Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est le principal acteur humanitaire engagé sur le terrain, en Ukraine, en soutien de la Croix-Rouge ukrainienne. Intervenir en situation de conflit est sa mission historique. Cette mission s’appuie sur les Conventions de Genève et le droit international humanitaire. Un droit souvent méconnu qui est pourtant le fondement même de l’action humanitaire et le garant de la protection des civils.

Interview de Frédéric Joli, porte-parole du CICR en France.

Que fait le CICR dans le conflit ukrainien? Quel est son rôle?

Le CICR est présent depuis 2014 en Ukraine, depuis le conflit au Donbass. Nous avons renforcé notre présence - 600 membres - depuis l’extension du conflit à l’ensemble du pays, fin février. Nous nous sommes déployés sur l’ouest pour porter assistance à la population qui s’est retrouvée en insécurité ou déplacée, ayant tout perdu.

Concrètement, on fait de la protection et de l’assistance : nous cherchons à atteindre les hôpitaux, les populations piégées depuis des semaines dans des caves, dans des villes en guerre, en situation de pénurie d’eau, de nourriture, de soins…

Concernant la protection, nous sommes mandatés pour avoir accès aux prisonniers des deux camps, pour s’assurer qu’ils sont traités conformément au droit international humanitaire ; nous assurons la gestion des dépouilles mortelles, des cas de disparitions signalées… Bref, toute la palette des activités du CICR se retrouve sur le terrain ukrainien.

Comment se passe la coordination au sein du Mouvement Croix-Rouge ?

Depuis l’extension du conflit, la Croix-Rouge ukrainienne est le premier partenaire du CICR. Elle est en première ligne, soutenue par un extraordinaire élan de solidarité au sein de notre Mouvement international qui englobe les Croix-Rouge des pays limitrophes, dont la Croix-rouge russe, et européennes, ainsi que la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. C’est tout le Mouvement qui est mobilisé, ce qui représente une force colossale. Les dons, très importants, vont nous permettre de mener des actions dans la durée.

Il y a les actions qui se voient et celles qui ne se voient pas. Le CICR joue un rôle important dans la diplomatie humanitaire. Comment intervient-il ?

Historiquement, le CICR est une organisation diplomatique, c’est un négociateur, un intermédiaire neutre dans les conflits armés et il s’interpose entre les parties pour

proposer des solutions à caractère humanitaire et faciliter les échanges, pour porter secours à des blessés, évacuer la population, passer une ligne de front avec des convois et faire respecter l‘accès humanitaire.

Le CICR négocie donc pied à pied sur le terrain. Il a un dialogue confidentiel avec toutes les parties. Si les choses n’avancent pas, le président du CICR s’entretient avec les autorités des pays concernés. Ces négociations s’effectuent à tous les échelons de la hiérarchie, dans une préoccupation exclusivement humanitaire.

Le CICR est gardien des Conventions de Genève. Il les a écrites et tous les Etats les ont signées en 1949. Il n’est pas un juge, il n’a pas pour rôle de dénoncer des faits ou des allégations, mais de renvoyer à leurs responsabilités ceux qui commettent des exactions. Prendre parti, dénoncer, nous empêcherait d’avoir accès aux victimes du conflit, mettrait en danger nos personnels sur le terrain.

Le Droit international humanitaire (DIH) relève des Conventions de Genève. Que nous dicte-il justement ?

Le DIH nous dit que les civils ne font pas partie du conflit : il est interdit de s’attaquer aux civils ou aux infrastructures nécessaires à la survie de la population. L’Ukraine, comme la Russie, ont signé les Conventions de Genève, s’engageant ainsi à respecter le DIH en toutes circonstances.

Or, l’intensité d’émotion est telle dans les situations de conflit que l’on en oublie souvent de parler du DIH. Rappelons que le DIH n’est pas le droit du plus fort mais le droit du plus faible : celui qui est dans la pire des situations doit être protégé par tous les Etats signataires des Conventions de Genève.

Le DIH mériterait, selon moi, d’être mieux connu, mieux valorisé, pour avoir un regard plus éclairé sur le conflit ukrainien, comme sur la centaine de conflits qui se déroulent actuellement sur la planète.

Avez-vous les moyens d’agir en Ukraine, en dépit de l’insécurité permanente et lorsque ces règles sont bafouées ?

L’intensité du conflit est assez insoutenable, suscitant d’importantes difficultés de déplacement et d’acheminement de l’aide en raison de l’insécurité. C’est un gros défi logistique. Pour rappel, les membres du CICR ont dû rester cachés un certain temps dans des caves à Marioupol, notamment. Après la destruction de l’hôpital, à la mi-mars, nous avons fourni des stocks, des bâches, parce que le matériel était déjà sur place. On profite de la moindre trêve. Ce qui signifie que là où l’on peut faire, on fait, mais cela reste une goutte d’eau par rapport aux besoins qui ont explosé en à peine dix jours.  Toutes les conséquences du conflit se sont empilées sur la population en très peu de temps.

L’autre difficulté, c’est l’extrême volatilité, imprévisibilité des événements. On a du mal à accéder aux informations pour avoir une vision juste de la situation.

Ce conflit est-il différent des autres ? Quelles sont ses caractéristiques ?

Il a toutes les caractéristiques des autres conflits sur lesquels travaille le Mouvement Croix-Rouge : il touche des villes en guerre, donc des zones densément peuplées. L’utilisation d’armes à large rayon d’action impacte des civils qui devraient être épargnés par la guerre. On l’a vu à Marioupol, comme on l’a vu en Syrie ou au Yémen.

Ces guerres en ville provoquent de nombreuses victimes, des pénuries monstrueuses en très peu de temps (gaz, électricité nécessaires à la survie de la population). La guerre endommage aussi des infrastructures vitales pour la population : hôpitaux, écoles, etc. Le DIH interdit que les belligérants s’attaquent à ces infrastructures. A eux de veiller à les épargner.

En quoi l’emblème Croix-Rouge et nos principes sont une force dans la guerre ?

Dans la guerre il y a des limites et des règles ; on ne peut pas faire n’importe quoi. On n’a pas le droit de s’attaquer à la sécurité des civils, on n’a pas le droit de tirer sur l’ambulance, d’exécuter quelqu’un sans procès, de torturer… C’est ce qu’Henry Dunant exprime dans « Un souvenir de Solferino » : quand un soldat est blessé, il n’appartient plus à un camp. C’est l’humanité qui prévaut.

L’humanité est en quelque sorte le principe faîtier du DIH.Le CICR reconnaît trois principes en situation de conflit : l’humanité, l’indépendance et l’impartialité. L’impartialité nous dit qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise victime. C’est parce que nous apportons ces gages-là que nous parvenons à intervenir sur tous les terrains de guerre.

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