A Laval, un food-truck solidaire pare à la précarité alimentaire des étudiants. Étudier ou manger ? Notre food-truck change la donne à Laval. A Laval, un food-truck solidaire pour les fins de mois difficiles.

Pour permettre au plus grand nombre de manger à sa faim, le marché solidaire étudiant de l’unité locale de Laval s’est doté d’un food-truck. Depuis plus d’un an, deux après-midis par semaine, nos bénévoles y distribuent gratuitement denrées alimentaires et produits d’hygiène sur les campus excentrés de Laval et Mayenne.

Il est arrivé à 15h30 pétantes, dans la grisaille d’un après-midi de novembre. Floqué de rouge et blanc, le food-truck du marché solidaire étudiant n’a pas encore levé son auvent que déjà, quelques jeunes dévalent en grappe les marches du Pôle régional de formation santé-social de Laval pour patienter, sacs de courses à la main.

Posées à terre, les cagettes de poireaux frais attirent aussitôt l'œil d’Emma, 20 ans tout juste. “Regardez, ils sont encore pleins de terre - tout juste cueillis. Dans une soupe chaude… qu’est-ce que c’est bon !” souffle la jeune étudiante en ergothérapie, dont l’ordinaire est plutôt fait de grandes casseroles de pâtes. A ses côtés, emmitouflées dans leurs doudounes, Margot et Ambre regardent avec envie les tables pliantes se remplir de clémentines, pommes, poires et oeufs, et la vitrine réfrigérée du camion s’orner de produits laitiers, viande et charcuterie.

Tom, étudiant en 1re année de kiné, et Sharzadi, 22 ans, venue de Mayotte pour suivre des études d’aide-soignante, n’ont d’yeux, eux, que pour les packs de lait et les bouteilles d’huile qu’Isabelle et Fabienne, bénévoles, viennent d’installer sur l’étagère du food-truck. Tous deux bénéficient certes de bourses d’études, mais pas d’un logement étudiant, alors ils rognent sur tout, en particulier sur la nourriture, pour pouvoir payer leur loyer et tous les frais associés - électricité, gaz, etc. Or il suffit parfois d’un rien pour que tout dérape - comme pour Tom, qui n’a toujours pas perçu sa bourse ni l’aide au logement à laquelle il a droit."Sans l'aide de la Croix-Rouge, manger peut parfois être compliqué", opine timidement Nanou, étudiante infirmière de 23 ans, elle aussi originaire de Mayotte, qui culpabilise parfois du petit pécule que lui verse sa famille, en complément de sa bourse d'études et de l'aide au logement qu'elle perçoit.

L’itinérance, pour n’oublier personne

Mise en lumière pendant la pandémie de Covid, la précarité étudiante reste, même chassée des gros titres de la presse, une réalité cruelle. Dans l’ombre, le nombre d'étudiants peinant à boucler leurs fins de mois est même en hausse, et leurs profils de plus en plus larges, du fait de la hausse des prix de l’énergie et des produits de première nécessité.

En septembre dernier, une étude de l’association Cop1 Solidarité étudiante menée en partenariat avec l’Ifop révélait ainsi que près d'un étudiant sur deux (46 %) avait déjà sauté un repas du fait de l'inflation, et que la moitié d’entre eux vivaient avec à peine 100 euros par mois, une fois leur loyer et leurs charges payés.

“C’est en voyant ces jeunes, contraints de choisir entre manger, étudier ou se loger décemment, que nous avons voulu agir”, explique Serge, actuel responsable du marché solidaire étudiant lavallois auquel participent 37 bénévoles, à tour de rôle.

Dès février 2021, l’unité locale ouvre pour eux un “marché solidaire” fixe, installé dans un algéco à deux pas de l’IUT de la ville. Ouvert les mercredis et vendredis, de 13h à 17h30, les étudiants qui en ont besoin peuvent venir s’y approvisionner, gratuitement, en denrées alimentaires et produits d’hygiène, à hauteur de 7 kg par semaine. L’essentiel des produits provient de la Banque alimentaire, les bénévoles complétant leur stock grâce aux dons d’associations et d’entreprises locales, et en achetant fruits et légumes frais à prix coûtant auprès de quelques maraîchers.

Mais très vite, l’équipe décide d’aller plus loin encore, en se dotant d’un camion, pour “n’oublier personne” - qu’il s’agisse des étudiants infirmiers de la petite ville de Mayenne, distante d’une trentaine de kilomètres, ou de ceux du Pôle régional de formation santé-social de Laval, qui, pour vivre dans la même ville, étudient dans le quartier Ferrié, légèrement excentré, et sortent souvent trop tard de cours pour avoir le temps de venir à l’IUT.

Fin 2022, elle acquiert un camion neuf, équipé de frigos et d’un congélateur, dont l’achat est financé pour partie par l’État, le conseil départemental et la Croix-Rouge nationale. Et dès la rentrée suivante, ce food-truck aux airs d’épicerie mobile prend ses quartiers, le vendredi après-midi à Mayenne et, en janvier 2024, dans le quartier Ferrié le jeudi de 15h30 à 17h30.

“Donner une chance à tous”

Cet après-midi là, à Emma qui s’approche timidement d’Isabelle pour s’inscrire à la distribution, la bénévole explique que non, elle n’a pas besoin de justificatifs - la simple présentation d’une carte d’étudiant suffit. “Pas question de fliquer qui que ce soit, ne serait-ce que pour donner une chance à tous, à ceux qui n’ont rien comme à ceux qui, sans être complètement démunis, ne mangent pas à leur faim et/ou mal, car ils sont toujours justes, et que la nourriture est le premier poste de dépenses sur lequel ils rognent”, souligne-t-elle.

Futurs infirmiers, aides-soignants, kinésithérapeutes ou ergothérapeutes, les étudiants qui se pressent auprès du food-truck, ont tous les profils, tous les âges aussi - l’année dernière, le plus jeune avait 18 ans, la plus âgée 58. Certains hésitent à se servir. Deux clémentines, une bouteille d’huile et un dentifrice en main, une jeune étudiante infirmière n’ose prendre plus. Ses parents gagnent tout juste trop pour qu’elle ait le droit à une bourse, alors elle a travaillé durant toute son année de terminale pour pouvoir payer sa première année d’études. Là, elle vient de trouver un nouveau job dans une boutique de snacking, mais elle n’a pas encore perçu son salaire. Résultat, la cinquantaine d’euros qui lui restaient pour se nourrir pendant un mois n’ont pas suffi, elle a mangé du riz blanc toute la semaine dernière. “Mais on est nombreux”, souffle-t-elle à Jean-Paul qui, à la pesée, l’incite à prendre quelques denrées supplémentaires.

Au cours de la seule année 2023-2024, sur leurs trois points d’accueil, les bénévoles ont distribué 28 773 tonnes de nourriture à 5 551 étudiants. Et cette année, sur les seuls mois de septembre et d’octobre, déjà 5 363 kilos, dont plus de 1 400 en mode food-truck, à Laval et Mayenne. “Il y a 15 jours, un jeune garçon a fini par me confier que sa banque venait de l’appeler pour lui dire qu’il n’avait que 19 euros pour finir le mois - on était le 13 novembre, et il n’arrêtait pas de me dire merci”, tempête Serge.

Elma Haro

À lire dans le même dossier