En à peine quelques mois, la Pologne a profondément changé. Des milliers de réfugiés venant d’Ukraine passent ses frontières depuis que le conflit armé gronde en leur terre. A Varsovie, de nombreuses femmes ont posé leurs bagages, désorientées, enfant(s) sous le bras. Comme Yullia, viscéralement tiraillée entre rentrer chez elle et rester ici, à l’abri.

Et puis soudain, les bombes. Yullia était en route pour son travail ce 24 février lorsqu’elle a appris que le conflit avait pénétré dans son pays. Conflit aux airs de maladie grave gangrénant peu à peu chaque ville et poussant ses habitants - et surtout ses habitantes - à fuir. Comme pour beaucoup d’Ukrainiennes croisées à Varsovie début mai, la guerre fut une surprise. “Avant ça, je préparais mes vacances. Je voulais aller à la mer, sur la côte d’Azur, en France !”. Encore aujourd’hui, elle n’ose regarder le conflit dans les yeux : “La guerre n’était tellement pas prévisible, et je n’arrive toujours pas à croire que c’est en train d’arriver”.

En l’espace de quelques semaines, la capitale polonaise s’est transformée. Marquée par l’exode massif qui converge vers elle, notamment dans les grandes villes, à l’instar de Varsovie qui abrite aujourd'hui près de 300 000 Ukrainiens, soit près de 20% de sa population.

Un exode au visage féminin, comme celui de Yullia.

Traverser un pays en guerre

Ce jeudi de février, à Kryvyï Rih, Yullia s'était levée tôt pour démarrer sa journée de commerciale dans un magasin de fournitures. Sans savoir que ce matin-là serait la date d’un basculement historique dans son pays. Jusqu’au coup de fil de sa sœur, annonçant la sentence. “La guerre a commencé”.

Peu de jours après cet appel, le 7 mars précisément, la mère de famille a pris la décision de quitter son pays. “L’évacuation était difficile, les trains étaient annulés à cause des bombardements. L’électricité se coupait. Ils ont dû changer leur itinéraire en fonction des attaques. Les employés ferroviaires n’étaient pas en capacité de donner des informations fiables. C’était très dur de trouver une place”, se souvient-elle.

Depuis quelques semaines, elle se trouve en sécurité dans un foyer pour mères célibataires, géré par l’ONG Open Dialogue Foundation, non loin du centre-ville de Varsovie. Elle y loge avec d’autres mères, qui comme elle, survivent ici avec leurs enfants.

Exil traumatique

Cette tragédie n’épargne personne, pas même ceux qui la fuient. Les femmes réfugiées en Pologne portent toutes les stigmates du conflit armé. Quand une porte qui claque ne leur rappelle pas les bombes ; l’exil, l’incertitude et les ruptures familiales les plongent dans une détresse vertigineuse. Tout est d’une extrême violence, même à l'abri des combats. Lorsque Yullia parle, ses lèvres tremblent, ses bras s’agitent, et des plaques rouges envahissent sa peau en même temps que les larmes coulent sur ses joues. Ce qui la fait tenir, c’est son fils de 13 ans, Bogdan. Il est “sa force”.

“Il essaye de m’expliquer qu’il est heureux ici, qu’il a des amis, une école. Il me dit qu’il est capable de rester là un moment, et de rentrer plus tard à la maison. Mais, il est très proche de son père, il lui manque beaucoup. On s’appelle tous les jours. Il a juste besoin d’entendre que son père va bien”, raconte-t-elle. Pour ces mères en fuite, les enfants sont leur force et leur faiblesse. Ils leur permettent de continuer à vivre et les confrontent à la fois à l’horreur absolue de n’avoir d’autre choix que de leur offrir une vie d’insécurité et de déroute.

Retourner en Ukraine

“Mon mari a essayé de me convaincre de rester en Pologne, mais je veux rentrer à la maison”, avoue Yullia. Pour elle, comme pour tant d’autres, la Pologne est juste un entre deux, en attendant des jours meilleurs, pour rentrer, enfin. “Avec mon fils, on pense à revenir, pour rejoindre mon mari. Bogdan me dit que, quand on sera prêt, on pourra rentrer”.

"Retrouver la maison" est une idée fixe pour la jeune femme brune. Les trains au départ de Varsovie pour Kyiv sont d’ailleurs pleins pour les 3 semaines à venir, témoignent les associations locales. “C’est un temps très difficile pour nous”, confie l’Ukrainienne. Depuis son arrivée en Pologne, elle cherche en vain un emploi, sans offre décente à la clef. “Je n’arrive pas à trouver de travail ici, je ne parle pas polonais, et même si je prends des cours, cela prend du temps d’apprendre une langue”.

A travers les mots de Yullia, une prise de conscience opère, fatalement. Celle de savoir que, brusquement, tout peut s’effondrer. Le quotidien, les projets. Et ne restent alors que les souvenirs. Comme l’odeur de son mari et la quiétude envolée de sa maison.

Crédit photo : Benjamin Decoin

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