Présents en Ukraine de 2006 à 2020, nous avons rouvert une délégation à Kyiv en septembre dernier pour aider la Croix-Rouge ukrainienne et les nombreux acteurs déployés sur place. Benoît Lemaitre, le chef de la délégation Croix-Rouge française, assure cette mission de coordination et de lien. Il nous raconte son quotidien, l’engagement des volontaires, le courage de la population, malgré la guerre, malgré l’hiver et les privations.

Vous avez été envoyé en mission sur de nombreux territoires en guerre, dans quelles conditions travaillez-vous ici à Kyiv ?

Toutes mes missions se sont déroulées dans des contextes de conflits armés, à des intensités plus ou moins importantes. Lorsque j’étais au Yémen, par exemple, l’environnement était beaucoup plus hostile à l’égard des humanitaires qu’en Ukraine. Ici, le danger existe, bien sûr, mais reste bien moindre dans la capitale que sur la ligne de front.

Néanmoins, depuis l’automne dernier, des bombardements surviennent en moyenne tous les dix jours. Il faut se tenir prêt à tout moment à rejoindre le sous-sol d’un bâtiment, un passage souterrain ou une bouche de métro. J’ai toujours mon ordinateur portable sur moi et des batteries chargées à fond en cas de coupure de courant pour pouvoir travailler n’importe où, n’importe quand. Et puis, le fait que l’espace aérien du pays soit totalement fermé est particulier aussi. Dans tous les pays où j’ai précédemment travaillé, il y avait au moins des lignes humanitaires. Or, quand le mode d’évacuation le plus rapide et le plus sûr ne fait pas partie des possibilités, cela change considérablement la donne.

Que faites-vous sur place ?

Mon rôle est d’abord de représenter la Croix-Rouge française sur place. J’interagis avec les multiples acteurs du Mouvement Croix-Rouge présents : le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la Fédération internationale (IFRC) et les autres sociétés nationales partenaires - il y en a une quinzaine. Nous nous réunissons régulièrement pour traiter de nos actions, de sécurité, de problématiques opérationnelles, d’organisation… et nous sommes en lien constant avec la Croix-Rouge ukrainienne pour répondre au mieux à ses besoins et être le plus complémentaires possibles sur le terrain. Le principal enjeu est la coordination, c’est un challenge permanent dans une crise humanitaire comme celle-ci, qui concentre autant d’acteurs humanitaires.

Comment se sentent les volontaires de la Croix-Rouge ukrainienne à Kyiv, au bout d’un an de conflit ?

Compte-tenu du nombre d’acteurs mobilisés et de l’immensité des besoins humanitaires, la Croix-Rouge ukrainienne est très sollicitée. Elle grandit et se transforme petit à petit, pour devenir un acteur local incontournable. Même après une année d’intensification d’un conflit qui, je le rappelle, a débuté en réalité en 2014, les volontaires semblent garder la même motivation et la même énergie.

À Kyiv, ils sont mobilisés pour des activités de soutien à la population face aux coupures de courant générées par les bombardements. Leurs équipes de secouristes interviennent également en urgence pour épauler les autorités, en cas de frappes aériennes et lorsqu’il y a des victimes parmi la population civile. Ils mènent également des campagnes de distributions de vivres et de kits d’assistance, notamment pour venir en aide aux civils qui ont fui des zones de combat.

Dans quel état d'esprit se trouve la population justement ?

La solidarité des Ukrainiens et leur optimisme sont remarquables. La population de Kyiv est assez résiliente, comme dans d’autres endroits du pays. Le couvre-feu limite les sorties nocturnes et les alertes rythment leur vie, mais les gens gardent espoir que le conflit va cesser et essaient de vivre normalement. Par exemple, le club de boxe près de mon hôtel est toujours ouvert. Il y a peu, j’ai assisté à un cours de danse donné dans les couloirs du métro. Une institutrice y a aussi été prise en photo en train de faire cours à ses élèves durant une alerte. Les gens doivent tant bien que mal continuer à travailler, à se divertir et trouver des sas de décompression. C’est aussi cela qui leur permet de tenir.

Et pourtant, l’hiver est rude en Ukraine. Dans quelles conditions vivent-ils ?

Depuis l’automne dernier, les bombardements se sont répandus dans des grandes villes éloignées de la ligne de front, comme Kyiv, Lviv ou Vinnytsia. Ces attaques ont gravement endommagé les centrales électriques, ainsi que les infrastructures de traitement des eaux. En conséquence, la plupart des grandes villes sont incapables d’assurer une alimentation en électricité pour tous les quartiers en même temps. Des coupures ont lieu régulièrement, ce qui se répercute souvent sur les systèmes de chauffage. C’est d’autant plus problématique dans les zones de combat. Par exemple, la région de Kherson a été tellement détruite que les autorités ont recommandé à la population de partir pour l’hiver, le temps de réparer les systèmes électriques et de déminer les zones précédemment occupées.

La Croix-Rouge française participe justement à la campagne de « winterization », selon le terme utilisé par l’ensemble du Mouvement Croix-Rouge. Il s’agit de répondre aux besoins spécifiques de cet hiver. Par exemple, nous avons acheté pour la Croix-Rouge ukrainienne plusieurs milliers de couvertures renforcées qui seront distribuées aux ménages les plus vulnérables.

Quelles autres actions concrètes menons-nous en Ukraine ?

Nous avons distribué des milliers de kits d’hygiène et de kits alimentaires depuis février 2022. Ces kits ont été donnés aux réfugiés fuyant l’Ukraine, mais aussi aux personnes déplacées dans toutes les régions du pays. Au total, ce sont près d’un million de kits qui ont été distribués, ce qui fait de la Croix-Rouge française un acteur majeur en matière d’aide d’urgence. Par ailleurs, des camions ont été donnés à la Croix-Rouge ukrainienne pour faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire dans les régions les plus impactées par le conflit. D’autres camions seront acheminés au printemps prochain.

Quels sont les autres projets à venir et vos espoirs pour la suite ?

Un infirmier expert en gestion des premiers secours est arrivé en ce début d’année à Kyiv. Nous allons ainsi pouvoir développer les formations des volontaires et de la population aux gestes qui sauvent. La Croix-Rouge ukrainienne souhaite notamment développer la formation de personnes en situation de handicap, qui sont hélas de plus en plus nombreuses - c’est une conséquence directe du conflit - , et des formations courtes autour de gestes clés (gestion des hémorragies, traumatismes, engelures en particulier) à destination du grand public. Des formations au soutien psychologique vont également être enrichies.

Enfin, des actions plus larges de santé sont envisagées. Ces actions s’inscrivent donc dans la durée. Car si la guerre n’est pas terminée et requiert d’agir dans l’urgence, elle implique aussi des actions de préparation et d’anticipation sur du long terme. A travers notre soutien, nous contribuons donc aussi à rendre la Croix-Rouge ukrainienne plus forte pour faire face aux crises demain.

Géraldine Drot

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