Salariée de la Croix-Rouge, Christelle travaille au sein d’un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), situé à Sommières-du-Clain (86). Très au fait de la complexité administrative, elle accompagne les familles dans leurs démarches... et les aide à vivre au mieux l’attente d’une décision qui peut changer le cours de leur existence.

Quels types de publics accueillez-vous ?

Christelle : Nous avons dix logements – qui sont des petites maisons individuelles - pour dix familles. Nous n’accueillons pas de personnes isolées. Ces familles sont orientées vers nous par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Quand elles arrivent, elles sont déjà dans une procédure de demande d’asile : elles se sont rendues à la préfecture et ont rencontré les agents de l’OFII au moins une fois. 

En quoi consiste votre travail ?

Christelle : Mon premier travail, c’est d’accompagner les familles tout au long de leurs démarches. Elles déposent d’abord une demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui, à un moment – un temps qui peut être long – va les convoquer. On les prépare à cet entretien, ce qui nécessite de créer au préalable un fort lien de confiance. C'est un moment très stressant pour les familles.

Si la réponse de l’OFPRA est négative, elles peuvent déposer un recours auprès de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Notre mission d’accompagnement  s'arrête à l’issue de la procédure de demande d’asile : si elle est négative après l’appel auprès de la CNDA, les familles ont un mois pour quitter le centre. Si la réponse est positive, elles peuvent rester trois mois, renouvelables une fois. Dans les deux cas, nous recherchons avec elles une solution de sortie adaptée : hébergement d’urgence ou d’insertion, logement social autonome ou logement accompagné, etc. Dans les faits, il est difficile de respecter cette temporalité, en raison notamment des délais d’accès au logement social.

 Nous aidons les familles à comprendre le système qui est extrêmement complexe.

C’est-à-dire ? Comment se passe cet accompagnement ?

Christelle : Récemment, les circulaires sur la demande d’asile ont encore changé – il y a une nouvelle loi « immigration » tous les deux ans environ, qui modifie les procédures –, ce qui nécessite un accompagnement plus ciblé ; on fait beaucoup moins de suivi groupé. Nous essayons d’expliquer aux demandeurs d’asile comment fonctionne notre administration et quand ils ne parlent pas le français, ce n’est pas simple. Un interprète coûte à peu près 125 € de l'heure. Nous disposons d’un budget de 250 € par famille et par an. On priorise sur la procédure OFPRA, sur les entretiens avec les avocats...

On fait aussi en sorte que leurs dossiers soient solides, ce qui n’est pas toujours aisé car il faut, par exemple, qu’ils réunissent des preuves de la menace qui pèse sur eux. Et des preuves, ils n’en n’ont pas toujours. Aujourd’hui, c’est difficile d’obtenir des papiers et très long de se lancer dans une autre démarche de régularisation (hors demande d’asile), qui peut durer cinq ou dix ans. Ce qui veut dire vivre tout ce temps ici sans papiers, ce qui est très insécurisant. 

Votre rôle ne se limite pas à de l’accompagnement administratif, n’est-ce pas ?

Christelle : En effet, notre rôle, c’est aussi de créer du collectif, du lien, à travers des moments de convivialité, d’organiser des activités – un atelier couture ou cuisine, etc.  Mon travail, c’est de faire en sorte que les familles se sentent bien et puissent avancer et s'intégrer. Il y a une phase de découverte qui est toujours un peu difficile, où chacun se jauge, etc. Par la suite, dans la très grande majorité des cas, des liens se créent – on s’attache énormément aux gens. Parfois, tout ça est lourd à porter et c'est beaucoup d'énergie à donner. Mais quand on voit qu’au bout d'un moment, à force de se confier, de relater les moments difficiles de leur vie, tout se dénoue... c'est beau. Avec tout ce que les demandeurs d’asile ont pu déposer ici, ils repartent plus libres.

Quelle est l’ambiance au sein du CADA ?

Christelle : Sommières, c’est un village de 700 habitants environ situé à 45 kilomètres de Poitiers. Quand les familles arrivent ici, elles pleurent parce qu'elles se retrouvent en pleine campagne… et quand elles repartent, elles pleurent parce qu’elles ne veulent plus s’en aller !  Au CADA, on a recréé un village dans le village. Les maisons ont une ouverture sur l’extérieur ; après l’école, qui est juste à côté, les enfants des différentes familles jouent ensemble. Et puis, il y a beaucoup d’entraide et de convivialité. Les mamans se rendent visite, partagent un café... Josettee*, par exemple, originaire du Rwanda, va systématiquement voir les nouveaux entrants pour leur proposer son aide en cas de besoin, faire leurs courses ; elle crée du lien avec les autres personnes.

Quand elles obtiennent leurs papiers, la plupart des familles vont vivre à Poitiers. Commence alors une nouvelle étape qu’elles vont devoir apprivoiser :  prendre le bus pour aller voir son assistante sociale, pour aller aux Restos du cœur... Les parents vivent dans un appartement où ils se retrouvent seuls avec leurs enfants. Mais ils s’habituent, ils prennent leurs marques et leur autonomie. C’est aussi l’objectif.

Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier ?

Christelle : J’aime la rencontre avec les gens, l'interculturalité ; les échanges, la découverte d’autres modes de vie et façons de penser. Mon moteur, il est là. C'est aussi de permettre à ces personnes d’accéder à leurs droits et ainsi d’être soutenues dans leurs démarches. J’aime aussi m'occuper de familles. A la Croix-Rouge, l’aspect humain de l’accompagnement est très prégnant, ce n’est pas toujours le cas dans toutes les associations. 

Bien des années après être parties du CADA, certaines familles reviennent pour, disent-elles, faire un “pèlerinage”, retrouver un des lieux de leur enfance... Il est même arrivé que des enfants de deux familles différentes, qui se sont rencontrées ici, se marient. C’est extraordinaire !

Nadia* ou le courage faite femme

“J’étais dans un état horrible et aujourd’hui je me sens bien”

Nadia a fui le Tchad pour protéger sa fille de l’excision. Une décision qui a nécessité beaucoup de courage et de détermination. 

Quand Nadia quitte le Tchad pour la France, elle est enceinte. C’est donc à la maternité qu’elle fait la connaissance de Christelle, qui est venue la chercher pour l’emmener au Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) avec son nouveau-né et sa fille d’un an. C’est pour elle qu’elle est partie. Pour la protéger de l’excision. « Les pressions commençaient à être fortes ; je n’avais pas vraiment le choix », affirme Nadia. Arrivée en France en mai 2023, elle demande l’asile pour sa fille en tant que personne exposée à une mutilation sexuelle féminine. Une mutilation à laquelle  elle-même n’a pas échappé.

Fille d’un imam radical, qui tient la mosquée du village où elle a grandi, elle a fréquenté une école coranique puis suivi des études supérieures en Algérie et à Lille, en biochimie agroalimentaire. Elle y rencontre son mari, tombe enceinte de sa fille et rentre au pays. « Là-bas, les femmes sont soumises à beaucoup d’interdits. Elles ne se mélangent pas avec les hommes, n’ont pas le droit de sortir sans foulard et après la prière de 17 heures... », relate Nadia.

Une fois dans l’Hexagone, Nadia se retrouve seule à prendre en charge sa fille et son bébé, loin de l’aisance financière et des facilités domestiques qu’elle a connues. Le choc est rude. « Au début, Nadia se sentait submergée, notamment par les tâches ménagères. Au Tchad, elle avait des cuisinières, des femmes de ménage... Il y a eu un passage difficile. D’autant que les modes d’éducation entre les deux pays sont très différents. Mais grâce à l’accompagnement de la PMI, elle a commencé à se sentir mieux et elle a repris le dessus », expose Christelle. « Je me suis beaucoup confiée à Christelle. Dès que j’ai un souci, je la sollicite et elle trouve une solution. C’est un repère pour moi On a aussi beaucoup échangé sur l’éducation, le mode de vie français... Et au fur et à mesure, je me suis adaptée. Nadia, qui n’a plus aucun contact avec sa famille tchadienne, hormis avec sa grande sœur, précise : « Ils sont tous fâchés contre moi. C’est humiliant pour eux que je sois partie. Ça a nui à la réputation de mon père car j’ai donné le mauvais exemple ». 

Au CADA, Nadia retrouve un peu de la sororité qu’elle a quittée. Entre femmes, elles se coiffent, se tressent, partagent des repas, sortent les tapis à l’extérieur des maisons et passent un moment ensemble. Sa fille ayant eu une réponse favorable à la demande d’asile, Nadia a obtenu sa carte de résidente pour dix ans en tant que parent d'enfant réfugié, . Dès qu’un logement social se libérera, elle volera donc de ses propres ailes. Elle conclut : « Je suis sortie des ténèbres pour entrer dans la lumière. J’étais dans un état horrible et aujourd’hui je me sens bien ».

*Les prénoms ont été changés pour des raisons de confidentialité

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