Journée marathon
Publié le 14 avril 2023
19h le 25 mars – Veille de course et retrouvailles
De Paris à New-York en passant par Montauban, la veille d’un marathon est faite de petits rituels : revoir la course dans sa tête une dernière fois puis relâcher la pression, faire un bon repas et se coucher tôt. Pour les quelque 27 bénévoles secouristes engagés à Montauban, c’est un peu la même histoire, la joie des retrouvailles en plus. Quelques volontaires venus des départements voisins sont en effet venus leur prêter main-forte – une douzaine de bénévoles du Cantal, du Gers, du Lot et du Tarn, heureux d’être là. « Un marathon, c’est un événement pour une ville, pour une équipe. La foule, la liesse… Alors bien sûr qu’on a répondu présents ! »Un peu plus tôt dans l’après-midi, les « locaux » ont installé le camp de base en centre-ville, à deux pas du point de départ - et d’arrivée. Trois tentes, dont la plus vaste accueillera le poste médical avancé (PMA) de l’équipe, accompagnée de deux médecins urgentistes et de deux infirmières du Samu.Là, en ce début de soirée, Gilliane est passée voir si les renforts, logés dans un hôtel, étaient bien installés. iLe plaisir de se retrouver est évident. Ça blague, ça se remémore les interventions partagées – un brancardage épique lors d’une course de moto-cross, un fou-rire… Les plus jeunes écoutent bouche bée Carmen et Gilliane évoquer leur semaine passée dans la vallée de la Roya lors des inondations de l’automne 2020. Mais il se fait tard et « demain on se lève tôt, sans compter que cette nuit, on change d’heure », rappelle Gigi, qui envoie tout son petit monde au lit.
6h le 26 mars – Sur le pied de guerre
La nuit est encore noire et certains visages tout ensommeillés, mais à 6 heures pétantes, l’équipe est au complet, blottie sous le hangar de l’unité locale, pour écouter le brief d’Ali, responsable du dispositif du jour. « Il n’y a que pour la Croix-Rouge que je suis capable de me lever si tôt », blague Luna, 17 ans, venue d’Aurillac pour « son premier marathon ». Café, thé, fruits, croissants et « chocolatines » circulent. Les dernières traces de sommeil laissent place à la concentration – gouailleuse mais intense.
Récap du déroulement de la journée, constitutions des équipes positionnées aux endroits stratégiques de la course et rôle de chacun. Ali connaît son tracé sur le bout des doigts - il l’a parcouru X fois en vue du jour J. « Vous avez une position et vous n’en bougez pas ! Rappel des règles de base : « on communique par radio uniquement, sauf dans les endroits où ça capte mal. Et, si on note l’identité des victimes prises en charge, on ne la donne pas par radio –souci d'anonymat oblige. On n’oublie pas non plus de mettre gants et masque lorsque l’on est auprès d’elles ! » Tout le monde opine. Avant que chacun ne se presse d’aller récupérer radio, fiches d’intervention et casse-croûte pour tenir la matinée. L’équipe est prête, le matériel est dans les véhicules. A 7h36 le convoi s’enfonce dans la pénombre. Les gyrophares bleus clignotent mais restent cois - il est encore tôt. Les essuie-glaces crissent… la pluie est au rendez-vous.
7h45 – En position
Dix minutes plus tard, Ali et ses équipiers en poste au camp de base sont sur les lieux. L’agitation monte d’un cran. Dans trois-quarts d’heure chacun devra être opérationnel à 100 %. Maryline grimpe dans le camion abritant le PC radio dont elle est responsable et vérifie si, sur le parcours, tout le monde est en place – les deux binômes disposant d’une voiture, les équipes de quatre dans les deux véhicules de premiers secours (VPSP) et les deux binômes en VTT qui couvriront les zones non accessibles aux voitures. Casqués, les mains sur le guidon, Marie et Hugo, ainsi que Céline et Adrien s’apprêtent à pédaler non stop dès que la course sera lancée.Au camp de base, ça bruisse alors que la pluie redouble. Brancards et fauteuils roulants sont mis à l’abri sous la tente logistique et au PMA, où médecins et infirmières du Samu ont rejoint Corinne et ses trois acolytes qui s’affairent à vérifier qu’il ne leur manque rien – ni bandage, ni couverture de survie ni stylos - pour remplir fiches d’intervention et « main courante » récapitulant l’activité du poste.Dehors, la foule grossit, les coureurs, visage serré, effectuent un dernier assouplissement.
8h33 – C’est parti !
A 8h33, un "bang" retentissant donne le départ du marathon - 300 coureurs s’élancent sous les vivas de la foule. Un quart d’heure plus tard, c’est au tour des 1 000 coureurs du semi. Et à 9h celui des adeptes du 10 km et du relais. Quelque 2 600 coureurs en tout, hommes et femmes – habitués de la course de fond ou néophytes. La météo est aux ondées éparses – « pas de grosse chaleur en vue, résultat ce sera sans doute nettement plus calme que l’année dernière », pronostique Françoise, du fond du PMA. Il n’empêche. « On est sur le qui vive. D’ailleurs on est là pour tout, les p’tits bobos comme les fractures ». 8h46, le temps file. Les radios grésillent. Mais pour le moment, sur le parcours, rien à signaler.
9h50 – Chutes et malaises
Mais peu avant 10h, tout s’accélère brusquement. En à peine plus d’une demi-heure, huit personnes déboulent à pied, ayant dû abandonner leur course. Trauma à la cheville gauche, déchirure musculaire, ampoule, malaise, épuisement, plaie au genou, reflux gastrique, plaie à la lèvre suite à une chute… Les quatre secouristes du PMA accueillent, écoutent, désinfectent, pansent, posent une poche de froid, donnent à manger et à boire. Ils passent le relais aux infirmières du Samu lorsqu’un geste invasif s’impose, prenant l’avis des médecins. Plus de peur que de mal, même si l’une des victimes ne quittera la tente qu’après s’être reposée, et sur avis médical. Et que Denis, urgentiste, conseille à l’homme souffrant de reflux gastriques d’aller à l’hôpital passer quelques examens. Rien d’urgent donc pas besoin de l’y véhiculer.Les gestes sont précis, l’organisation calibrée. Impératif car à 10h17, une des équipes postées sur le parcours a signalé qu’elle amenait un homme faisant un malaise et ayant du mal à respirer. Direction la tente des kinés mobilisés par les organisateurs de la course, puis le PMA à 10h34 – où il est mis sous oxygène et surveillé.
10h55 – Le vainqueur est là. L’équipe reste en alerte.
A 10h55 pétantes, la foule s’enflamme et le speaker s’époumone sur fond de musique techno : le vainqueur du marathon est en train de franchir la ligne d’arrivée ; 40 km engloutis en 2 heures 22 minutes et 34 secondes ! Un record à Montauban.Postées sur la ligne d’arrivée, Carmen et Gilliane qui, une minute plus tôt, accompagnaient au PMA un coureur du semi boitant, scrutent ses poursuivants que l’on aperçoit au loin. La matinée a beau eu être plutôt tranquille, chacun sait que c’est le moment où beaucoup s’effondrent, à l’arrivée ou sur le parcours. Crampes, hypoglycémie, fatigue se font sentir. A 11h28 justement, le binôme de VTTistes Marie-Hugo signale qu’il prend en charge une jeune femme dont les cuisses sont brûlées par le frottement de son short – trop ample pour un marathon. Désinfection, pansements, bandages… La jeune femme repart – elle veut terminer sa course (mais n’y parviendra pas).
11h30 – Et une initiation aux premiers secours, une !
Posté sous une tente au toit rouge, à côté du PMA et de la tente logistique, Valentin, 15 ans, accompagné de ses deux camarades- Maé 15 ans et Jules 11 ans – a le sourire jusqu’aux oreilles. Il vient de réaliser sa première initiation aux premiers secours de la journée ! Pas peu fier, il file l’annoncer à sa mère – Marilyne , au PC radio.Tôt le matin, il avait osé aller voir le speaker pour lui demander d’annoncer que des jeunes de la Croix-Rouge proposaient une initiation « utile à tous ». « Les candidats ne se sont pas bousculés, mais on a discuté avec plein de gens – il y a même une femme qui a l’air tenté de s’engager comme bénévole secouriste – on lui a donné un dépliant avec toutes les infos ! »L’ado qui rêve de passer sa formation aux gestes de prévention et de secours civiques de niveau 1 (PSE1) trépigne en attendant les 16 ans réglementaires.
Dans la tente du PMA voisine, l’agitation a diminué d’un cran mais reste vibrante. A 11h58 le véhicule de premiers secours conduit par Baptiste amène un coureur souffrant de la main droite. Le médecin urgentiste confirme le bilan réalisé in situ – entorse de l’annulaire. À 12h43, nouvelle arrivée accompagnée de secouristes – pour hématome et problème urinaire. À 12h44, une troisième est là, brancardée pour nausées et étourdissements.
14h10 – « Jean-Luc est là ! »
La plupart des coureurs sont déjà repartis, leurs lots à la main. La foule s’est clairsemée, les organisateurs du marathon commencent à plier chaises et moquettes d’apparat. Sous la tente du PMA, deux hommes, épuisés par leur course, se reposent sur un lit de camp, emmitouflés sous des couvertures de survie et perfusés - ils étaient en hypoglycémie et ne partiront que quand leur taux de sucre sera remonté.Une à une, les équipes de bénévoles secouristes sont quasi toutes rentrées, une fois les derniers coureurs ayant passé leurs positions respectives. Ne restent en selle que les deux binômes de VTTistes, qui escortent celui que tous ceux qui restent attendent : Jean-Luc, le dernier coureur du marathon. « Ne jamais laisser quelqu’un en plan, c’est une évidence ! » sourit Gilliane. A 14h10, le speaker s’enflamme une dernière fois – « Jean-Luc est là ! ». Précédé d’ailleurs par un second coureur que tout le monde ou presque avait oublié : Michael, qui le précède de 21 secondes ! Massés derrière les barrières, les secouristes offrent aux derniers arrivés des applaudissements nourris.
14h25 : Débriefing et repas partagé
Réunie sous la tente débarrassée de ses lits de camps, brancards et autres fauteuils roulants, l’équipe souffle. Et sourit. Derniers instants de concentration pour écouter Ali faire le bilan de la journée – plutôt tranquille en fait pour un marathon. Aucune insolation ! Hors soutien à l’arrivée de coureurs épuisés, il y a eu au total 16 interventions au PMA et 2 sur le parcours. « Je suis fier de vous », leur dit Ali, avant de remettre à Valentin et à ses deux jeunes comparses une médaille pour leur implication sur la journée.Applaudissements pour les ados rougissants avant de souffler, vraiment, autour d’un repas partagé. Le plaisir de la mission accomplie – et partagée – se lit dans les regards. Les rires fusent.
15h30 – Lever le camp. « A la prochaine ! »
A l’extérieur la pluie tombe dru et le vent se lève – la tempête menace. Alors en deux temps trois mouvements, tout le monde s’active. Il faut tout ranger, vite. Direction les locaux de l’unité locale où le matériel est précieusement désinfecté – « impératif. Il faut être prêts à repartir sans attendre si jamais on avait besoin de nous », explique Françoise, l’un des piliers de l’équipe montalbanaise. Rien de tel au programme ce soir. L’heure est plutôt à la récupération, même si - frisson de l’urgence oblige – chacun serait prêt à renfiler sa tenue. Un dernier au revoir et les renforts venus des départements voisins s’éclipsent. Ils ont de la route. « A la prochaine ! »