Carole Le Floch : Conseillère technique à l’Institut Régional du Travail Social Paris / Île-de-France. Auteure de l’ouvrage De la grande exclusion au pouvoir d’agir retrouvé, Le Journalyseur - Édition l’Harmattan.

Comment favoriser la (re) construction du pouvoir d’agir des personnes?

Le principe même de pouvoir et/ou agir sur sa vie recouvre des notions très fortes qui ne sont pas naturelles pour toutes les personnes en situation de grande précarité. Avant d’évoquer le « pouvoir d’agir » des personnes, il est d’abord nécessaire de s’assurer que ces personnes soient en capacité physique et mentale de s’en emparer : qu’elles retrouvent l’envie d’avoir une prise sur leur vie. Sous réserve de ne pas être qu’une injonction pour les personnes qui ne sont pas prêtes à s’y engager, la participation est un potentiel outil de reconstruction. Elle peut être l’élément déclencheur redonnant envie de prendre part à quelque chose et s’y intéresser pleinement. En jouant un rôle de formation pouvant déboucher sur une démarche de réinsertion professionnelle, la participation rend les personnes visibles et leur donne un sentiment d’utilité. Ainsi, elle contribue directement à la construction de l’émancipation des individus. Mais il est important de noter qu’avant d’arriver à ce stade, de nombreuses autres étapes intermédiaires sont à accomplir, progressivement et au rythme de la personne concernée, dans une logique de parcours individualisé. 

Quelles leçons peut-on tirer des crises individuelles ou collectives que nous avons vécues pour se relever? 

Après le passage d’une crise, l’être humain a tendance à vite oublier. Il faut analyser la situation de crise dès que l’on vient de la vivre et produire des préconisations, sinon on reconduira sans doute les mêmes erreurs. A l’inverse il faut conserver le positif : dans plusieurs secteurs, on constate que l’on n’arrive pas à pérenniser les initiatives qui se mettent en place dans les situations exceptionnelles. Par exemple, lors de la crise Covid certaines personnes accompagnées sont sorties de leur statut pour devenir partenaires des travailleurs sociaux, dans une relation plus horizontale. Ce fut le cas de travailleurs pairs à qui on a demandé, grâce à leurs savoir-faire et savoir-être, d’accueillir des personnes au sein de centres d’hébergement. Malheureusement, le retour à la normale post-Covid n’a pas permis de pérenniser ces initiatives et à reconnaître les compétences que les personnes accompagnées avaient mobilisées lors de la crise. 

Comment valoriser et croiser les différents savoirs (académiques, professionnels, expérientiels) pour co-construire notre résilience collective? 

Chacun dispose de nombreux savoirs, mais il est essentiel d’en avoir conscience. Le savoir expérientiel est comme les autres savoirs (académique et professionnel notamment), composé de compétences. Les personnes ont pourtant du mal à reconnaître les compétences acquises lors des crises qu’elles ont traversées. Cela est pourtant essentiel : elles leur permettent de se percevoir et d’être perçus à travers ces savoirs et compétences plutôt qu’à travers leurs conditions ou un statut de victime. Les savoirs expérientiels peuvent être transversaux à une fonction, à une orientation professionnelle et doivent être valorisés dans le milieu professionnel. Or, ils ne le sont pas suffisamment et il est difficile de les faire reconnaître dans le système actuel. Il est donc nécessaire de sensibiliser au quotidien et d’apprendre à voir l’autre avec ses compétences. Enfin, il est important que les personnes accompagnées soient représentantes des pairs, cela contribue à créer un climat de confiance, de reconnaissance et de meilleure prise en compte des réalités rencontrées par les personnes en situation de fragilité.

À lire dans le même dossier