A Amiens, la Croix-Rouge française propose des cours de français gratuits aux personnes exilées, notamment ukrainiennes. Face à la situation sur place qui s’aggrave et l’espoir du retour qui s’éloigne, celles-ci, jeunes et moins jeunes, sont de plus en plus nombreuses à venir assister aux cours dispensés dans la bonne humeur.

En apparence, c’est une salle de classe comme les autres. Des tables, des chaises, un tableau noir et une enseignante qui assure son cours. Mais ce sont les élèves qui ne sont pas ordinaires. Ici, à Amiens, dans les locaux de la Croix-Rouge française, les enfants ont été remplacés par des adultes. Des hommes et une majorité de femmes qui, tous, viennent d’Ukraine. Ils ont fui pour la grande majorité début 2022, peu de temps après le déclenchement de la guerre. Beaucoup viennent des zones situées vers la frontière russe et des villes les plus tragiquement frappées. 

Aucun d’entre eux ne parlait un mot de français en arrivant. Aucun d’entre eux ne pensait être encore là deux ans après. Mais la situation en Ukraine est telle qu’aujourd'hui, l’immense majorité de ces exilés ne se voit pas rentrer, en tout cas pas avant longtemps. Alors, puisque leur avenir semble être en France, il leur faut apprendre la langue. Et c’est là que nous intervenons en proposant, plusieurs fois par semaine, des cours de Français langue étrangère  (FLE) gratuits. Ils sont dispensés par Chantal, responsable du service FLE de la Croix-Rouge pour le département de la Somme. D’origine bulgare, elle parle couramment français, anglais et russe, une langue extrêmement proche de l’ukrainien. 

« Ils ont appris notre alphabet en une semaine »

En ce mercredi 14 février, deux cours se déroulent dans l’après-midi. Le premier s'adresse à un public plus avancé dans l’apprentissage du français. Ils sont huit, dont six femmes. On travaille sur une lettre type de candidature. On apprend comment dire expéditeur, prénom et nom, adresse, code postal et ville, numéro de téléphone, objet du mail. La professeure demande : « Quelle est la date d'envoi ? Comment on écrit les formules de politesse ? Est-ce que c'est clair pour vous ? Oui ? Alors on passe aux exercices. » Petite pause vocabulaire. « Ceci est une trousse, qu’est-ce qu’on peut mettre dedans ? » Les élèves répondent stylo, crayon… Elle dit « oui mais on peut aussi avoir une trousse à maquillage ». Puis on joue à changer des phrases en mettant tout au pluriel. « Ils veulent. C’est quel verbe veulent ? » Il faut aussi remettre dans le bon ordre les mots qui constituent des phrases. 

« Nous dispensons ici des cours de français à des personnes d’une cinquantaine de pays, explique Chantal. Les Ukrainiens sont très majoritaires. Ils ont fait beaucoup de progrès, ont appris notre alphabet en une semaine, demandent des devoirs à la maison… » « C'est très intéressant mais c'est aussi très difficile. La prononciation c’est le plus dur, les gens parlent vraiment très vite », expliquent Vyacheslav et Nataliia, réfugiés originaires de l’est de l’Ukraine. 

Leur cours se termine à peine qu’un deuxième commence, toujours assuré par Chantal. La classe est pleine, peut-être une quarantaine de personnes. Le plus jeune élève s'appelle Anatolii, il a 10 ans : « Si je n’apprends pas le français, à l’école personne ne peut me comprendre et je ne peux pas me faire d’amis », explique-t-il dans notre langue, lui qui est arrivé il y a quelques mois seulement. La plus âgée s’appelle Viktoriia. A 84 ans, elle est, avec lui, celle qui progresse le plus vite. « Nous n’avons pas le choix si nous voulons nous débrouiller dans la vie de tous les jours. Les commerces, le bus, l’administration, l’hôpital... Et aussi pour pouvoir échanger avec les gens. » 

Bénévole à la Croix-Rouge française, en charge de la mission de coordination de l’accueil des personnes ukrainiennes dans le département, Maxime ajoute : « Il va leur falloir obtenir un titre de séjour pour rester en France, avec un vrai projet de vie ici. Et cela passe par la maîtrise du français. La langue c'est la liberté. » 

« C’est difficile d’apprendre le français »

Chantal fait réviser les conjugaisons des auxiliaires être et avoir. Elle parle en français mais, parfois, recourt au russe pour se faire comprendre. Il faut faire passer des phrases de la forme affirmative à la négative. Les élèves répondent vite, même si certains s’interrogent sur certaines incohérences : « Pourquoi vous ne prononcez pas le S final dans des mots comme vos manteaux ? Pourquoi un X au pluriel de manteau alors que le pluriel normalement c’est un S ? » Chantal explique aussi que l’une des grandes différences entre l’ukrainien et le français est que dans la première langue, comme en allemand, il existe trois genres, masculin, féminin et neutre, plus des déclinaisons. Le genre des mots change : chien et chat se disent au féminin, table et chaise au masculin. Il faut donc tout apprendre par cœur. 

A un moment, la phrase proposée est : « C’est difficile d’apprendre le français. » Quelle est la forme négative ? « Ce n'est pas difficile d’apprendre le français » répond une élève. Une autre s’exclame en riant, et en français : « C’est faux ! » Tout le monde éclate de rire puis, le cours se terminant, remercie Chantal pour sa bienveillance et le temps qu’elle leur consacre. Olga, la soixantaine, coiffée d’un béret de laine, ajoute : « La culture française, pour moi c’est Maupassant, Balzac, Jules Verne, Émile Zola. Et la langue est si romantique ! C'est une mélodie, comme le chant des oiseaux. » 

Article : Alexandre Duyck I Photos : Nicolas Beaumont

À lire dans le même dossier