Elles ne se connaissaient pas il y a trois mois. Le conflit  les a réunies. Yuliya et Katarina, ces deux mamans ont fui l’Ukraine pour sauver leurs filles atteintes de cancer. Il aura fallu un long périple, beaucoup de solidarité et finalement un peu de chance pour qu’elles se retrouvent dans notre hôpital pour enfants malades de Margency, dans le Val-d’Oise. Témoignages.

L’une tient sa fille sur ses genoux. L’autre a posé sa main sur la jambe de la sienne, et réciproquement. On les sent soudées. Fusionnelles. Leur histoire est difficile et le miracle, proportionnel aux risques encourus pour arriver jusqu’ici. Yuliya a 28 ans et sa fille Paulina, bientôt 5. Toutes deux vivaient à Dnipro, proche du Donbass, avec le papa, resté en Ukraine. « La ville était plutôt épargnée, relate Yuliya, mais l’hôpital nous a prévenus qu’il serait compliqué de poursuivre les traitements de Paulina qui souffre de leucémie, car les médicaments allaient manquer ». C’est là que la Fondation Tabletochki intervient. Spécialisée dans l’aide aux enfants atteints de cancer en Ukraine, elle leur assure le transfert de Lviv, ville proche de la frontière polonaise, vers la France. Encore faut-il y parvenir. Yuliya part de Dnipro en bus. D’autres mamans et leurs enfants malades sont du voyage. Arrivés à bon port, tous embarquent à bord d’un avion affrété par la fondation. Cette évacuation d’enfants malades a pour nom opération Cigogne, mise en place depuis mars 2022 par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français.

Le 22 mars précisément, Yuliya et Paulina arrivent à Paris. Elles sont d’abord orientées vers l’hôpital Trousseau, puis très rapidement conduites à celui de Margency, un établissement de soins de suite et de réadaptation pour enfants âgés de quelques semaines à 18 ans. Un établissement, géré par la Croix-Rouge française, devenu leur lieu de vie. Paulina y est hospitalisée, ce qui ne l’empêche pas d’aller à l’école tous les matins (quand son état de santé le permet), et Yuliya est hébergée à la Maison des parents. Leur séjour est entièrement pris en charge par la sécurité sociale. « Paulina ne comprend pas grand-chose à ce qui se passe dans la classe, mais elle y va quand même. Comme ça, elle s’habitue au français », explique Yuliya qui d’habitude échange avec le personnel de l’hôpital de l’école via l’application Google trad.

Katarina, elle, parle bien l’anglais. Mais c’est en russe qu’elle relate son histoire et celle de sa fille Sofia, âgée de 11 ans. Mère et fille - les parents sont divorcés - vivaient à Kherson avant la guerre, une ville située non loin de la Crimée et l’une des premières à être attaquée par l’armée russe. Dès le 26 février, à la fin d’une session intensive de chimiothérapie - qui devra reprendre une quinzaine de jours plus tard -, elles prennent la route en voiture pour rejoindre des amis à 40 kilomètres de là. Les Russes avançant vite et les bombardements s’intensifiant, elles doivent repartir rapidement. « On a pris une route qui pouvait être bombardée à tout moment. Mais on n’avait pas le choix. Heureusement, on a pu atteindre Odessa où nous avons de la famille », relate Katarina. Odessa n’est qu’une étape car Sofia va devoir rapidement trouver un hôpital. Après des recherches infructueuses, la chance finit par leur sourire. De lointaines connaissances les mettent en relation avec des bénévoles ukrainiens basés en France qui eux-mêmes sont en lien avec l’hôpital Robert Debré. L’établissement accepte de les accueillir, mais elles doivent encore rejoindre Paris par leurs propres moyens. Le périple se poursuit en bus, d’Odessa jusqu’en Moldavie, puis ce sera la Roumanie et l’avion pour Paris. Trois semaines après leur arrivée, Katarina et Sofia intègrent enfin Margency.

L’hôpital de Margency, un autre monde

De la France, mères et filles ne verront pas grand-chose. Mais, cette expérience, aussi douloureuse soit-elle, met à jour de grandes différences avec leur pays. Notamment dans la prise en charge et le rapport au personnel soignant. Katarina raconte :

« Chez nous, les médecins et les infirmiers n’ont pas le temps de s’occuper des enfants et ne gèrent pas du tout les aspects émotionnels ou psychologiques liés à la maladie. Il y a beaucoup de froideur. Ici, c’est tout le contraire : quand les parents sont absents, une infirmière peut faire un câlin à un enfant s’il a besoin de réconfort. Et puis, l’hôpital fournit les médicaments et la nourriture ».

La nourriture est l’un des sujets de conversation entre les mamans et les enfants. « Ici, il n’y a pas de restrictions. Et puis, à l’heure du goûter, s’ouvre l’armoire magique où il y a des biscuits, de la confiture, des boissons... ça me rend heureuse ! », s’exclame Sofia. Aussi, le personnel s’adapte à chaque enfant, ils ont des attentions particulières. Tous les matins, j’ai droit à une omelette, par exemple, parce que c’est ce que j’aime au petit déjeuner ». La petite fille est intarissable sur son nouveau lieu de vie ; elle relate sans timidité ses moments de joie et ses coups de mou : « Grâce aux éducateurs, j’ai recommencé le sport. J’arrive à courir alors qu’avant j’étais trop faible. Depuis que je suis ici, mes jambes se sont renforcées. Et puis, j’aime bien aller à l’école. Le professeur essaie de me parler en anglais. Je progresse. Ce qui est le plus difficile pour moi, c’est l’absence de mes amis. Je n'ai personne avec qui échanger ».

Les différences culturelles sont difficiles à gommer, même si le personnel fait au mieux pour que tout se passe bien. « Pendant les soins, on passe de la musique ou on leur met un dessin animé. On s’adapte à chaque enfant. Et malgré des situations très compliquées - des papas absents, le conflit, la maladie... -, je suis admirative de leurs capacités de résistance et de résilience. Ils chantent, ils courent, ils rigolent... On se croirait dans une garderie ! », affirme Yasmine Belkebir, infirmière à Margency depuis un an et demi. Une prise en charge qui concerne également les parents à qui l’on propose des activités sportives ou culturelles, des massages pour se détendre... Sans oublier le parc où il y a des jeux pour enfants et « un personnel généreux et dévoué » que les deux mamans remercient chaleureusement.

Néanmoins, pour Yuliya et Katarina, la guerre n’est jamais loin. Toutes deux communiquent très régulièrement avec leurs proches restés en Ukraine. Et toutes deux souhaitent ardemment faire le chemin dans l’autre sens. « C’est très difficile d’être loin de ma famille. Dès que le traitement de Paulina sera terminé, à l’automne, et qu’on pourra démarrer les soins à la maison, j’y retournerai... quoi qu’il arrive. Si je n’avais pas eu d’enfant, je ne serais jamais partie », confie Yuliya. Le projet de Katarina est plus flou. Elle ne souhaite pas se réinstaller dans sa ville d’origine. Elle envisage d’acheter une maison dans l’ouest du pays ; un pays qui, selon elle, est bien plus uni aujourd’hui. « Je suis fière de mon peuple qui résiste, qui s’entraide », dit-elle en souriant. Nous nous quittons sur cette phrase en leur souhaitant le meilleur. Puis, Yuliya et Katarina repartent comme elles sont arrivées : aimantes et dignes.

Anne Dhoquois – Photos Leif Carlsson

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