Les attentats du 13 novembre 2015 ont marqué un tournant décisif dans notre manière d’intervenir sur le terrain. Si le déclenchement du dispositif ARAMIS (Actions régionales sur accidents multi-sites et interventions spécifiques) a permis une réponse rapide et coordonnée, cette nuit tragique a aussi mis en lumière les risques encourus par nos secouristes. Dix ans plus tard, ces enseignements nourrissent encore notre réflexion sur la préparation et la sécurité des volontaires en situation de crise. L’analyse de Philippe Testa et Stéphane Casati, tous deux membres de la Direction nationale de l’Urgence et des opérations.

Pouvez-vous nous rappeler l’origine du plan ARAMIS ?

Philippe Testa, adjoint au directeur de l’Urgence et des opérations : Le plan « ARAMIS » est né d'une réflexion amorcée après une série d'attentats survenus au cours des années précédentes : ceux du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à Manhattan tout d’abord, puis deux événements décisifs survenus quelques années plus tard : le 11 mars 2004, sept bombes explosent dans plusieurs trains en gare d'Atocha à Madrid, trois autres dans des gares de banlieue. Le 7 juillet 2005 c’est Londres qui est frappée. Quatre explosions simultanées se produisent dans le métro et un bus, perpétrées par des kamikazes. Nous nous sommes alors posé légitimement cette question : et si cela arrivait à Paris ? Que ferions-nous en cas d'attaques coordonnées sur plusieurs sites, entraînant des risques concomitants de sur-événement ou de sur-accident ? C’est comme cela que le plan ARAMIS Ile-de-France a été écrit en 2006. Et puis, sont arrivés les attentats de 2015.

Qu’ont changé les attentats du 13 novembre 2015 dans nos modes d’intervention ?

Philippe Testa : Pour faire face à des événements multi sites comme ceux que nous avons vécus cette nuit-là, la nécessité de mettre en place une coordination au niveau régional s’est imposée. Cette organisation s’est avérée primordiale et efficace pour répondre à des demandes spécifiques, à la fois sur le théâtre des fusillades et sur des événements périphériques. Nous avons mis en place des Points de rassemblement des moyens (PRM) positionnés à distance des attaques et à trois endroits différents. Cette stratégie évite d’une part un engorgement des secours et permet, d’autre part, de disposer de ressources mobilisables pour toute autre action, comme la prise en charge de centaines voire de milliers de personnes, leur mise à l’abri, l’apport d’eau, de nourriture, de couvertures, de soutien psychologique, etc. 

L’année suivante, ce dispositif a été calqué dans 13 villes et métropoles qui accueillaient l’Euro 2016 de football. C’est ce qu’on a appelé le Plan de préparation aux nouvelles menaces (PPNM) qui vise à mieux préparer et accompagner nos volontaires  susceptibles de se retrouver sur des situations à risques. 

Qu’entendez-vous par nouvelles menaces ?

Stéphane Casati, responsable du pôle préparation et opérations : Nous ne sommes plus dans la configuration des années 80 et 90. Je pense aux attentats à la bombe comme ceux de la rue de Rennes ou dans la station de métro Saint-Michel à Paris. Les nouvelles menaces, aujourd’hui, ce sont les actes isolés, de plus en plus fréquents : des attaques au couteau dans les villes comme à Annecy en juin 2023, sur le marché de Strasbourg le 11 décembre 2018, ou encore dans un train à Cambridge le 1er novembre dernier. Je pense aussi à des attaques à la voiture bélier, comme à Nice le 14 juillet 2016 et tout récemment sur l’île d’Oléron. Ces actes sont impossibles à anticiper et nécessitent des modes d’intervention et de réponse différents.

Philippe Testa : Le PPNM a imposé la protection de nos volontaires comme priorité numéro 1. Aucun auto-engagement, c’est le mot d’ordre ! On attend le GO du centre opérationnel national pour intervenir. Il y a 3 zones d’intervention en cas de crise. On ne doit en principe pas être présents en « zone chaude », c’est-à-dire là où existe une menace immédiate (risque d’explosion, de tir, d’attaque, etc.). Les attentats de 2015 ont mis certains volontaires en danger. C’est un scénario qui ne doit plus se reproduire. Nous privilégions la sécurité de nos intervenants avant tout. De même, le soutien psychologique des volontaires est devenu systématique, après chaque opération difficile. Notre pôle Soutien psychologique, intégré à la direction de l’Urgence et des opérations, a mis au point un référentiel technique pour préparer les équipes dans le cadre de leurs missions et assurer un suivi après des événements potentiellement  traumatisants. 

Les équipes elles-mêmes sont formées au soutien psychologique, pas seulement les secouristes mais tous les bénévoles susceptibles d’être mobilisés sur des situations d’exception et d’être au contact de toute forme de détresse humaine, que ce soit dans un centre d’hébergement d’urgence, un centre d’accueil des impliqués, ou lors d’une activité d’aide alimentaire. 

A propos de formations, nos volontaires sont-ils formés spécifiquement aux attentats ou nouvelles menaces ?

Philippe Testa : Tous les territoires ont été incités à se former en 2016. Nous avons conçu un module de 2 heures dans le cadre de la formation continue obligatoire, qui présente les nouvelles menaces et, en réponse, les moyens de se protéger et les différentes missions en situation d’exception. Un deuxième module obligatoire concerne les chefs d'intervention qui dirigent des équipes sur des situations d'urgence. 

Le dispositif ARAMIS qui a fait ses preuves en 2015 a aussi été exporté. En 2017, il est devenu un projet européen nommé MERCI (financé par le département de la Commission européenne chargé de l'aide humanitaire et de la protection civile à l'échelle internationale). Il a été adopté par les Croix-Rouge espagnole et italienne par exemple, qui ont formé leurs volontaires sur notre modèle et revu leur organisation interne afin de centraliser leurs moyens pour mieux répondre aux crises.

Stéphane Casati : Et puis, nous avons présenté en 2018 aux Croix-Rouge européennes un nouvel outil, créé justement après les attentats de 2015 : Minutis. Son efficacité a séduit tout le monde ! À l’époque, nous avions peu de moyens de communication, à part le téléphone, la radio et un tableau Excel ! Nous avions besoin d’un outil capable de gérer les moyens disponibles et de géolocaliser en direct nos véhicules et nos équipes. Ainsi est né Minutis, utilisé aujourd’hui sur chaque crise mais aussi sur des missions du quotidien. Nos voisins espagnols et portugais se sont appuyés sur cet outil eux aussi pour coordonner leurs interventions lors des incendies survenus ces dernières années, ou encore lors des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) à Lisbonne en 2023.

Qu’est-ce qui pourrait encore être amélioré ?

Stéphane Casati : Il est absolument nécessaire de participer au maximum à des exercices d’entraînement impliquant de nombreuses victimes dans les départements. Nos volontaires doivent être sensibilisés à l’organisation des secours et aux modes de réponse de l’État pour être prêts lors de situations d’exception. On sait parfaitement que sur des événements multi sites, on ne peut pas agir seuls. Il faudrait, idéalement, réunir tous les acteurs concernés - police, pompiers, CUMP, services médicaux, etc. lors de journées d’exercices sur le modèle de celui organisé en novembre 2016 sur notre ancien siège rue Didot ou de la Journée nationale de la résilience le 13 octobre. 

Philippe Testa : L’autre priorité, c’est la nécessité pour les citoyens de se former aux gestes qui sauvent. Stopper une hémorragie, faire un garrot… tout le monde devrait savoir le faire ! Il ne s’agit pas de vivre dans la paranoïa mais d’être capable de réagir si l’on est témoin d’un accident ou d’une catastrophe, d’être acteur plutôt que spectateur impuissant ou paniqué. “Adoptons les comportements qui sauvent” est d’ailleurs devenu Grande cause nationale en 2016, dans la foulée des attentats, et nous avons enregistré une nette augmentation des inscriptions à nos formations. Néanmoins, les Français restent toujours trop peu nombreux à être formés et il faut sans cesse rappeler nos messages, sensibiliser les citoyens à cette priorité.

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