Les visages sont reposés et les rires des enfants résonnent. A Thônes, en Haute-Savoie, un établissement dédié aux réfugiés venant d’Ukraine rayonne au beau milieu des montagnes. Voyage entre les murs de La Présente, où la chaleur humaine fait loi. 

Au bout de la route en lacet, dans les hauteurs de la ville de Thônes, il apparaît. Dans son dos, se dressent des montagnes verdoyantes et un ciel bleu sans nuage venant parfaire la photo. Il s’agit de l’ancien Ehpad de la ville, mué en centre d'hébergement Croix-Rouge depuis avril dernier. En quelques semaines seulement, il a été retapé à l’aidede nombreux bénévoles - y compris des professionnels - et répond désormais au doux nom de “La Présente”.

Mis à disposition pendant un an par la mairie, il accueille des personnes venant d’Ukraine pour qu’elles puissent y loger, apprendre le français et s’insérer dans le pays plus sereinement. On compte ici 105 adultes et 51 enfants. Une belle prouesse pour Pierre Levigneron, directeur adjoint du centre, qui ignorait tout bonnement si le site susciterait de l’engouement : “On ne savait pas du tout s'il allait être vide ou plein. Les familles, au départ, voulaient être dans les grands centres urbains, pas en Haute-Savoie !”

Mais la quiétude du lieu et son équipe encadrante ont eu raison des réticences. Après l’urgence, la fuite et l’errance, La Présente est devenue pour ces exilés un espace de confiance. Et pour quelque temps, leur deuxième maison.

Et la confiance fût

La confiance, ici, a plusieurs visages. Elle a celui de Dorine, travailleuse sociale du centre, celui de Viktor, traducteur russophone, mais aussi celui de Jean-Marc, Pierre, Alexandre, Simone ou encore Martine.

Qu’ils soient bénévoles ou salariés, tous œuvrent main dans la main pour assurer le bon fonctionnement de ce lieu pour le moins singulier à Thônes. “On est sur une petite commune qui, d’un coup, a accueilli 150 personnes”, souligne le directeur adjoint. Grâce à l’impulsion donnée par la ville et ses bénévoles, tout a pu être mis en place pour loger au mieux ces réfugiés. Simone, retraitée de 63 ans, en est le parfait exemple.

“Je suis venue apporter des oreillers et je ne suis jamais repartie”, embraye-t-elle, avec sa gouaille naturelle. Cette ancienne agent d’entretien a pris tout de suite ses marques entre les murs de l’ancien Ehpad, armée de sa précieuse étiqueteuse, vestige de sa vie professionnelle passée. Car Simone est une foudre d’organisation : depuis son arrivée, elle a pris soin d'apposer des étiquettes sur tous les placards - et il y en a beaucoup, des placards, mais a aussi trié et lavé les innombrables draps et vêtements donnés par les habitants de la ville. “Je n'ai jamais lavé autant de draps de ma vie… Heureusement qu’il n’y avait pas de fer à repasser”, confesse-t-elle.

Au-delà de l’intendance, Simone a découvert à La Présente un autre monde, entre exil et solidarité. “Ici, c’est d’abord des rencontres, ce sont des gens que je ne connaissais pas, venant d’un pays que je ne connaissais pas non plus. C’est très touchant ce qu’il s’est passé”.

Un village dans la commune

Dans les couloirs, on entend le rire des enfants, on croise des femmes et des hommes dans les cuisines préparant à manger - du traditionnel bortsch aux nouilles chinoises, en passant par les pizzas. Au sortir des cuisines, on tombe presque systématiquement sur David, arménien résidant en Ukraine avant le conflit, proposant du café a tous ceux qui croisent son chemin.

“David est drôle, confie Martine, professeure de français bénévole. Il n'écoute pas la moitié de ce qu’on dit dans le cours, mais à n’importe quelle heure où je le rencontre, il me propose du café”. C’est un peu ça, La Présente. De la convivialité. Des personnes très différentes, de tous âges et de toutes professions, se retrouvant à devoir vivre ensemble entre les montagnes. “On peut dire que c’est une communauté ici, on parle en ukrainien, on a des intérêts communs, des sujets de discussions”, explique Vladislav, installé avec sa femme et son fils de 10 ans.

Sous ses airs de mini-village - avec ses ateliers manucure, coiffure, ses cours de français, de sophrologie et sa grande cuisine commune, l’objectif premier du site reste celui d’insérer au mieux ces personnes dans la région. “Nous avons eu les chèques d’accompagnement personnalisé, en attendant qu’elles touchent l’allocation aux demandeurs d’asile. Et maintenant, il y a aussi des revenus de l’emploi classique : l’idée, c’est que tout le monde puisse aller faire ses courses et se débrouiller par soi-même. Il faut préparer l’après”, confirme Pierre Levigneron.  

Vers l’autonomie 

“Les gens se sont déjà autonomisés depuis l’ouverture du centre”, constate de son côté Viktor, traducteur-facilitateur du dispositif. Ancien moniteur de ski, Viktor donne le parallèle : “Il y a trois zones : celle du confort, celle de l’apprentissage et celle de la panique. Apporter de l’autonomie, c’est accompagner de la zone de confort vers la zone d’apprentissage mais contrôler que l’on ne traverse pas la zone de panique”. 

Cette émancipation individuelle et collective passe bien sûr par l’insertion professionnelle, très importante dans le cadre du projet. Une vingtaine d’adultes hébergés a d’ailleurs trouvé du travail, comme Katerine, pâtissière de formation. “Chaque jour, je cherchais du boulot, et puis j’ai vu une annonce. J’ai demandé à Olga, qui travaille ici et qui est russophone, de la traduire”. Après son entretien, Katerine signe dans la foulée son premier CDI en France. “Je fais du pain, des pâtisseries, des salades”, détaille-t-elle.

Puis il y a tous ceux qui étudient le français dans les cours de Martine ou d’Anya pour s’en sortir professionnellement. Comme Inessa, voulant définitivement en découdre avec la langue et ses conjugaisons. Avocate, elle ne peut exercer son métier dans le pays - le droit n’étant pas le même qu’en Ukraine, et est aujourd’hui femme de chambre dans un hôtel de Thônes. Pour d’autres, il est plus difficile de trouver un emploi, essuyant des refus et ne pouvant exercer le métier qu’ils avaient avant. Vladislav le confirme. Ingénieur, il ne trouve pas de travail, ni dans sa branche, ni ailleurs.

Au fil des jours, des joies et des coups durs, l’équilibre de La Présente se construit dans des eaux bien moins troubles qu’à son ouverture. Avec, comme le rappelle Dorine, le devoir de “veiller à ne pas créer trop d’inégalités entre les ressortissants ukrainiens, les autres réfugiés et les familles nécessiteuses, bénéficiant de minima sociaux.”

Julia Kadri

Photos : Nicolas Beaumont

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