Santé mentale : les jeunes footballeurs de Nancy sensibilisés au cyberharcèlement avec la Croix-Rouge
Publié le 9 octobre 2025

À Nancy, c’est au cœur du centre de formation de jeunes footballeurs, l’Association sportive Nancy-Lorraine (ASNL), que la Croix-Rouge s’invite pour échanger avec les jeunes footballeurs et leur ouvrir les yeux. Dans le cadre d’Option Croix-Rouge, un programme éducatif et solidaire, un module de sensibilisation a été créé dans le but de déconstruire les idées reçues autour du cyberharcèlement et d’ouvrir un espace d’écoute pour ces jeunes lycéens-athlètes, souvent pris dans une routine sportive exigeante.
David, bénévole chargé de l’éducation et la prévention à la Croix-Rouge, a choisi de développer ce module dédié à la santé mentale et au cyberharcèlement, deux sujets intimement liés : “Aujourd’hui, les jeunes sont ultra-connectés, mais restent très peu armés pour se protéger. Entre Instagram, Snapchat, TikTok et autres plateformes, certains jonglent avec 7 ou 8 réseaux sociaux en parallèle.” Leur quotidien numérique est foisonnant et très peu encadré : ils y passent une part importante de leur temps, souvent sans disposer des clés pour gérer leur image, protéger leurs données ou repérer les risques. Cette hyperconnexion peut conduire à des dérives variées : exposition à des contenus inappropriés, cyberharcèlement, pression sociale liée aux standards véhiculés en ligne, mais aussi vulnérabilité face aux arnaques ou à la désinformation.
Le module démarre donc par plusieurs questions : quels réseaux utilisent-ils ? Réalisent-ils que ce qu’ils partagent en ligne – images, position géographique, détails sur leurs proches – peut se transformer en véritable outil de harcèlement ? Ont-ils conscience des risques pénaux liés à la diffusion d’une image non consentie ? Souvent, la réponse est non.
Et c’est tout l’enjeu : ouvrir les yeux sans moraliser, donner des clés, éveiller l’esprit critique.
L’écran : les nouvelles formes de violence
Cyberharcèlement. Un mot qu’on connaît. Mais sait-on vraiment ce qu’il recouvre ? Les jeunes participants, issus de classes de seconde, première et terminale, sont des garçons, sportifs, souvent perçus comme forts, résistants. Pourtant, très vite, les échanges révèlent autre chose.
David le constate : “ils ne se rendent pas toujours compte qu’ils peuvent être harceleurs malgré eux. Une photo publiée dans la classe, une blague lancée dans une story, un commentaire laissé à la légère… Pour eux, cela semble anodin, presque banal. Mais l’impact peut être tout autre pour la personne ciblée : humiliation, mise à l’écart, sentiment d’être jugée ou moquée devant tout un réseau.” Ce décalage entre l’intention et la perception est souvent énorme. Et parce que le numérique amplifie et démultiplie la portée de ces gestes – une story peut-être vue par des centaines de personnes en quelques minutes avec une photo qui circule sans contrôle – les conséquences peuvent devenir très lourdes.
Et l’on sait que dans ce genre de situation l’escalade peut être rapide : du rire à la moquerie, de la moquerie à l’exclusion, de l’exclusion au repli sur soi. Dans certains cas, ce cercle vicieux s’installe si vite que ni les témoins, ni les auteurs ne réalisent à quel point la situation a basculé. Certains jeunes peuvent rentrer chez eux avec des angoisses, sans oser en parler à leurs parents. Pour David, une des premières clés repose donc sur l’encouragement à la parole : créer un climat de confiance où le jeune se sent écouté sans jugement, où il sait que ses émotions seront prises au sérieux. Favoriser cette expression, que ce soit en famille, à l’école ou dans le cadre associatif, est essentiel pour briser l’isolement et ouvrir la voie à des solutions concrètes.
Créer un espace de parole et un environnement favorable à l’épanouissement des jeunes sportifs
Pas facile d’installer une bulle d’échange quand les jeunes sont surbookés : entraînements, matchs, cours, rendez-vous médicaux... Pourtant, le format du module, volontairement interactif et à taille humaine, fonctionne.
« Ils commencent assis au fond de la salle, un peu sur la réserve, le regard qui fuit parfois. Certains croisent les bras, d’autres pianotent distraitement sur leur téléphone, comme pour mettre une distance. Et puis, peu à peu, quelque chose se passe. Ils s’avancent de quelques rangs, ils relèvent la tête, ils s’écoutent. Ils s’ouvrent. Ils parlent. » raconte David.
Ce déclic vient souvent d’exemples du quotidien, qui leur parlent directement : une photo postée sans trop réfléchir, un TikTok filmé avec la petite sœur qui fait rire tout le monde, une géolocalisation activée pendant les vacances. Des situations banales, anodines en apparence, mais qui suscitent aussitôt des réactions, des rires complices ou des prises de conscience. Le module trouve alors sa force : il part de ce qu’ils vivent réellement pour les amener à réfléchir, à questionner leurs habitudes et à envisager les conséquences.
Peu à peu, les langues se délient. Certains osent partager des expériences vécues : une photo humiliante relayée dans un groupe de classe, un message privé devenu public, une remarque blessante likée en silence. En racontant, ils réalisent qu’ils ne sont pas seuls, que d’autres ont traversé des situations similaires. Chez certains, c’est une prise de conscience brutale : ils découvrent qu’ils ont peut-être été victimes, ou au contraire témoins passifs, spectateurs muets d’une mise à l’écart ou d’un harcèlement.
À ce moment-là, quelque chose change dans l’atmosphère. Les regards s’accrochent, les hochements de tête deviennent plus nombreux. Le tabou tombe, remplacé par une forme de solidarité. Ce qui paraissait indicible trouve enfin des mots, et avec eux, la possibilité de comprendre, d’agir et de se protéger.
Des outils concrets pour aller plus loin
Pour que la sensibilisation porte ses fruits, des outils des dispositifs concrets sont co-construits, pensés pour résonner aussi dans l’univers du football.
La charte de bienveillance, co-construite avec les jeunes, joue un rôle similaire à celui du règlement intérieur d’un vestiaire : chacun y inscrit ses engagements comme on définit les règles du jeu. Respect de l’adversaire, soutien mutuel, refus des moqueries – autant de principes qui rappellent qu’une équipe fonctionne avant tout sur la confiance et la solidarité.
Les affiches de prévention conçues par les élèves font écho aux banderoles ou aux slogans que l’on voit dans les tribunes. À travers dessins et messages, ils créent leurs propres visuels de sensibilisation, qu’ils peuvent afficher dans les espaces de vie comme on affiche les couleurs de son club : visibles, fédérateurs, porteurs de valeurs.
Enfin, les boîtes positives rappellent l’esprit des encouragements dans un match. Chaque petit mot déposé est comme une passe décisive : une manière discrète mais essentielle de donner confiance, de soutenir, de rappeler que l’on n’est pas seul.
Ces outils, simples mais puissants, renforcent le sentiment d’appartenance, l’écoute et l’empathie dans un univers souvent très compétitif – à l’image du football, où la réussite individuelle ne prend sens que dans le collectif.
Le cyberharcèlement, reflet d’une société à rééduquer ?
Ce que ce module révèle aussi, c’est l’immense besoin d’éducation à la citoyenneté numérique. « Publier la photo d’un camarade, c’est devenu banal. On ne se demande plus si c’est bien ou mal. » déplore David. Le recours à l’intelligence artificielle pour modifier des images, créer des fausses situations ou humilier est aussi abordé : une réalité en plein essor.
La pression est d’abord sociale. Elle se joue dans le regard des autres : celui des camarades de classe, des coéquipiers, du groupe auquel on veut appartenir à tout prix. Ne pas être validé, être mis de côté ou jugé devient une crainte permanente. À cela s’ajoute la pression psychologique liée aux modèles idéalisés : être mince mais musclé, drôle mais intelligent, original mais toujours conforme aux codes. L’impression de devoir correspondre en permanence à une image parfaite est lourde à porter.
Chaque détail prend alors une importance démesurée : une photo mal choisie, un silence dans une conversation de groupe, un like qui ne vient pas. L’estime de soi se construit – ou s’effondre – dans ces micro-signaux, qui semblent parfois décider de la valeur d’une personne.
Ces contraintes s’exercent sur ces jeunes déjà fragilisés par le Covid. L’isolement, les liens distendus, la perte de repères ont accru une sensibilité à l’anxiété et au doute. Dans ce contexte, la pression sociale et psychologique agit comme un amplificateur : elle renforce les insécurités, fait naître un sentiment de vulnérabilité et installe une peur constante de ne pas être « à la hauteur ».
Un engagement associatif qui fait la différence
Débats mouvants, témoignages, mises en situation, photolangage… Les modules de l’Option Croix-Rouge ne se contentent pas d’informer : ils font vivre l’expérience. Ici, pas de discours descendant, mais une pédagogie active où l’élève est placé au centre, invité à questionner, à ressentir, à construire ses propres réponses. « Ce n’est pas de la prévention pour faire joli. On agit sur l’empathie, sur le réel, sur les émotions. Et ça, ça marche », souligne David. Dans une époque où beaucoup de jeunes cherchent leurs repères, ces espaces apparaissent comme un espace de décompression : des lieux où la parole se libère et où chacun peut retrouver un sens d’appartenance.
Conclusion : parler, prévenir, agir
En sensibilisant ces jeunes footballeurs en devenir, la Croix-Rouge plante une graine essentielle : celle du respect, de l’écoute et de la conscience des actes. Car la santé mentale ne se joue pas uniquement dans les cabinets médicaux. Elle commence aussi dans les vestiaires, dans les stories Instagram, dans les échanges entre pairs, là où se construisent les identités et les relations.
Grâce à l’engagement des bénévoles, à l’attention des éducateurs et à la volonté des jeunes de questionner leurs pratiques, un terrain nouveau s’ouvre : celui d’une parole libérée, d’une prévention incarnée et d’actions concrètes. Parler, prévenir, agir : trois étapes qui, mises bout à bout, tracent la voie d’un changement nécessaire — et désormais en marche.