Des dizaines de milliers personnes ont fui la capitale tchadienne, N’Djamena, où de violents combats opposant les rebelles aux forces gouvernementales, ont fait 160 morts. 30.000 Tchadiens ont gagné la ville camerounaise de Kousséri, sur l’autre rive du fleuve Chari qui sépare les deux pays. Si la majorité des familles s’est regroupée dans le camp de transit de Madana, à l’entrée de Kousséri, beaucoup dorment sur les places publiques, dans les écoles, les mosquées et les musées. Encore en état de choc, les réfugiés sont affamés, souffrent du froid, du manque d’eau et de nourriture. La Croix-Rouge intervient pour assurer les besoins les plus urgents.

Kousséri, faubourg camerounais de N’Djamena

Kousséri est la ville la plus proche de N’Djamena. Les gens la considèrent comme un faubourg de la capitale tchadienne. Pour passer de l’une à l’autre, il suffit de prendre le pont qui enjambe le fleuve Chari. Pas de contrôle à la frontière. En temps normal, les deux villes sont habituées au va-et-vient : des Tchadiens viennent au marché de Kousséri faire des courses ; des Koussériens travaillent à N’Djamena. Le rythme social des deux villes est étroitement mêlé."Au bout là-bas, c’est le palais du Président du Tchad, M. Déby, nous dit un habitant du quartier de Madagascar en pointant un bâtiment blanc sur l’autre rive. Au plus fort des combats, les balles perdues venaient jusqu’ici. Nous étions à portée d’arme." Trois obus non explosés sont même tombés sur Kousséri, rapportent les autorités. "Les réfugiés se sentent en sécurité parce qu’ils sont au Cameroun. Mais N’Djamena est à 15 minutes à pied, en face".

La fuite vers Kousséri

Dans le camp de transit de Madana qui regroupe plus de 6000 personnes, les réfugiés ont le même récit des journées de combat "C’était la guerre !" insiste l'un d’entre eux. "Quand les hélicoptères sont arrivés et ont commencé à tirer des missiles dans les quartiers, les gens ont paniqué.""C’était la cohue" témoigne Farroussal, qui a fui avec sa femme et son enfant de un an. "Le pont était bondé. Les gens se bousculaient et des enfants sont même tombés à l’eau. C’était effrayant." Le jeune homme continue : "Nous avons emporté le plus d’affaires possible, un peu de vivre, des couvertures. Nous avons laissé le reste dans notre maison à la merci des pillards." Dans la panique, beaucoup de réfugiés sont partis avec les seuls vêtements qu’ils avaient sur le dos.Farrousal nous raconte la vie dans le camp depuis 5 jours. "Tout le monde ici dort à la belle étoile. La nuit, la température tombe. On a froid. Mon enfant d’un an est malade. Nous sommes tous malades." Bronchite, rhumes sont les pathologies les plus courantes qui touchent les réfugiés. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a également mis en garde contre les risques d’épidémie (rougeole, méningite, choléra) et lance une campagne de vaccination générale cette semaine.

Des réfugiés dispersés dans la ville

En dehors des camps de Madana et de Besic, beaucoup de familles ont établi leur campement dans les lieux publics. Près de 200 familles ont trouvé refuge à la paroisse Saint-Joseph. Une dizaine de familles s’est regroupée au musée du Palais du Sultan. Les cours d’écoles sont investies. Beaucoup dorment également dans la rue. Le plus frappant est à chaque fois le nombre d’enfants, particulièrement vulnérables, qui doivent constituer environ 50% de la population.Les plus chanceux sont logés par des parents ; d’autres encore louent une chambre à l’hôtel ou chez l’habitant quand ils en ont les moyens. Cet éparpillement des réfugiés rend le travail de repérage par les humanitaires mal aisé.

Des besoins urgents

Les besoins des réfugiés sont clairs et urgents : couvertures, bâches, rations alimentaires et eau potable. UNICEF et MSF Suisse se sont chargés de l’approvisionnement en eau potable dans les camps de Madana et de Setic. Le Plan alimentaire mondial (PAM), avec l’aide de la Croix-Rouge, y ont assuré les premières distributions alimentaires samedi dernier.La Croix-Rouge française, en collaboration avec la Croix-Rouge camerounaise, procède depuis le 12 février à la distribution de 5000 couvertures et de 2500 jerrycans. Dans les prochains jours, 500.000 tablettes de purification, 1500 bâches et 930 kits d’hygiène familiaux doivent également être distribués. "Samedi, nous ne sommes intervenus que dans les deux camps, explique Mamadou Diallo Belly, délégué régional de la Fédération internationale de la Croix-Rouge chargé de la gestion des catastrophes, mais la prochaine distribution concernera également les réfugiés disséminés dans la ville."La Croix-Rouge française prévoit également la mise en place d’un centre de santé dans le camp de Maltam où l’ensemble des réfugiés tchadiens seront relogés à partir de la fin de la semaine. "Les camps de Madana et de Setic ne sont que des camps transitoires. Le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), prévoit de reloger les réfugiés dans un camp spécifiquement aménagé à Maltam, à l’extérieur de Kousséri. Ce camp a déjà servi il y a une quinzaine d’années" explique Marie Evreux, logisticienne de la Croix-Rouge française détachée auprès de la Fédération internationale de la Croix-Rouge.

Fin des combats ou début de la guerre ?

Clément est logé avec sa femme et ses deux enfants par une famille du quartier du musée : "Nous louons la chambre 1000 francs CFA (1,80 euros) par jour. C’est dur pour nous, mais nous encore, nous avons un toit. Nous sommes un peu mieux lotis que les autres." Quand on lui demande quand il compte retourner au Tchad, Clément se gratte la tête : "Je n’en sais rien. Les journaux nous apprennent que les rebelles ont pris les villes de Mongo et d’Am Timan, à l’Est du pays. On entend parler de chasses aux sorcières à N’Djamena. La situation n’est pas encore stabilisée."Entre réfugiés, les récits sur la situation au Tchad vont bon train. Les rumeurs aussi. Rumeurs d’enrôlement forcé par l’armée qui effrayent les jeunes ; risques de contre-attaques des rebelles. Certains racontent les exactions des forces gouvernementales contre des civils dans N’Djamena. Une partie des réfugiés, encore difficile à quantifier, ne se voit pas rentrer dans les prochaines semaines et envisage l’exil sur le long terme.Depuis lundi, à l’entrée de Kousséri, une dizaine de camions transportant des chars de combat est garée sur le bas côté et attend de traverser la frontière : "Ces chars sont pour le Tchad, lance un passant. Et d’ajouter d’un air fataliste : la guerre n’est pas finie..."

Gilles Lordet

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