Depuis plus de dix ans, "L'Étape", l’épicerie sociale et solidaire du XVème arrondissement de Paris permet aux plus fragiles d’avoir accès à des produits alimentaires et d’hygiène à prix minimes. Un lieu précieux, quand, pour beaucoup, le quotidien ne tient plus qu’à un fil. Une "étape", pour ne pas basculer dans la grande précarité. Et pour parvenir à aider ces personnes, les dons - vos dons - sont indispensables. Alors du 25 mai au 2 juin 2024, venez à la rencontre de nos bénévoles, à l’occasion de nos Journées nationales qui permettent de financer nos actions locales !

C’est une adresse discrète - le rez-de-chaussée d’un immeuble parisien cossu, que rien ne distingue de ses voisins si ce n’est une grande croix rouge ornant une de ses vitres.  « Un logo que tout le monde connaît de par le monde. Comme le signe que l’on peut trouver là une présence, une aide pour garder la tête hors de l’eau », souffle Irina. Arrivée d’Ukraine il y a cinq mois tout juste, cette femme élégante craint de ne pas avoir les mots pour faire entendre ses « mercis » infinis adressés aux bénévoles des lieux. L’épicerie sociale ? Pour elle, dont l’allocation de demandeur d’asile oscille entre 190 et 210 euros par mois, c’est tout simplement… la possibilité de pouvoir manger « et donc de vivre », murmure celle qui n’a qu’une hâte : maîtriser suffisamment le français pour pouvoir trouver un emploi.

A ses côtés, quelques silhouettes, caddies en main ou sac à dos sur les épaules, patientent avec la même pudeur quand sonne 13h30 et que l’épicerie ouvre ses portes. Des femmes pour la plupart, quelques hommes seuls aussi. Comme André*, le visage fatigué, dont la petite retraite ne suffit plus à couvrir les frais du quotidien. « Quand on vit avec un salaire ou une retraite décente, on n’imagine pas que parfois, rien que pour quelques dizaines d’euros en moins, un petit rien peut venir gripper la machine ». Le litre d’huile qui passe d’un euro et quelques à plus de trois euros, la facture de gaz qui grimpe même quand on se chauffe à minima, une dépense de santé imprévue, des frais non pris en charge. « Un bain de bouche prescrit par le dentiste après une opération, vous savez combien cela coûte vous ? Près de 10 euros, et ça ne dure pas longtemps ». Alors on rogne, sur tout. Mais on a beau rogner, à un moment ce n’est plus possible. Une facture d’électricité ou un mois de loyer impayé, une bourse d’étude qui tarde à être versée quand on est étudiant, un emprunt que l’on ne peut plus rembourser car, licencié, on peine à retrouver un emploi « et c’est vite la spirale, la rue qui guette », souligne Marie-Odile, l’une des bénévoles des lieux. L’ancienne anesthésiste-réanimatrice qui a vu passer trop de grands précaires dans les couloirs de l’hôpital, le sait : dans ce contexte, l’épicerie sociale, c’est un peu le dernier barrage pour éviter que la digue rompe ; « un sas, souvent vital, pour continuer à tenir debout ».  

Éviter les choix impossibles

Laurence, co-responsable des lieux, opine. Il  y a onze ans, elle a co-créé l'Étape, première épicerie sociale parisienne de la Croix-Rouge, « pour parer, concrètement, à la détresse qu’elle voyait croître dans le quartier », écornant l’image d’un XVème arrondissement plutôt bourgeois. Depuis, le lieu ouvert tous les mercredis et jeudis après-midi entre 13h30 et 18h30 ne désemplit pas. Pour ses dix ans, il a fait les comptes : 104 tonnes d’aliments collectés et plus de 2 600 personnes accueillies, dont 356 étudiants - les jeunes ayant de plus en plus de mal à joindre les deux bouts.

« Aujourd’hui, nous accompagnons près de 120 familles, soit près de 500 personnes depuis le début de l’année. Des gens de tous profils, de tous âges, de toutes nationalités… de l’ancien sans-abri au cadre au chômage, sans compter les femmes seules avec enfants ou les personnes âgées aux ressources minimes. Les personnes réfugiées aussi - 15 familles ukrainiennes et un couple de réfugiés politiques russes en ce moment. Et des étudiants donc – un peu moins nombreux que durant la crise Covid, mais qui sont toujours une vingtaine à fréquenter l’épicerie ».

Étudiants et réfugiés sont accueillis le temps d’une année scolaire, les autres pour trois mois renouvelables et souvent renouvelés, le temps de se sortir d’un mauvais pas : une période de chômage, une dette de loyer ou une grosse facture d’énergie. Orientés vers l'Étape par les assistantes sociales qui les suivent, tous peuvent ici faire leurs courses à prix réduits, en ne payant que 20 % des prix affichés, déjà nettement plus bas qu’en magasin lambda.  Chacun dispose d’un budget hebdomadaire, en fonction de la situation familiale - 29, 48, 60, parfois 69 euros. « En fait, nous venons tous ici, chacun avec son histoire, pour reprendre pied en évitant les choix impossibles comme se nourrir ou se vêtir, manger ou se chauffer, se chauffer ou se soigner », commente Vanessa, mère de famille ayant repris des études de comptabilité en apprentissage.

Au rayon fruits et légumes où tomates, artichauts et asperges s’affichent à 2,50 euros le kilo, la jeune femme, végétarienne, laisse Mireille, l’une des dix bénévoles tenant ce jour-là la boutique, lui choisir les plus beaux poireaux du jour, les peser, et les ajouter à son panier. « 3 kilos 610, ça fait 9 euros », ce qui lui permet d’ajouter quelques yaourts, des œufs et un peu de poisson. Et « la » plaque de chocolat que Nadège ose désormais acheter chaque semaine pour faire un gâteau à ses deux fils,  la boule au ventre. Alors que le ballet des caddies emplit le local, Laurence fait dans un petit coin le point avec Désirée*. En quelques mois, grâce aux économies dans les dépenses du quotidien réalisées ici, la jeune femme a pu rembourser l’essentiel de l’argent qu’elle devait à EDF. Son petit garçon est désormais inscrit en crèche. Ne reste « qu’à trouver un travail », murmure-t-elle. « Vous qui êtes une pro du ménage, avez-vous songé à démarcher crèches et maisons de retraite du quartier ? Elles recrutent beaucoup en ce moment », interroge Laurence. Désirée n’y avait pas songé. Et puis elle craint que sans CV… Laurence la rassure, l’oriente vers l’unité locale qui pourra l’aider à la rédaction de celui-ci. « Allez, ça va aller. Dans quelques temps, vous passerez sans doute juste pour nous dire bonjour ! »

Dons et débrouille

Aider à remonter la pente. Voilà ce qui tient l’équipe des lieux, consciente que l’enjeu est vital pour tous ceux qui passent le pas de la porte - en ce moment tout particulièrement. L’inflation, synonyme de hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation, fragilise encore plus ceux qui, chaque jour, vivent sur le fil.

Une inflation qui touche d’ailleurs l’épicerie elle-même.  

« Chaque mois, explique Laurence, nous avons environ 3 000 euros de frais. Un gros loyer - près de 2 600 euros, environ 50 euros pour internet et quelque 130 euros pour l’électricité. On ne chauffe pourtant quasiment plus, mais on ne peut pas descendre plus bas, rien que pour faire fonctionner nos quatre frigidaires et nos deux congélateurs, c’est minimum 100 euros par mois. Il y a aussi les frais d’entretien de nos deux véhicules, indispensables pour pouvoir assurer les ramasses en grandes surfaces - un berlingo et une voiturette électrique, que l’on risque de devoir bientôt changer. Côté rentrées d’argent, en ce moment, nous sommes à environ 2 400 euros - un bon chiffre, provenant pour l’essentiel des produits des ventes à l’épicerie. Mais après, on complète comme on peut. On a une subvention de la mairie de Paris, quelques dons individuels… Et, très important, le produit d’une partie de la quête annuelle réalisée par l’unité locale ».

« L’an dernier, dans le 15e, les journées nationales de collecte nous ont permis de récolter une somme qui s’est avérée cruciale pour assurer les différentes activités de l’unité locale, au premier rang desquelles l’épicerie sociale », insiste Laurence. Ces dons permettent en effet d’assurer une partie des frais de fonctionnement incompressibles du lieu (l’assurance des véhicules, les indispensables rames de papier et cartouches d’encre, etc.) et, surtout, de parer aux imprévus, comme le remplacement, coup sur coup ces deux dernières années, des quatre frigos de l’épicerie. Continuer à mobiliser est donc impératif. Car là, la batterie de la voiturette électrique commence à faire des siennes. La carte électronique d’un des frigos aurait aussi besoin d’être remplacée. Il faudrait pour ça compter 600 euros.

Cette partie immergée de l’iceberg permettant à l'Étape de continuer à offrir à ceux qui en ont besoin la possibilité de « venir faire ses courses » reste sans doute invisible à nombre de ceux fréquentant l’épicerie. Et tant mieux. Tout comme l’énergie déployée par l’équipe lors des ramasses dans les grands magasins, trois matinées par semaine, complétées, lorsqu’un produit manque, par une virée à la Banque alimentaire, voire par quelques achats en grandes surfaces pour ce qui est rarement donné - le lait et le beurre, par exemple.  Mais il y a la reconnaissance, pudique, qui se lit dans les yeux de chacun et se dit parfois. Benoît, 58 ans, qui s’est endetté alors qu’il était malade, ne cesse de remercier et commente - « ici, ça va au-delà de l’aide alimentaire, pourtant déjà précieuse. Il y a de l’humanité, de la bonté, de la chaleur. »

Leila*, qui s’est arrêtée, ébahie, devant les asperges et les fraises dans le rayon fruits et légumes, sourit. « Ici, on n’est plus "moins que rien". On fait ses courses, on peut choisir, on paie, même si c’est peu, pour des produits de qualité. A l’épicerie, on peut avoir une botte de radis et un brin de dignité. »   

*certains prénoms ont été modifiés, par souci d’anonymat

Texte Emmanuelle Debelleix - Photo Leif Carlsson

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