Avec sa double casquette d’élue Croix-Rouge et d’administratrice du Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) de la Marne, Aurélie Stoll est, depuis un an maintenant, en première ligne pour organiser l’accueil des centaines de familles ukrainiennes venues trouver refuge dans le département. Elle revient pour nous sur une année intense, entre urgence, solidarité et espoir.

En douze mois, la Marne a accueilli plus d’un millier de ressortissants ukrainiens. Concrètement, quelles actions la Croix-Rouge a-t-elle menées pour les aider lors de leur arrivée ?

Très rapidement après le début du conflit, nous avons vu des centaines de personnes arriver depuis Strasbourg, dans des bus spécialement affrétés ou en voiture, par leurs propres moyens. Il s’agissait essentiellement de mamans solos et d’hommes qui n’étaient pas en état de combattre, parce que trop âgés, handicapés ou malades. Ces personnes sont parties sans rien. Elles ont fui en abandonnant tout sur place et n’avaient pour la plupart qu’une valise ou un petit sac à dos pour seul bagage. Je me souviens même avoir vu des enfants sortir du bus en pyjama et en chaussons… Les gens manquaient de tout. Notre aide a donc évidemment été en grande partie matérielle. Il leur fallait des vêtements et notre vestiboutique de Reims, d’Epernay et de Sézanne a tout de suite répondu présente. D’ailleurs, certains Ukrainiens ont depuis proposé leur aide pour prêter main forte à la vestiboutique! Grâce à l’Espace bébé-parents de Châlons-en-Champagne, nous avons également pu donner des jouets et des articles de puériculture pour les enfants. Et puis, bien sûr, il a fallu accompagner en minibus les gens pour faire au plus vite leurs démarches administratives à la Préfecture.

Sur les douze derniers mois, notre département a ainsi enregistré 1216 personnes déplacées dont 967 vivent toujours ici. Aujourd’hui, nous avons encore quelques arrivées mais elles sont beaucoup plus diffuses.

Cet accueil est d’une ampleur sans précédent. Qu’est-ce qui a été le plus compliqué à gérer?

Le vrai challenge pour moi, c’était de coordonner tous les acteurs du département pour apporter une réponse efficace et structurée. On a d’ailleurs constitué une équipe dédiée de 14 personnes - des traducteurs, des travailleurs sociaux… Il faut bien comprendre que cette aide humanitaire ne ressemble à aucune autre, principalement parce que les personnes que nous accueillons depuis un an sont comme vous et moi. Elles sont issues de la classe moyenne et elles ont dû abandonner du jour au lendemain leurs amis, leur famille, leur appartement, leur travail, leurs loisirs. C’est une population migrante que l’on n’a pas l’habitude de prendre en charge.

Dans quel état d’esprit sont arrivés ces ressortissants ukrainiens?

Durant les six premiers mois, la grande majorité n’imaginait pas que la guerre s’éterniserait ainsi. La plupart des personnes que nous avons accueillies ne voulaient pas s’installer. Elles comptaient rester en France le temps que ça se calme pour ensuite rentrer chez elles. Heureusement, un immense élan de solidarité a rapidement vu le jour et beaucoup de collectivités et de bailleurs ont mis à disposition des logements, en plus des hôtels. Un partenaire nous a même prêté un vendangeoir qui héberge actuellement 56 Ukrainiens. C’est un véritable lieu de vie où les personnes peuvent dormir, manger et même télétravailler.

Ce qui m’a frappée au début, c’est la fatigue et l’immense tristesse que l’on pouvait lire sur les visages des adultes, là où les enfants avaient cette incroyable capacité à rester gais, souriants, insouciants même. Grâce à l’Espace bébé-parents, nous avons réussi à installer un coin jeux avec des jouets et des peluches dans le vendangeoir. Tout de suite, les enfants se sont approchés, ils se sont mis à rire et à s’amuser avec nous. C’était un moment très touchant.

Y a-t-il une rencontre qui vous a particulièrement marquée ?

Je pense à une femme, une artiste-peintre qui a fait les Beaux-Arts à Kyiv. Avant de s’enfuir, elle a pris soin de cacher ses œuvres pour qu’elles ne soient pas détruites ou volées. Comme les autres, sa vie a basculé en une fraction de seconde. Elle a dû tout abandonner, tout ce qu’elle aimait, sa maison, ses tableaux, sa passion. A son arrivée ici, elle a été installée à l’hôtel où elle vit toujours. C’est une dame très généreuse qui refuse d’être logée en appartement parce qu’elle préfère laisser sa place aux familles. Pour s’occuper, elle s’est remise à peindre et a décidé de refaire ses toiles. Il y a quelques jours, nous avons organisé le vernissage de son exposition dans le vendangeoir qui a rassemblé les personnes accueillies, nos bénévoles et nos partenaires. C’était une soirée très réussie, un moment suspendu qui a permis de s’évader, de retrouver un peu de normalité pour quelques heures.

Propos recueillis par Géraldine Drot

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