Mieux anticiper pour limiter l’impact du choléra au Cameroun
Publié le 9 mai 2025

Rouyatou Ndjidda, volontaire de la Croix-Rouge camerounaise donne l’alerte après avoir constaté des symptômes caractéristiques (vomissements, diarrhées…) chez une jeune fille de sa communauté. Grâce à sa réactivité et à la chaîne d’actions de prévention, sensibilisation des populations et désinfection des lieux stratégiques, l’épidémie est contenue en seulement 4 semaines. Une réussite qui rappelle qu’en agissant vite, il est possible de réduire l’impact d’une épidémie.
C’est l’objectif du Protocole d'Actions Précoces (PAP) développé par la Croix-Rouge camerounaise et ses partenaires, avec le soutien du programme RIPOSTE , porté par la Croix-Rouge française et financé par l'Agence Française de développement . Il est issu d’une démarche inédite : utiliser les outils de gestion des risques de catastrophes telles que les sécheresses, les inondations ou les fortes précipitations pour anticiper au mieux les épidémies : « Dans la gestion des risques de catastrophe et la lutte contre les épidémies, on ne s’attaque pas forcément aux mêmes dangers, mais on peut utiliser des méthodes similaires pour se préparer. L’idée c’est de faire dialoguer les expertises pour pouvoir apprendre l’une de l’autre » explique Mathilde Duchemin, référente technique en Gestion des risques de Catastrophes à la Croix-Rouge française, qui a accompagné l’élaboration de ce protocole.
« Les épidémies de choléra surviennent régulièrement depuis 30 ans au Cameroun. La question n’est donc pas de savoir si l’épidémie va arriver, mais plutôt de comment être le plus prêt possible lorsqu’elle va survenir », explique Dr. Aimé Gilbert Mbonda Noula, Coordinateur santé de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC) à Yaoundé. « C’est le premier protocole d’action précoces réalisé pour une épidémie. Comme c’était quelque chose de nouveau, il a fallu beaucoup de coordination pour passer chaque étape », se souvient Dr Mbonda.
Le choléra au Cameroun : une menace toujours présente
Le choléra est une infection diarrhéique aiguë transmise par la consommation d'aliments et d'eau contaminés par une bactérie, le vibrio cholerae. Elle peut être causée par des contacts directs avec des malades, mais surtout par l’ingestion d’eau ou d’aliments contaminés. Cette maladie reste une urgence de santé publique au Cameroun, qui a connu 15 épidémies depuis 1971. “La pire épidémie a eu lieu entre 2009 en 2011, où 23000 cas ont été déclarés dans 7 régions du pays, causant 840 décès”, détaille Dr Ingrid Kenko, médecin de santé publique à la sous-direction de la lutte contre les épidémies et les pandémies du Ministère de la Santé Publique. Une situation aggravée par les effets du changement climatique, qui accentuent l’intensité et la fréquence des catastrophes naturelles, lesquelles forment un terrain favorable aux épidémies : “En 2014, après une sécheresse prolongée, une épidémie de choléra s’est déclarée dans l'Extrême-Nord. Elle a fait 200 victimes, majoritairement des femmes et des enfants de moins de 5 ans”, ajoute Dr Kenko.
Lors de ces flambées épidémiques, la Croix-Rouge camerounaise se mobilise aux côtés des autorités sanitaires : « nous sensibilisons les populations en faisant du porte à porte ou en animant des groupes de paroles ou des émissions de radio communautaires, grâce à la RadioBox , qui nous a été fournie par le programme RIPOSTE. Nous positionnons aussi aux endroits stratégiques des dispositifs de lavage des mains pour repousser l’épidémie », explique Arsène Kongolo Nkoumou, responsable national hygiène et assainissement à la Croix-Rouge camerounaise (CRC).
Changer de perspective : prévenir plutôt que guérir
Grâce au PAP, des actions anticipées pourront désormais être lancées : « Ce Protocole d’Actions Précoces est une nouvelle corde à notre arc : nous allons maintenant disposer de fonds d’urgences pour pouvoir réaliser ces actions autour de la zone de santé touchée, avant même que les cas ne soient déclarés dans les communautés, pour circonscrire l’épidémie au plus vite », explique Cyrille Ewane, épidémiologiste et point focal PAP à la CRC.
C’est un changement de paradigme qui intervient à point nommé, alors que le Cameroun s’est engagé dans un processus de contrôle de la maladie d’ici à 2030. « Le PAP a été accueilli avec enthousiasme car il répondait à notre besoin de pouvoir anticiper davantage sur les mesures de préparation et de réponse, encore plus au niveau décentralisé. Finalement, il contribue au renforcement du système de santé en général » se réjouit Dr Armelle Ngomba, cheffe de service de la lutte contre les épidémies et les pandémies au Ministère de la Santé Publique et point focal du programme RIPOSTE au Cameroun.
Concrètement, dès qu’un certain niveau de précipitations sera atteint dans une des cinq zones que le PAP a recensées comme à risque, le premier déclencheur sera activé et l’alerte sera donnée. Dans les 24 heures, des volontaires seront déployés dans la zone en question et viendront confirmer ou non le risque épidémique. S’il est confirmé, la CRC pourra commencer à positionner des stocks de matériel et à renforcer la sensibilisation dans les localités alentour, afin d’éviter d’abord que le premier cas de choléra se déclare, puis, si quelques cas sont confirmés, limiter aux maximum la contamination.
Un processus en marche
Le 24 avril dernier à Douala, la Présidente Nationale de la Croix-Rouge camerounaise, Cécile Akame Mfoumou, a officiellement lancé le PAP : “Le présent processus est le résultat du soutien institutionnel des pouvoirs publics et de l’habituelle solidarité du Mouvement Croix-Rouge Croissant-Rouge” s’est-elle réjouie. “Plus qu’un protocole, nous lançons une approche innovante, une dynamique préventive et avant-gardiste, inclusive et proactive pour contribuer à la diminution des épidémies de choléra au Cameroun”.
La première phase du processus a démarré avec la formation des 150 volontaires déployés dans les 5 localités ciblées par le PAP, sur les questions d’hygiène et d’assainissement et la surveillance à base communautaire. L’achat et le prépositionnement du matériel dans les entrepôts des branches locales des 5 régions concernées suivront dans les mois à venir.
“Actuellement, nous finalisons l’outil de gestion et de surveillance du PAP et nous formons la personne qui sera responsable de son suivi et de sa mise à jour à la Croix-Rouge camerounaise, pour qu’elle puisse recevoir directement les messages d’alerte si des inondations ou de fortes précipitations se produisent” explique Mélanie Droogleever Fortuyn, cheffe de projet au “510”, l’équipe en charge des données et du numérique à la Croix-Rouge néerlandaise. Une mission cruciale alors que le Cameroun entre dans la saison des pluies, durant laquelle tous les acteurs de la lutte contre le choléra, du Ministère de la Santé Publique à Yaoundé jusqu’aux volontaires de la Croix-Rouge camerounaise, du Sud Littoral à l’Extrême-Nord, se tiendront prêts à entrer en action.
Une démarche inspirante
« Maintenant, nous disposons d’une bonne base sur le choléra qui peut inspirer d’autres Croix-Rouge et Croissant-Rouge ailleurs dans le monde. Avec le programme RIPOSTE, nous avons aussi travaillé sur un modèle de prévention de la rougeole en République démocratique du Congo. Nous envisageons de faire la même chose pour la méningite dans le Sahel, car il existerait un lien entre cette maladie et les températures élevées, combinées à une forte concentration de poussières dans l'air pendant les périodes de sécheresse» ajoute Mathilde Duchemin.
Une méthodologie et des outils qui pourront inspirer d’autres acteurs humanitaires, pour mieux anticiper et endiguer les épidémies dans le futur. « Notre but commun, c’est de construire des communautés plus outillées pour se préparer à poser les premiers gestes pour lutter contre les épidémies », conclut Dr Armelle Ngomba.
Mission RIPOSTE : anticiper, prévenir et réagir face à ces risques épidémiques
Le programme RIPOSTE se donne pour mission d'améliorer notre compréhension des épidémies. Il vise à contribuer à l'amélioration de la connaissance, des approches et des outils en matière de gestion des risques liés aux épidémies, ainsi qu'à renforcer les capacités des acteurs institutionnels et de la société civile pour anticiper, prévenir et réagir face à ces risques épidémiques. Un programme pionnier son approche globale et sa vocation à fournir des outils nécessaires à une réponse complète.
