“Je n’oublierai jamais” : le témoignage poignant de Thibaud sur sa mission à Gaza
Publié le 9 octobre 2025

“J’ai laissé une partie de moi à Gaza”. Plus de deux mois après son retour en France, Thibaud avoue avoir besoin de faire une pause, de prendre du recul. Il éprouve aussi le besoin d’en parler : “On ne peut partir totalement de Gaza. C’est important d’être témoin, de dire ce que j’ai vécu”.
Sur place, il est chargé d’assurer la coordination entre le CICR et les acteurs Croix-Rouge et Croissant-Rouge. Cette mission consiste à soutenir les équipes et les volontaires du Croissant-Rouge palestinien (PRCS) dans les opérations de secours aux personnes - les prendre en charge, les transférer vers l’hôpital ou les structures médicales. En résumé, trouver à chaque instant des ressources et des moyens pour parer aux multiples urgences, dans un climat d’insécurité permanent et de contraintes de déplacement, nombre de mouvements nécessitant une autorisation.
C’est fin février que Thibaud, 35 ans, pose le pied pour la première fois à Gaza, découvrant avec effroi un paysage dévasté : « J’étais submergé par l’émotion. Je n’étais pas préparé à un niveau de destruction pareil, à des souffrances aussi extrêmes. On aurait dit qu’un tremblement de terre était survenu. Rien ne peut préparer à ça. »
Durant la période de cessez-le-feu, les humanitaires avaient la possibilité d'intensifier leurs actions, de répondre tant bien que mal aux besoins de la population qui affluait en masse du sud vers le nord, notamment à Gaza city. Mais la trêve sera de courte durée. La guerre reprend de plus belle. L’aide est de nouveau limitée. Les attaques contre les travailleurs humanitaires vont se succéder - contre une résidence des Nations unies, faisant plusieurs morts, contre nos collègues ambulanciers du PRCS, tuant 8 d’entre eux, contre le bureau du CICR…
“On est en mode survie permanent »
Juin et juillet seront les mois les plus rudes. Basé à Deir Al Balah, Thibaud se rend plusieurs fois par semaine à Rafah où se trouve l’hôpital de campagne Croix-Rouge. Là, il se démène sur tous les fronts. “Tous les jours, des blessés affluaient à l’hôpital, totalement submergé. Les gens se faisaient tirer dessus en essayant d’accéder aux sites de distribution alimentaire. Je me mettais à l’entrée de l’hôpital et j’aidais les brancardiers à transporter les blessés et les morts. Ce sont les moments les plus durs que j’ai eus à vivre dans ma vie.”
Il n’y a aucune zone où se réfugier, aucun moment de calme. “Je n'oublierai jamais cette destruction insensée, partout. Je n'oublierai pas le bruit des explosions et leurs intenses vibrations, à toute heure du jour et de la nuit.” L’hôpital lui-même est parfois traversé par des balles perdues. « Tout semble aléatoire pour les civils, les hostilités peuvent éclater à tout moment. On est en mode survie permanent. » Dans ce climat de tension, beaucoup de familles dorment dans la même pièce la nuit, en se disant que si leur maison est frappée, au moins elles mourront ensemble. La vulnérabilité est poussée à l’extrême et cependant, malgré la détresse, l’envie de continuer à vivre prédomine : “ les gens continuent de se marier, de faire des enfants, de partager des repas avec le peu qu’ils ont. Ils sont d’une gentillesse incroyable…”
“Chaque matin, on se demande si on reverra nos collègues…”
Les volontaires n’échappent pas aux dangers quotidiens. Eux aussi sont pris pour cibles, subissent le stress, la peur, les pénuries d’eau, de nourriture… Plus de 50 volontaires et membres du personnel du PRCS sont morts, dont trente tués en mission depuis le début du conflit*. Un chiffre profondément choquant lorsqu’on sait que notre emblème aurait dû les protéger.
Et pourtant, aucun n'abandonne, tous gardent la volonté d’aider au maximum la population. “Les liens avec les collègues et l’entraide, c’est ce qui m’a fait tenir”, confie Thibaud qui souligne l’engagement exceptionnel des équipes du PRCS et de ses collègues palestiniens du CICR. Il se souvient notamment de la détermination avec laquelle ils ont réhabilité l’hôpital d’Al Quds, géré par le PRCS, qui avait été détruit à 90 %. “Personne n’y croyait mais ils ont réussi ! Ils ont même une maternité équipée pour accueillir les prématurés !” Le contexte d’urgence absolue oblige les équipes à s’adapter et à innover sans cesse. Elles ont par exemple conçu un container modulable pour en faire un hôpital de campagne, pouvant se monter n’importe et faire office de salle de chirurgie ou de soins intensifs. Ça ne s’était jamais fait auparavant.
“Les équipes et les volontaires du PRCS gardent une énergie incroyable, ils n’abandonnent pas. Ils continuent leur mission sans ciller. Ils ont un niveau d’engagement que je n’ai jamais vu nulle part. Nous, on peut partir ; eux vivent cette tragédie depuis 2 ans.”
*Chiffres au 26 juin 2025