Outre le quotidien des projets que nous mettons en œuvre en Haïti, vivre à Port-au-Prince permet aussi de faire de belles rencontres... A l’image de Jean-Euphèle Milcé, écrivain Haïtien renommé, qui a accepté d’écrire quelques lignes sur la situation de son pays, telle qu’il l’analyse, telle qu’il la voit et telle qu’il la vit, quatre mois après le séisme.

La force d’un peuple et d’un pays

« Quatre mois après l’innommable, Haïti est en deuil, en chantier de déconstruction ou de refondation. Peu importe et au-delà de tout, elle existe quoique misérable et angoissée.

 Dans la mémoire collective encore fraiche confondue à un fort désir d’avenir, le séisme du 12 janvier est, les Haïtiens, « cette chose ». Une manière de dire toute la distance avec la douleur de rester en vie, de se remettre debout.

[… ] Ce que je retiens et qui, à mon avis, mérite qu’on insiste est la solidarité entre voisins et concitadins (pourtant non préparés) dans l’organisation des secours, quelques minutes après le séisme, et la prise en charge des camps de fortune spontanés. Les convoyeurs d’images et de mots forts jusque dans le salon des simples et petits citoyens du Nord du monde sont arrivés en même temps que les « multinationales » de l’humanitaire. Malheureusement, ils n’étaient pas là pour témoigner au moins d’un bel exemple de civisme et de discipline dans l’extrême douleur.

Le peuple haïtien sait s’adapter, se défendre et jouer au chat et à la souris. Les populations les plus vulnérables ont la mémoire des belles promesses. Elles acceptent l’aide ponctuelle permise et possible en même temps qu’elles s’organisent. Avec prudence et malice. J’ai suivi une famille pendant un certain temps. Pour jouer sur tous les tableaux, elle s’est divisée en deux. Une partie (les plus faibles) s’est installée en province. L’autre partie, quant à elle, reste sur place, à Port-au-Prince, dans l’action et dans l’attente. Qui sait si on va reconstruire les maisons détruites ? Ce qui est sur, la république de Port-au-Prince fait des lois, dessine des plans, met en place des commissions. Sur les ruines et la déchéance d’avant le 12 janvier.

Ne pas sortir de Port-au-Prince légitime le doute du possible. Ville en miettes. Ville de toutes les mauvaises fantaisies. Malgré et heureusement le pays en dehors est loin et très loin de toute cette agitation. Il est capable d’absorber le meilleur des projets et des envies de développement de ce pays. Adaptés, modernes et durables.L’espoir et l’avenir en mieux passe par la prise en compte des possibilités du pays en dehors de Port-au-Prince. »

L’importance de la sensibilisation à la réduction des risques de catastrophes

« J’ai le privilège d’être impliqué dans un travail portant sur la connaissance des menaces naturelles multiples en Haïti ainsi que la gestion du risque associé. Il est évident que les populations haïtiennes, toutes classes confondues, doivent bien connaitre leur milieu de vie pour qu’elles soient moins vulnérables. Des responsables de l’état haïtien et d’agences internationales de coopération ont compris qu’il faut produire de l’information adaptée et la rendre accessibles aux haïtiens. »

L’affection et la mémoire

« Haïti génère aussi ses petits bonheurs. L’affection n’est pas en option. Elle réchauffe. Elle trouble. Elle casse la distance entre les gens. Ce trop plein d’affection exige, en retour, de l’attention pour l’autre chéri. Cette petite faiblesse est nécessaire pour prendre pied en Haïti. Il est difficile, voire impossible, d’aider ce peuple qu’avec des bons managers, des parfaits manuels de procédures, des projets bien ficelés et de la sainte et salvatrice bible.Mes collègues écrivains, témoins et acteurs de la survivance de ce peuple, ont toujours compris qu’il est de leur devoir de poser leur regard amoureux sur l’Haïtien. Instantanément après le séisme, des jeunes écrivains rescapés ont, à travers des textes, mis en mots la douleur, les attentes et le droit de rêver des Haïtiens. Ces textes seront publiés pour un engagement sans cesse renouvelé. Et, contre l’oubli. Contre une éventuelle reconstruction qui ne prend pas en compte la force et la capacité créatrices de l’Haïtien […] »

Photo © Kesler Bien-Aimé Thomassin, février 2007

Milce Jean Euphele

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