Guinée : enterrements dignes et sécurisés, une mission essentielle pour lutter contre les épidémies
Publié le 25 avril 2025

C’est un petit village d’une centaine d’habitants, situé à l’est du pays, à 30 kilomètres de la préfecture de Kissidougou, au beau milieu de la forêt. Pour parvenir jusqu’à Wondero, il faut emprunter la piste, rouler sur des ponts de fortune à travers une nature luxuriante. Dans ce village comme dans toute la région, le virus Ebola a fait de nombreuses victimes. Les survivants se remémorent avec douleur cette épidémie, qui a causé la mort de plus de 2 500 personnes à travers le pays en 2014.
« On croyait que le village était maudit »
Sékou, cinquantenaire à la barbe grisonnante, a perdu deux de ses filles - Manti, 3 ans, et Nato, 20 ans - ainsi que son jeune frère et sa belle-soeur. « Ça a commencé par des maux de tête, des douleurs au ventre, ils avaient froid. On ne comprenait pas ce qui se passait. On a cru que c’était un mauvais sort, que le village était maudit. Les hommes fuyaient, laissant femmes et enfants. On n’avait plus rien à manger. Et puis les médecins et les bénévoles de la Croix-Rouge guinéenne sont arrivés pour enterrer les morts », se souvient-il avec émotion. Sékou se dirige à l’écart du village. Il pénètre dans la forêt. Là, au milieu des palmiers et des caféiers, reposent dans la terre plusieurs corps, dont celui de sa fille de 3 ans. Il n’y a pas de plaque, pas de signe distinctif. Rien. C’est le cimetière des victimes d’Ebola. « Quand les volontaires nous ont parlé des enterrements dignes et sécurisés, je n’ai pas compris. Car chez nous, selon le rite musulman, nous lavons les corps avant de les mettre en terre dans un drap blanc », explique-t-il. Un rituel inenvisageable durant l’épidémie, car le virus Ebola se transmet par contact direct avec des fluides corporels, y compris après le décès d’un malade. « Il a fallu aller voir chaque famille, parlementer, présenter ses condoléances, prier, partager la douleur pour convaincre de la nécessité de ces enterrements dignes et sécurisés, mais ça n’a pas toujours été facile », retrace Samuel Oliano, secrétaire général du comité préfectoral de la Croix-Rouge guinéenne à Kissidougou. A ses côtés, Abdoulaye, volontaire à la Croix-Rouge guinéenne, acquiesce. « Parfois c’était tellement tendu qu’on a dû partir, on recevait des pierres, des coups ! », se souvient-il. « Heureusement, nos interventions ont été plus aisées durant le Covid-19. Les communautés ont compris que tout ce processus sanitaire autour des enterrements permet de lutter contre la propagation d’une épidémie et il est désormais bien accepté », se félicite Samuel. Si les volontaires de la Croix-Rouge guinéenne ont pu convaincre les communautés, c’est notamment grâce aux formations qui leur ont été dispensées. Ce protocole avait initialement été mis en place en République démocratique du Congo, où le virus Ebola est apparu en 1976 et a été à l’origine de 10 vagues d’épidémie depuis. Quand la Guinée a été touchée à son tour en 2014, le ministère de la Santé a mandaté la Croix-Rouge guinéenne pour procéder aux enterrements en toute sécurité.
« Nous ne serons pas pris au dépourvu si une nouvelle catastrophe arrive »
Dans le cadre du programme RIPOSTE de la Croix-Rouge française, 24 volontaires issus de 20 comités préfectoraux du pays ont été formés en 2024 aux enterrements dignes et sécurisés. Ils maîtrisent désormais le protocole sanitaire à appliquer mais aussi tout l’accompagnement psychologique pour entourer et faire adhérer les familles. « Nous continuons les formations, nous ne relâchons rien car nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle pandémie, explique le docteur Boubacar Baldé, chef du département santé de la Croix-Rouge guinéenne. Nous avons été informés d’un cas suspect d’Ebola en Sierra Leone, pays frontalier. Au nord de la Guinée, nous avons aussi des cas confirmés de coqueluche, de fièvre jaune et un cas de Mpox. Nous sommes donc en alerte permanente.
Le programme RIPOSTE nous permet aujourd’hui de bien anticiper les épidémies. Nous avons les équipements, nous sommes formés, nous ne serons donc pas pris au dépourvu si une nouvelle catastrophe arrive. »
Aujourd’hui, lorsque les volontaires passent les voir, les orphelins de Wondero les accueillent en entonnant le refrain qu’ils leur ont appris en 2014. Un signe de la confiance mutuelle qui s’est instaurée entre les communautés et les volontaires, condition essentielle d’une réponse efficace et apaisée aux risques épidémiques futurs.
Comment se déroule un enterrement digne et sécurisé ?
« Zéro risque, zéro erreur, car elle peut être fatale », rappelle Abdoulaye, volontaire guinéen, qui se souvient avoir lui-même suffoqué sous les innombrables couches de protection qui doivent recouvrir chaque millimètre du corps. Une fois habillées, les équipes procèdent à la pulvérisation de l’environnement au chlore. Un prélèvement est effectué sur le corps du défunt grâce à un kit spécial, qui permettra de confirmer le diagnostic. L’enterrement peut alors commencer. Le cadavre est lui aussi aspergé au chlore, puis placé dans un sac hermétique blanc avant la mise en terre dans un cimetière dédié. Pendant toute la cérémonie et pour raison de sécurité, la famille est tenue à distance pour la prière funèbre.
Reste alors à désinfecter l’environnement familial : le matelas et le linge du défunt sont brûlés. Quant aux volontaires, ils passent eux aussi par la désinfection et leur matériel à usage unique est incinéré.