Le travail est source d’épanouissement, dit-on. À voir les visages souriants de tous les travailleurs handicapés de l’Esat Henry-Dunant, à Amiens, cela ne fait aucun doute.

Il faut dire que ces travailleurs ont de quoi être fiers : ici, ils sont intégrés en milieu ordinaire, dans les entreprises et collectivités de la région. Une démarche encore rare.

Sybille jubile ! Gants en plastique et chiffon à la main, elle fait reluire les bureaux de l’association Urapeda pour sourds et malentendants. Elle vient faire le ménage neuf heures par semaine. En plus, c’est à la lingerie d’une maison de retraite qu’elle apporte son concours, six heures par semaine. Malgré ses troubles autistiques, Sybille travaille donc… comme tout le monde, et avec tout le monde !

Trouver, en milieu ordinaire et aux côtés de travailleurs « ordinaires », un emploi adapté aux capacités et au projet personnel et professionnel de chaque personne handicapée, telle est la démarche quasi unique en France de l’Établissement et service d’aide par le travail (Esat) de la Croix-Rouge française, à Amiens.

Un établissement « sans murs ». Ici, pas d’ateliers protégés. C’est une animatrice technico-commerciale, Delphine Castagna, qui démarche les entreprises, institutions, associations de l’agglomération amiénoise, pour y dénicher voire y créer des postes adaptés à ces travailleurs. Marie-Claire Lefêvre, directrice de l’Esat, détaille : « Ces personnes ne se vivent pas comme handicapées. On n’utilise donc pas le handicap comme un avantage pour l’emploi, on ne fait pas dans le misérabilisme, le travailleur doit faire sa part d’adaptation au monde du travail. Notre mission consiste à l’accompagner dans cette démarche. C’est ainsi que l’on fait émerger chez les personnes en difficultés ce qu’elles ont de meilleur ! »Et le Dr Danièle Scellier, psychiatre de cet Esat, d’ajouter : « Travailler en milieu ordinaire, pour une personne handicapée, c’est un repère d’idéalisation qu’il ne faut pas supprimer ».

Des travailleurs au handicap pourtant plus lourd que dans les Esat « classiques ». Sybille, par exemple, n’a pas accès à la lecture. Ses missions à la lingerie ont dû être adaptées car elle ne pouvait pas trier le linge en fonction du nom de chaque pensionnaire. Elle souffre aussi d’un problème de hanche qui la gêne dans ses déplacements.À l’Urapeda, ses collègues lui montent l’aspirateur pour qu’elle puisse l’utiliser à l’étage. Pascal Héquet, directeur de l’Urapeda, tient à préciser : « on n’est pas dans la “bonne action”. Le profil de Sybille correspond à nos besoins en termes de tâches et de volume horaire. Et la clé de la réussite, c’est son intégration.Nous n’avons pas envers elle les mêmes exigences qu’envers un autre travailleur, mais nous n’hésitons pas à la rappeler à l’ordre quand elle fait mal. Et c’est finalement le plus positif pour elle : être stimulée, avoir un retour sur son travail. On voit qu’elle est heureuse, qu’elle s’est ouverte. »

Sybille ne dément pas : « Ici, c’est cool, on rigole bien. J’aimerais bien travailler plus »… malgré les difficultés que cela représente, car pour occuper cet emploi, Sybille doit prendre le bus et faire plus de 45 minutes de trajet.Un effort physique pour monter et descendre du véhicule, un effort mental pour reconnaître le nom de sa ligne et être à l’heure chaque matin. « Autant de contraintes et de sources d’angoisse », souligne Delphine, qui doit néanmoins freiner l’enthousiasme de Sybille, pour qu’elle se repose et participe à des activités de détente et de loisirs à l’ESAT. Car les travailleurs bénéficient également de nombreux ateliers culturels (danse, théâtre, arts plastiques, chant…) et sportifs (foot, ping-pong, gymnastique), d’activités pédagogiques (informatique, code de la route, gestion d’un budget…) et de soutien psychothérapeutique, y compris un accompagnement à la vie affective, sexuelle et à la parentalité…Toutes ces activités de soutien sont animées par l’équipe médico-éducative de l’ESAT.

Avoir des relations sociales, sortir, se rendre utile, autant d’aspects que Sybille apprécie dans son travail. C’est pourquoi l’Esat s’échine à concocter du sur-mesure pour chacun des 73 travailleurs qu’il accompagne. « La difficulté, c’est que les postes ne sont pas interchangeables, explique Delphine. Quand un contrat avec une entreprise s’arrête, c’est un vrai défi de retrouver une activité qui plaise et soit dans les capacités du travailleur. Qui plus est, l’adaptation au changement est souvent plus difficile pour lui. Sans compter que la conjoncture économique fait souvent oublier aux entreprises la dimension sociale du travail. »

Valérie Devillaine

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