisse ! Germain va le faire ! ». Dans la tête de Gilberte, il y a Germain, l’époux, et Germain son compagnon du quotidien. « C’est compliqué cette maladie, vous savez ». Gilberte va en accueil de jour une fois par semaine. La halte offre à son mari une demi-journée de répit supplémentaire. « Il y a du boulot à la maison. Je fais les courses. Parfois, je pique un petit roupillon parce que je suis fatigué. Il y a des moments, j’en ai… ». Il s’interrompt et reprend : « C’est dur, hein… ».

Les autres convives sont arrivés. Tout le monde s’attable pour l’apéritif. L’ambiance est détendue. Certains osent même une petite danse sur un air de musette. Entre aidés, aidants et bénévoles, il n’y a pas de gêne. Bien au contraire. « À la halte, le contact avec les personnes est au centre », insiste Chantal, bénévole depuis 19 ans. « De 14h à 17h, on leur fait faire des jeux. Elles cuisinent parfois. On chante. On goûte. On essaye de leur faire travailler la mémoire, atteinte par la maladie. » Chantal s’est engagée dans de nombreuses missions au sein de notre association mais la halte reste une expérience à part. « Je suis dure comme du bois mais il y a des fois, voir leur état se dégrader me retourne… ».

Les assiettes sont servies. En bout de table, Odette et Maryse, deux bénévoles, se sont assises à côté de Denise, qui vient ici depuis trois semaines. Mais déjà, raconte sa fille Laurence, elle attend le mercredi suivant avec impatience. « Elle a bientôt 99 ans. Le but du jeu c'est le maintien à domicile. Donc je suis toujours à la recherche d'activités pour la stimuler, pour qu'elle continue de voir du monde. Sinon, elle s'ennuie ». Odette a décidé d’aller lui rendre visite à domicile. « Je vais la prendre un petit peu en charge. On n’habite pas loin. Il y a des moments dans la semaine où je n’ai rien à faire » commente-t-elle. Maryse, sa comparse, explique : « on s’attache aux personnes… Souvent, on reste auprès d’elles et des familles jusqu’au bout. Que voulez-vous, ça nous apporte de la joie. On se sent utile. Ça donne un sens à notre vie, automatiquement ». L’autre aspect de leur engagement, c’est l’amitié. « On forme une bonne équipe. On s’accorde bien », raconte Maryse.

A l’heure du dessert, les participants se lancent dans un tour de chant. Saïd apprécie. Benjamin de la « troupe », il aime retrouver ses camarades ici. « On s’amuse bien. J’ai appris des choses aussi », explique-t-il. Il voudrait en dire plus mais il peine à trouver ses mots. Sa compagne, Frédérique, explique : « Il a toujours aimé le contact mais il a dû arrêter son travail brutalement, à cause de la maladie. Il a besoin de voir du monde ». En semaine, il a un programme d’activités bien chargé. Pour autant, son épouse ne pouvait envisager de maintenir sa vie professionnelle comme avant. De sage-femme elle est devenue tapissière, ce qui lui permet de travailler à domicile.

« Et maintenant, que vais-je faireeeee ? Je vais en rire, pour ne plus pleurer » : Christian, un grand sourire accroché au visage, fredonne le rythme martial de la chanson de Gilbert Bécaud. Il attend que son épouse, Anne-Marie, revienne à ses côtés. L’aphasie dont il est atteint l’empêche d’exprimer ses idées. « La première fois qu’il est allé à la halte, je me suis allongée sur le canapé et j’ai dit : voilà, je me repose, un petit peu ». Une pause qu’elle se permet rarement. « C’est 24h sur 24 avec lui. Et notre maison est grande. La halte est un vrai répit pour moi. Elle me permet de faire des choses qui seraient difficiles à faire avec lui, comme aller chez le médecin ».

« Ce sont des gens tellement géniaux », témoigne Monique. « Regardez Gérard ! C'est super ! », s’exclame une collègue, derrière elle. Les yeux se tournent vers la piste de danse. Gérard, compère de Saïd, Christian et Gilberte, s’est lancé dans une valse au son d’un tube de Charles Aznavour. « Tu vois que ça valait le coup ! », se reprend Monique. En chœur, les bénévoles et les familles reprennent le refrain. « Emmenez-moi au bout de la terre, emmenez-moi au pays des merveilles ! ».

* Une initiative s'inscrivant dans le cadre d’une journée de volontariat organisée par Unicités solidarité entreprise.

Texte : Marion Esquerré - Photos : Marie Magnin