Espace bébé-parents d’Angers : “Ici les familles ont besoin de chaleur humaine autant que de produits de première nécessité”
Publié le 16 décembre 2025
Étonnant ballet de poussettes ce jeudi matin à Angers dans le quartier Belle-Beille, zone franche urbaine plus habituée au défilé des étudiants et des voitures à l’heure de pointe. Notre unité locale n’a pas encore ouvert, mais déjà, les familles affluent devant la porte. Elles ont rendez-vous à l’Espace bébé-parents : un lieu ressource destiné à accompagner les familles en difficulté et leurs enfants, âgés de 0 à 3 ans. Le plus souvent, ce sont des mères isolées. Les cinq bénévoles présentes ce jour-là les accueillent sourire aux lèvres, café et thé fumant sur la table. “Comment allez-vous aujourd’hui ?”. Ça n’a l’air de rien mais la question n’est pas une formalité. Avant de proposer des petits pots, des céréales, du lait infantile, des couches, et autres indispensables issus de dons, les bénévoles tiennent à ce que les familles se sentent écoutées: “La plupart des personnes qui viennent ici ont des parcours de vie très douloureux. Elles vivent dans des conditions extrêmement précaires. Elles ont besoin de chaleur humaine autant que de produits de première nécessité”, décrypte Christine, bénévole et responsable de la structure.
Ici, le paquet de couches coûte 2,50 euros, comme la boîte de lait infantile, et le petit pot de légumes 50 centimes. Un panier cinq fois moins cher en moyenne qu’en grande surface. Pourquoi cette participation ? “C’est notre façon de respecter la personne”, soutient Aude, retraitée bénévole. “Demander de l’aide pour subvenir aux besoins de ses enfants, c’est déjà très difficile. Recevoir sans rien donner en retour peut être vécu comme une blessure supplémentaire. Les personnes que l’on reçoit paient à hauteur de leurs ressources. Si elles n’en ont aucune, elles ne paient rien”.
Accueillir, écouter, créer du lien
L’Espace bébé-parents apporte bien plus qu’un coup de pouce matériel. La salle d’accueil a des airs de grand salon, avec sa cuisine ouverte, ses tables en bois et son aire de jeux colorée. Cet espace chaleureux permet aux familles souvent exilées, parfois logées à l’hôtel, de se sentir un peu chez elles. Une parenthèse aussi propice à la confidence. “On écoute, on fait le point, on essaie de répondre à leurs besoins. Discuter permet de libérer la parole, de poser des mots sur leurs difficultés. C’est très important. Quand la vie est trop dure, la sociabilité s’en trouve affectée, les relations de couple aussi, le lien avec les enfants parfois. A nous de repérer les signes de mal-être et de voir comment aider, à notre niveau”, explique Christine. Cette ancienne infirmière puéricultrice a rejoint l'équipe quelques mois seulement après son départ en retraite. Très investie, elle sait, par expérience, que les familles qu'elle accompagne ont besoin d'être valorisées pour se reconstruire. Et si les sujets abordés sont trop lourds, trop intimes, les enfants sont pris en charge par les bénévoles et les parents entendus dans un bureau attenant, en toute confidentialité.
Ce jeudi matin, ça danse, ça joue, ça câline, ça se bouscule sur les tapis de mousse.
Un petit garçon perfectionne ses premiers pas, un autre chantonne à l’oreille d’un nourrisson. “Je m’attarde toujours un peu. Je laisse les enfants s’amuser, sourit Nawidullah, un père de deux enfants. Tandis qu’il berce sa petite fille de 4 mois, son aîné, âgé d’un an et demi, rit en chevauchant un cheval à bascule à ses côtés. Seul homme dans cette assemblée féminine, Nawidullaf se fait discret, mais il savoure ces moments de convivialité. Cet artisan peintre a fui l’Afghanistan pour offrir un meilleur avenir à sa famille. Venir ici, c’est aussi une manière de créer du lien : “Ce n’est pas facile de se retrouver seul dans un nouveau pays. Ici, on nous aide avec plaisir, tout le monde est très gentil”, confie-t-il, la main sur le cœur. Spontanément, les bénévoles se dirigent vers lui, prennent sa fille dans les bras. Un déluge de risettes qui permet aussi au papa de s’asseoir et de souffler une minute, avant de retourner jouer sur le tapis avec ses enfants.
“La gentillesse donne de l’espoir”
Les familles sont orientées vers l'Espace bébé-parents par des travailleurs sociaux. Elles viennent sur rendez-vous. L’accompagnement s'étale sur plusieurs mois, un an en moyenne. Ce suivi est aussi l’occasion, pour les bénévoles, de montrer à celles et ceux qui ont perdu confiance, combien ils avancent et de les encourager dans leurs projets.
Angèle a fui la Côte d’Ivoire, sa terre natale, perdu sa famille, tenté sa chance en Tunisie, avant d’arriver en France, avec ses deux enfants pour seule richesse. Elle se dit reconnaissante. “Je vous présente Gentille numéro 1 et Gentille numéro 2”, sourit-elle en montrant du doigt Christine et Claudine, bénévoles, avant d’ajouter : “la gentillesse donne de l’espoir”. Aujourd'hui, elle veut passer le permis, a fait plusieurs stages pour devenir aide-soignante mais rêve de travailler dans la restauration. Claudine rebondit : “Ah bon ? Mais il faut venir à nos ateliers !”
L’Espace bébé-parents propose en effet des ateliers cuisine. L’occasion de partager un moment convivial entre bénévoles et familles. D’autres activités sont régulièrement proposées. Aujourd’hui, c’est massage ! Une fois par mois, ce tout nouvel atelier offre à ces mères isolées le répit qu’elles ne s'accordent jamais. “Elles sont souvent étonnées de se voir proposer un massage, raconte Christine. À leurs yeux, c’est un luxe qu’elles ne peuvent pas se permettre. Quand on pense massage, on pense généralement bien-être. Cet atelier est bien plus que cela. C’est un soin à part entière, une manière, quelque part, de les réparer.” La dernière fois, une femme s'est endormie sur la table. Une autre, arrivée effondrée, est sortie en dansant. À l’image du lieu, cet atelier permet aux familles écrasées par la vie de tenir debout, de repartir le cœur un peu plus léger et la tête haute.
