Depuis près de deux ans, la Croix-Rouge ukrainienne aide sans relâche les personnes impactées par un conflit armé qui n’en finit pas de s’enliser. Aujourd’hui, elle représente le premier acteur humanitaire du pays et a notamment aidé plus de 13 millions de personnes depuis le 24 février 2022, soit le tiers de la population. Rencontre avec Maksym Dotsenko, directeur général de la Croix-Rouge ukrainienne.

Depuis le début du conflit, la Croix-Rouge ukrainienne est sur le pont de jour comme de nuit. Comment faites-vous pour maintenir l'engagement des volontaires malgré la fatigue ?

En réalité, garder nos volontaires mobilisés n'est pas une tâche très difficile. Le niveau de solidarité en Ukraine est tellement fort que les gens ont cette volonté de faire partie d’un mouvement, de venir en aide à la population. Avant le début de la guerre, nous comptions environ 3 000 volontaires, aujourd'hui nous sommes plus de 8 000. Dès qu’une tragédie se produit, comme la destruction du barrage de Kakhovka, de nombreuses personnes souhaitent rejoindre la Croix-Rouge ukrainienne et contribuer à nos opérations.  Bien sûr, il est très difficile pour nos volontaires de voir le conflit perdurer. Pour les soutenir, nous avons mis en place un centre d'appel et de soutien psychosocial. Des psychologues sont présents et à l'écoute des volontaires, avec une attention particulière pour les personnes qui se trouvent dans les régions excentrées.

Quel est l'état d'esprit de la population à l'approche de l'hiver ? 

Sur le plan émotionnel, les gens sont fatigués. Ils ne s'attendaient pas à ce que le conflit dure aussi longtemps. Mais nous vivons cette situation et nous devons être forts. L’année dernière, nous avons traversé un hiver très difficile. Nous avons dû apprendre à vivre sans électricité. Je plaisante toujours en disant qu'après la guerre, la nation ukrainienne sera la mieux préparée au camping car aujourd’hui chaque personne est équipée de générateurs, de briquets, sans oublier les batteries externes. Nous nous attendons à un nouvel hiver difficile, il est certain que les Ukrainiens s’attendent à une nouvelle vague d'attaques contre les infrastructures énergétiques. Nous sommes beaucoup mieux préparés et nous pouvons compter sur le soutien de tous nos partenaires. 

La Croix-Rouge française soutient la Croix-Rouge ukrainienne dans le cadre d’un projet de construction d’une école d’infirmières à Kyiv. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette collaboration ?

La Croix-Rouge française est un partenaire de choix en matière de soins infirmiers. Vous avez beaucoup d'expérience pratique dans ce domaine et c’est essentiel pour nous. Traditionnellement, la Croix-Rouge ukrainienne était très engagée dans les soins à domicile, avec des infirmières au service des personnes âgées. Aujourd’hui, nous constatons un manque d'infirmières en Ukraine. Nous avons également besoin de kinésithérapeutes. C’est pourquoi nous avons pour ambition de compléter le système national de soins infirmiers grâce à un institut de formation dirigé par la Croix-Rouge ukrainienne. Et l'idée de collaborer avec la Croix-Rouge française pour ce projet nous a semblé naturelle et logique, car vous êtes l'une des Croix-Rouge les plus expérimentées dans ce domaine.

Avez-vous un souvenir marquant à nous partager ?

Je me souviendrai toujours des trois nuits interminables au cours desquelles notre équipe d'intervention d'urgence était chargée de l'évacuation de 3 000 personnes à Mariupol. Ils ont passé ces trois nuits sur le territoire occupé sans connexion satellite. Initialement, ils devaient faire l’aller-retour dans une même journée. Nous avons perdu le contact avec eux dès les premières heures. Personnellement, c'était très dur à vivre car c'était de ma responsabilité, ce déplacement était ma décision. Cette première nuit sans nouvelles a été la plus difficile de ma vie parce que j'étais responsable de la vie des cinq personnes. Lors de la deuxième nuit, nous avons réussi à établir un contact qui nous a permis de les savoir vivants. Finalement, ils ont évacué bien plus de personnes que les 3 000 prévues. Ce fut donc une grande victoire pour l’équipe d'intervention d'urgence mais aussi un grand soulagement pour ma part de les voir revenir sains et saufs. 

Un mot pour conclure ?

Je pense que le temps n’est pas encore venu de conclure. Nous avons beaucoup à faire. Des moments difficiles nous attendent pour reconstruire le pays. Mais nous allons coopérer tous ensemble, et je crois que nous serons beaucoup plus forts car nous apprendrons les uns des autres.

Photos : Croix-Rouge ukrainienne / Croix-Rouge française

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