Ils ont vécu cette nuit tragique sur le terrain ou à l’arrière. Près de 400 intervenants ont été mobilisés pour porter secours aux victimes, les évacuer, réconforter leurs proches et les témoins, assurer les navettes vers les hôpitaux, et en coulisses organiser toute la coordination des opérations. La nuit du 13 reste vivace dans l’esprit de chacun d’eux, comme si c’était hier. Ils nous racontent comment ils ont traversé ces moments terribles.

Stéphane Casati, responsable du pôle Préparation et opérations à la direction de l’Urgence et des opérations.

Ce soir-là, je suis chez moi quand les premières images de détonations au Stade de France sont diffusées à la télévision. Florent Vallée (responsable du pôle Opérations en 2015) m’appelle et nous convenons de nous rejoindre au centre opérationnel, au siège de la Croix-Rouge. Il est environ 21h30. Les messages radio fusent non-stop dans le bureau, les fake news se mêlent aux vraies informations. On n’arrive pas à fixer le périmètre des événements, on entend tout et son contraire.

Je file d'abord au-devant des équipes basées au Stade de France, le premier site touché. Puis, je fais le tour des points de rassemblement des moyens (PRM) à Boulogne-Billancourt (92) et à Limeil-Brevanne (94) afin d’échanger avec eux, de les informer au fil de l’eau. On ne sait pas encore que le Bataclan a été pris d’assaut. Il se passe environ 2 heures entre les fusillades aux terrasses parisiennes et au Stade de France et les événements du Bataclan.

Je me souviens en particulier de la gravité des volontaires au moment du briefing. Chacun a conscience qu’il vit une situation inédite, pour laquelle il n’a pas été préparé. Nous ne sommes pas coutumiers d’attaques armées en Ile-de-France…

Zakaria Mahdi, responsable des opérations de secours et directeur adjoint des secours de la Croix-Rouge de Paris en 2015.

Ce soir-là, je m’en souviens bien sûr. C’était une soirée particulière, il faisait très doux, les terrasses de café étaient remplies. A 21h45, on reçoit une première alerte au Stade de France “morts… explosion…” Mon chef me crie : “Allez les aider ! ”. Une équipe part là-bas, en appui de la délégation territoriale DT 93, une autre, la mienne, file vers la place de la République. Sur le chemin, on entend sur les ondes de notre radio qu' “il y a une explosion sur le boulevard Voltaire”… On commence à parler d’attentat, tout est suspect, on est hyper vigilants.

Une fois sur place, on comprend très vite la gravité de la situation. On perçoit des bruits de tirs, tout le monde est terrifié, on essaie de se cacher derrière nos véhicules. Ce sont les bruits du Bataclan qui résonnent jusqu’à nous. On commence à organiser un Poste médical avancé (PMA) : les urgences relatives dans un restaurant japonais, les urgences absolues au café Royal et les personnes impliquées dans un autre café. C’est là que commence ce qu’on a tous appelé "la nuit de l’horreur". Les pompiers faisaient un premier tri dans le Bataclan, ils emmenaient les victimes jusqu’à nous, puis un second tri en fonction de la gravité des situations, et après, on gérait les évacuations vers les différents hôpitaux. Les impliqués qui n’étaient pas blessés mais complètement choqués étaient pris en charge dans les bus de la RATP jusqu’à la mairie du XIème où un soutien psychologique était assuré par nos volontaires et la Cellule d'urgence médico-psychologique (CUMP). On n’a pas arrêté jusqu’à 4 heures du matin.

Le lendemain, on est allés à l'École militaire pour accueillir les familles des victimes. On les accompagnait jusqu’au box où les attendait un procureur de la République pour leur annoncer si leur proche était pris en charge à l’hôpital, disparu ou décédé. Et on les soutenait à la sortie des box. C’était très dur.

Roger Fontaine, président de la délégation territoriale du 93

J’étais au Stade de France le soir du 13 novembre en tant que chef de dispositif pour assurer la sécurité des spectateurs du match de foot. Vers 21h15, alors que je discutais avec le médecin du SAMU, on entend une explosion. Tout le monde cherche la cause sur les écrans des caméras de surveillance. Rien. On pense à un bruit de pétard. Deuxième explosion quelques minutes après. On décide alors de confiner les spectateurs dans le Stade, les grilles sont fermées et les téléphones portables sont brouillés pour éviter de provoquer des mouvements de panique. La décision est prise de laisser continuer le match.

Je sors avec un collègue pour voir ce qui se passe. Il y a plusieurs corps au sol. Tandis que les pompiers et les policiers arrivent, je rentre dans le Stade pour organiser la suite. On attend les ordres pour savoir si on doit préparer un accueil des impliqués. Le match se termine, les gens sortent d’un seul côté. Troisième explosion vers le Mac Do qui provoque un mouvement de foule. Les gens, paniqués, reviennent vers le Stade pour se mettre à l’abri. On les laisse entrer sur la pelouse. On prend en charge les plus choqués. Puis, on assure la sécurité des spectateurs jusqu’aux gares pour qu'ils rentrent chez eux. C’est une nuit qu’on n’oubliera jamais.

Philippe Testa, adjoint au directeur de l’Urgence et des opérations, cadre supérieur de santé.

En tant que vice-président de la délégation territoriale des Hauts-de-Seine, je reçois une alerte. Des fusillades ont eu lieu dans Paris. Une colonne de renfort est constituée et se met en route immédiatement. Nous passons à proximité d’un des deux postes médicaux avancés, la Brasserie “La Royale”. Les véhicules avancent au pas, le secteur est embouteillé. Eric Dufour, directeur territorial de l'Urgence et du secourisme (DTUS), de Paris m’aperçoit alors et me demande de le rejoindre. Nous prenons ainsi en charge une femme blessée par balles et l’évacuons à l’Hôpital Beaujon, à Clichy.

Plus tard, vers 3 heures du matin, alors que mon équipe est positionnée en retrait, non loin du Bataclan, je vois des personnes déambuler lentement sur le boulevard, cheveux ébouriffés, hagards, certains avec des couvertures de survie sur le dos, d’autres à peine couverts. Je m’approche d’un homme et lui demande s’il cherche quelque chose. Le regard perdu, il demande : “Mais où est ma fille ?” Je comprends alors qu’il sort du Bataclan, comme sans doute tous ces gens qui errent dans la rue. Je me renseigne pour savoir si on a prévu un dispositif pour prendre en charge les victimes non blessées. De fait, un centre d’accueil vient d’être ouvert à la mairie du XIème arrondissement pour leur procurer un soutien psychologique. Fin de mission pour moi.

Aussitôt rentré chez moi, j’allume la télévision. C'est en entendant le récit des attaques et le bilan très lourd que je réalise ce qui s’est passé. Lorsqu’on est en mission, on n’a pas la vision d’ensemble des événements, on est focalisé sur ce que l’on fait. Je n’ai pas pu fermer l'œil de la nuit et ces évènements m’ont habité un certain temps. D’autant plus que d’autres évènements vont suivre, quelques jours plus tard, à Saint-Denis.

Camille, secouriste à la direction territoriale (DT) 75.

Ce soir-là, j’étais en poste de secours pendant une soirée étudiante, dans le XIe arrondissement. Je faisais régulièrement des gardes à la caserne des pompiers, à l’époque. Je commence à recevoir des messages de leur part. Ils nous conseillent de nous confiner à l'intérieur de l’école. A la radio, les informations sur les évènements sont encore floues. Puis, le cadre de permanence intervenu sur les terrasses appelle du renfort. On ferme les portes de l’école. On était une petite dizaine de secouristes sur place. Certains restent auprès des étudiants tandis qu'une autre équipe dont je fais partie part en directions du Comptoir Voltaire.

Sur place, c’était très compliqué de comprendre la situation. On a commencé à assurer le tri des personnes blessées, les pompiers nous ont rejoints. On a opté pour ce qui nous a semblé sur le moment la méthode la plus efficace. On a pris des marqueurs pour écrire sur la peau des personnes les infos importantes afin de faciliter leur prise en charge. Depuis, j'en ai toujours un dans ma poche, au cas où...

Cet événement a modifié beaucoup de choses dans ma pratique. Désormais, quand je briefe mes équipes avant une mission, je prends toujours soin de leur rappeler qu’elles doivent d’abord se mettre en sécurité et attendre des consignes claires avant d’intervenir. Il y a toujours quelque chose de particulier qui résonne en moi quand je prononce ces mots.

Rosine Duhamel, responsable des interventions opérationnelles en santé mentale et soutien psychologique.

J’étais d’astreinte ce soir-là. Vers 22 heures, je reçois l’alerte et suis déclenchée pour me rendre au centre d’accueil des impliqués mis en en place à la mairie du XIème arrondissement. Nous sommes 2 référents psychologiques sur place, ainsi que de très nombreux bénévoles, chargés d’accueillir et de réconforter les personnes qui ont réussi à s’enfuir du Bataclan. Elles sont une centaine environ. Les unes prostrées, d’autres en pleurs. Alors que dehors règne l’agitation, ici c’est étrangement calme, feutré, sécurisant. Nous ne forçons rien, nous sommes juste disponibles, bienveillants. Il faut savoir écouter les silences, respecter l’isolement.

Je m'enquiers aussi de l'état des bénévoles, pour voir comment ils gèrent leurs émotions. J’ai en tête les mots d’une secouriste un peu démunie me disant “je n’ai fait qu’écouter”. Or, l’écoute, c’est exactement la bonne attitude, c’est le geste qui sauve dans de tels moments de détresse. C’est tout simplement être dans l’humanité.

Je garde aussi en mémoire l'image d’une ville fantôme. Nous sommes tous appelés à rester confinés, par crainte de nouvelles attaques dans la nuit. Après le chaos, le bruit des sirènes, Paris est soudain désertée, la vie s’est arrêtée. C’est assez irréel.

Florent Vallée, directeur de l’Urgence et des opérations. En 2015, il est responsable du pôle Opérations de la Croix-Rouge française.

Le 13 novembre 2015, pour moi, c’était hier. Je sais exactement où j’étais et ce que je faisais heure par heure cette nuit-là. Ça reste l’opération la plus marquante que j’ai vécue à la Croix-Rouge.

Je suis chez moi lorsque je reçois la première alerte du cadre de permanence à Saint-Denis vers 21h25 : “Explosion d’origine inconnue devant le stade. Moyens suffisants”. Nous avons 60 secouristes mobilisés sur le match France-Allemagne ce soir-là donc, en effet, suffisamment de moyens pour un fait isolé. Puis tout s’enchaîne très vite.

J’allume la télévision et je vois défiler ce bandeau sur une chaîne d’information continue : “Multiples fusillades dans Paris”. Sans comprendre ce qui se passe vraiment, je déclenche le plan d'Actions régionales sur accidents multi-sites et interventions spécifiques (ARAMIS). On active le système d’alerte qui permet de mobiliser tous les cadres opérationnels d’Ile-de-France et l’équipe du centre national opérationnel, leur demandant de rejoindre le siège de la Croix-Rouge (rue Didot à l’époque), de déployer l’ensemble des volontaires de la région et de mettre en place trois points de rassemblement des moyens. La mécanique est lancée, on déroule les opérations conformément à notre plan. On ne se rend pas encore compte de la pression, on agit par réflexe. On est entraînés pour ça.

Au centre opérationnel (CO), les radios hurlent non-stop, annonçant de nouveaux besoins, de nouvelles attaques, des appels à renforts. Le centre est une vraie fourmilière.

Vers minuit, le Président de la République décrète l’état d’urgence. On se demande quoi faire, quel impact cette décision peut avoir sur nos activités. C’est inédit. On sait que d’autres attentats peuvent se produire, que des terroristes courent toujours. Au petit matin, on décide d’interdire toute manifestation Croix-Rouge sur la voie publique, pour ne pas risquer d’exposer nos volontaires.

Durant les jours qui suivent, on entend les sirènes en permanence, les hélicoptères qui survolent Paris et les alentours. L’atmosphère est extrêmement lourde.

Le 18 novembre, les forces de l’ordre donnent l’assaut à Saint-Denis où les terroristes sont soupçonnés de s’être retranchés. Sur toutes les radios FM, le même message : “Evitez de vous rendre au nord de Paris. Opération de police en cours.” Une quarantaine de secouristes tiendront un centre d’hébergement d’urgence durant 5 jours pour accueillir la population évacuée du quartier.

Nous restons mobilisés durant deux semaines à la cellule téléphonique du ministère des Affaires étrangères, à l'École militaire où les volontaires accompagnent les familles pour retrouver leurs proches, blessés ou décédés. Puis, vient le temps de la cérémonie d’hommage des victimes. Nous sommes nombreux à y assister, nos volontaires accompagnent les personnes ne pouvant se déplacer, vont les chercher à leur domicile ou aux Invalides et restent à leurs côtés tout au long de cette matinée éprouvante.

La spirale prend fin, enfin. Nous avons répondu présents, nous avons fait preuve d’efficacité. J’en garde un sentiment d’accomplissement et surtout, de fierté. La mobilisation et la solidarité ont été extraordinaires durant tous ces moments.

Ces événements ont marqué un tournant, c’est certain. Depuis, on n’envisage plus aucune manifestation sans prendre en compte le risque d’attentat. Le risque est omniprésent. Ça a été le cas lors des Jeux olympiques et paralympiques, par exemple. Désormais, on prévoit systématiquement un dispositif de protection de nos volontaires, des solutions de repli, de mise à l’abri, de même qu’un accompagnement en soutien psychologique.

Crédits photos : Thibaut Maitre et Christophe Hüe

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