Corne de l’Afrique : l’opinion d’Alexander Matheou
Publié le 29 juillet 2011
Alexander Matheou est le représentant régional de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) pour l’Afrique de l’est.
Ces éleveurs nomades vivent dans les régions les plus sèches et traversent régulièrement des parties du Kenya, de l'Ethiopie, de la Somalie et de Djibouti.Pendant des siècles ces communautés avait maîtrisé les stratégies de survie pendants les cycles de sécheresse: en réduisant leur bétail à un nombre de tête gérable pendant les moments critiques et partant à la recherche de pâturages et d’eau à travers les terres arides.
Aujourd'hui, c'est une toute autre histoire. Bon nombre de ces stratégies de survie sont encore utilisées, mais les changements politiques, la guerre et une démographie en hausse depuis 50 ans compromettent la réussite de ces stratégies séculaires.
Les frontières du Kenya, de l'Ethiopie et de Djibouti ont fortement réduit les pâturages accessibles aux mouvements migratoires qui sont indispensable à la survie pastorale. Depuis leur indépendance, les Etats de l’est africain ont développé une méfiance envers ces peuples nomades dont les langues et les traditions leurs sont étrangères. En Ethiopie et au Kenya en particulier, les déplacements pastoraux ont été limités, et ces communautés sont restées largement isolées des programmes de développement nationaux qui ont eu lieu dans les autres parties du pays.
Cependant ces communautés ne pouvaient pas rester isolées des conséquences (tant bénéfiques que perverses) des agendas internationaux. Régionalement, des luttes de pouvoir ont d’abord provoqué dans ces terres arides des combats à l’arme légère puis, petit à petit, des conflits d’une plus grande échelle et toujours plus sanglants.Les agences d'aide internationale ont alors afflué et créé involontairement une dépendance à l’aide d'urgence chez ces éleveurs nomades.
Ce réseau complexe de programmes humanitaires influe fortement sur la viabilité de la vie pastorale dans ces régions arides. La croissance démographique plus importante étant un facteur aggravant. En 50 ans la population du Kenya et de l’Ethiopie a été multipliée par plus de quatre. Les pâturages deviennent rares avec la pression humaine et celle du bétail sur l’écosystème, ce qui provoque des crises durant les saisons sèches les plus dures.
Les cycles inévitables et naturels de la sécheresse ne sont que « la goutte qui fait déborder le vase », mais ils ne sont pas la cause de la catastrophe humanitaire qui s’annonce. Les réfugiés affluent aux frontières avec des taux de malnutrition alarmants, les combats armés détruisent les forages d’eau restant, les enfants quittent l'école et passent leurs jours à la recherche d'eau, le bétail meurt et les moyens de subsistance sont perdus. Dans les milieux humanitaires, les gens commencent à parler de famine.*
La plupart de ces souffrances auraient pu être évitées par une action plus rapide. Il y avait des prévisions saisonnières qui montraient que la pluie ne tomberait pas sur les terres arides. Des actions prises au début de la crise auraient pu arrêter la paupérisation de nombreuses communautés. Pourtant, malgré toutes les leçons des sécheresses précédentes, et toutes les avancées en matière d'alerte précoce, les bailleurs de fonds ne sont toujours pas en capacité de soutenir l’action humanitaire à l'échelle nécessaire. Cela doit changer.
Pourtant, même aujourd'hui, nous pouvons faire beaucoup pour assurer une réponse humanitaire appropriée.Premièrement, nous ne devons pas nous habituer aux crises qui s’installent lentement dans cette région. La malnutrition semble être désormais perçue comme un mal permanent et de plus en plus accepté, mais nous devons toujours être capables de réagir quand la limite est dépassée.
Deuxièmement, sauver des vies devra toujours être notre priorité fondamentale, mais nous devons faire attention durant nos actions à protéger la capacité des gens à avoir une activité économique durable. Cela se traduira par la mise en œuvre de moyens permettant d’éviter que des camps de réfugiés se transforment en bidonvilles.
Troisièmement, nous devons continuer à écouter les bénéficiaires pour savoir ce qu’ils veulent faire de leur vie Il ya des chemins de vie très différents dans cette zone de l’Afrique: des pasteurs nomades, des agriculteurs en milieu urbain…. Notre aide doit se focaliser sur un apport positif pour les bénéficiaires tout en préservant leur mode de vie.
Quatrièmement, nous devons nous concentrer sur le maintien des enfants dans les écoles. Leur avenir sera à jamais façonné par leur éducation.
Enfin, nous devons rappeler qu'il y a toujours un risque couru par la communauté humanitaire : celui de devenir bouc émissaire des gouvernements locaux en prenant en charge les secours d'urgence.La meilleure protection contre ces cycles de sécheresse qui deviennent des crises humanitaires majeures incombe aux gouvernements responsables des zones touchées. Notre travail doit venir compléter les dispositifs gouvernementaux et non pas s’y substituer.
L'intervention d'urgence ne va pas s'attaquer aux causes profondes de cette crise, mais avec un financement adéquat et une bonne gestion, nous pouvons apporter une amélioration durable dans la vie de millions de personnes.
*La famine a été officiellement déclarée par l’ONU mercredi 20 Juillet dans deux régions de Somalie quelques jours après l’écriture de cet article