A Chauny, la Croix-Rouge a mis en place des distributions alimentaires et une boutique de vêtements à prix solidaires pour aider les personnes les plus démunies.

“Personne ne nous aide, en dehors de la Croix-Rouge. On se sent complètement abandonné.”

Au milieu des sacs de courses, le petit-fils d’Elise*, 57 ans, s'empare d’une pomme. “Je touche 600 euros par mois, lance Elise* résignée. Heureusement que la Croix-Rouge est là parce qu’une fois les factures payées, il ne me reste que vingt euros pour finir le mois”.

A Chauny, dans l’Aisne, les locaux neufs de notre association accueillent des distributions alimentaires; un centre de soins et une vestiboutique. L'idée : permettre à  celles et ceux qui en ont besoin de recevoir des paniers de nourriture tout en créant du lien pour sortir de l’isolement dans lequel la précarité les plonge. Au total, 500 personnes viennent ici chaque mois pour récupérer des colis alimentaires (3,5 euros tous les 15 jours) auxquels s’ajoutent des colis hebdomadaires de fruits et légumes à 1,5 euro. “Parfois, c’est dur de payer les colis, souligne Elise*. Si vous avez 3 euros dans la poche et que c'est à 4 euros, vous ne pouvez pas l'acheter. C’est pour ça qu’on a aussi des réductions à la vestiboutique.”

“On voit de plus en plus de monde ici”

A ses côtés, Dominique, 66 ans, acquiesce. “Je viens ici depuis que je suis à la retraite parce qu’avec mes 812 euros par mois, je ne m’en sors pas.” Les deux amies se sont rencontrées lors d’une distribution. Depuis, elles prennent le temps de se retrouver et de regarder les vêtements de la vestiboutique ensemble. “On voit de plus en plus de monde ici, continue Dominique. Beaucoup, beaucoup, de personnes âgées.” Elles décrivent leur sensation de n’intéresser personne et d’être abandonnées par les pouvoirs publics. “Personne ne nous aide, en dehors de la Croix-Rouge, je veux dire, s'insurge Elise*. On se sent complètement abandonné.” Mère de deux enfants, et grand-mère de sept petits-enfants, elle patiente sur ce bout de trottoir avec ses sacs et sa fatigue. Son mari a un rendez-vous à Pôle Emploi. “Il doit venir me chercher pour les courses parce que seule, je peux pas y arriver.”

Non loin d’elle, Julien*, 62 ans, regarde la file qui s’allonge pour récupérer les fruits et légumes. Ce sont les personnes qui choisissent quoi mettre dans leur panier, quels légumes elles veulent cuisiner ou non. En plus, si elles le souhaitent, il est possible d’ajouter des œufs (50 centimes les 4), du chocolat ou encore de l’eau. “La vie est très dure pour tout le monde donc maintenant on attend beaucoup plus pour être servi.”, explique Julien, un ancien électricien, aujourd’hui retraité.

Avoir un lieu à soi

Pour financer ces distributions, la Croix-Rouge collecte des invendus, achète des stocks à des prix avantageux, reçoit des dons et vend des vêtements, des jouets et des fournitures scolaires dans sa vestiboutique. Derrière les grandes baies vitrées de ce magasin, Marie-Claude, 63 ans, Sylvie, 58 ans et Jacqueline, 90 ans s’activent pour trier les dons, les repasser et les mettre en rayon. Ici, sur ces étagères en bois tout est fait pour mettre en avant les produits. “Il y a un vrai souci du détail dans cette boutique, reconnaît Marie-Claude. On a l’ambition de donner envie aux gens d’entrer et de se sentir à l’aise. Mais il y a aussi tout un travail de l’ombre fait par les bénévoles. Le tri, la sélection, le repassage, etc.” Dominique regarde les vestes proposées à 5 euros. “Elles sont très belles, mais ce n’est pas pour moi. Je ne rentre pas dans du 38”, souligne-t-elle dans un rire. Un peu plus loin, des boîtes de tampons et de serviettes hygiéniques sont aussi proposées à 1,20 euro.

“Quand on est vieux, on veut plus de vous nulle part”

Dehors, les timides rayons de soleil ont laissé place à une fine pluie. “Il fallait bien que ça arrive, on est quand même dans les Hauts-de-France”, s’amuse Daniel Séverin, 71 ans, président territorial de l’Aisne. Lui est entré comme bénévole à la Croix-Rouge en 2001. “Dans cette antenne, nos bénéficiaires sont beaucoup des retraités, des familles monoparentales ou des personnes au RSA”, indique-t-il.  Selon l’Insee , à Chauny le taux de pauvreté était de 28% en 2019, contre 14,6%  au niveau national . “Pour financer les actions que nous menons, la vestiboutique est essentielle. Elle représente un quart de notre chiffre d’affaires.”

Parmi les bénévoles, Jacqueline vient donner de son temps plusieurs fois par semaine. “J’ai travaillé pendant 40 ans dans le commerce, puis je me suis occupée de mon mari. Les infirmières de la Croix-Rouge nous ont beaucoup aidés pendant cette période. Quand il est mort, je me suis retrouvée seule et un peu perdue. Je suis venue à la Croix-Rouge pour aider et voir du monde. Parce que quand on est vieux, on veut plus de vous nulle part. Sauf ici.”

Christine, 61 ans, arpente les allées de cette boutique dans laquelle elle apprécie pouvoir se balader sans être jugée. “Je ne sais pas si je vais pouvoir continuer à venir dans les prochaines semaines, s'inquiète-t-elle. Depuis début 2022, ma situation s’est dégradée. Ma fille est partie et du coup j’ai plus d’APL. Je m’en sors plus, je n’arrive plus à payer mon loyer. Du coup cet après-midi, je vais visiter un logement d’urgence pour éviter de me retrouver à la rue. Mais seulement, c’est loin d’ici et j’ai pas de voiture. J'ai très peur de me retrouver isolée dans ce HLM, mais je n'ai pas le choix. C'est soit ça, soit je me retrouve à la rue.” Chaque semaine, elle vient récupérer ses denrées alimentaires et passer un peu de temps à la boutique. “C’est mon fils qui m’amène la plupart du temps. Heureusement que mes trois enfants sont là. Ils sont très présents dans ma vie, ils viennent me voir, m’aident dans le quotidien et parfois ils me prennent aussi chez eux.”

Au loin, les bénévoles s’activent pour replacer une veste ou un tee-shirt, encaisser ou conseiller les personnes qui franchissent la porte de cette vestiboutique. “Cet espace, ce n’est pas seulement un lieu de vente, reconnaît Sylvie. C’est aussi un lieu de vie où chaque personne peut venir trouver le réconfort dont elle a besoin.

Elie Hondet

Photo Alex Bonnemaison

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