Pour les demandeurs d’asile, une Oasis pour exister
Publié le 3 février 2025

“C’est un parcours du combattant”, confie Aïssatou devant l’Ofpra, ce 10 décembre. Elle accompagne sa sœur venue de loin pour l’entretien. Elle-même est passée par là, en 2015. Exil, demande d’asile et queue à Fontenay-sous-Bois au petit matin. Car l’Ofpra, il n'en existe qu’un en France, situé en banlieue parisienne pour tous les demandeurs d’asile, qu’importe leur lieu de résidence. Alors, comme chaque jour, une foule épaisse patiente au pied du bâtiment.
Dans la file d’attente, Catherine, Michiyo et Djita - nos volontaires du jour - slaloment thermos en main, proposant du thé, du café, des gâteaux. Entre les distributions de biscuits et de touillettes, elles font connaître l'Oasis*, un lieu de répit pour les demandeurs d’asile et leurs proches situé à quelques minutes à pied de l’Ofpra. “Vous pouvez venir attendre là-bas, maintenant ou plus tard, c’est comme vous voulez”, suggèrent-elles. Aïssatou accepte volontiers l’invitation. A l’époque de sa propre demande d’asile, ce lieu n’existait pas. Elle découvre alors avec enthousiasme les murs colorés de l’Oasis, sa convivialité, ses ressources. A l’entrée, on peut enfiler des chaussons et prendre une collation. Il y a aussi une douche, des toilettes - avec à disposition des couches pour bébé, du maquillage, des kits d’hygiène et menstruels. Des tables sont installées pour jouer, dessiner, discuter. Au fond du vaste espace, l’intimité est de mise : quelques fauteuils confortables pour se reposer, des couvertures et des cabines individuelles pour se retirer, dormir, méditer, parler, téléphoner, prier.
Et puis il y a celles et ceux qui naviguent dans ce lieu-cocon - les bénévoles, les salariés et services civiques - distillant çà et là la chaleur humaine qui caractérise l’Oasis. Chaleur humaine dont les personnes en demande d’asile sont trop souvent privées.
Au beau milieu du froid et de l’angoisse, une éclaircie
Avoir rendez-vous à l’Ofpra est un stress immense. De cet entretien fatidique découle un avis positif ou négatif, concernant la demande d’asile. Ainsi, dans la longue queue du 201 rue Carnot, à Fontenay-sous-Bois, chacun patiente pour son destin. Les parcours d’exil sont des déracinements, ponctués de traumatismes - selon les données de l’Institut national d’études démographique (INED) et l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), une personne exilée sur cinq souffre d’un trouble psychique**.
L’entretien est une énième épreuve, comme il en existe de nombreuses dans les pays dits d’accueil. On raconte à un officier de protection son histoire, on évoque des événements personnels marquants, traumatisants, et on s'inquiète de la décision rendue. “L’Oasis, c’est une bulle de répit pour les demandeurs d’asile et ceux qui les accompagnent, le jour de l’entretien. C’est un espace pour souffler et se régénérer : notre mission principale est de permettre le répit, celui du corps comme de l’esprit, avec une attention particulière au stress et à la santé mentale”, explique Sarah, coordinatrice du lieu.
Abdoulaye, 21 ans, est angoissé. Il est arrivé en France en 2023, à peine majeur. Orphelin, il a fui son pays d’origine, la Guinée, après avoir vécu des années de calvaire et de torture en prison. Encore adolescent, il a traversé le Mali, l’Algérie, la Tunisie et l’Italie pour enfin gagner la France. Il alterne depuis entre les hébergements d’urgence et la rue. Venu en banlieue parisienne en bus depuis Toulouse, spécialement pour son rendez-vous à l’Ofpra, il attend l’entretien autant qu’il le redoute. “Ça fait 3 jours que je ne dors pas, ce rendez-vous me stresse, je ne mange plus”, avoue-t-il.
“La majorité des personnes rencontrées sont en état de stress post-traumatique, avec les symptômes assez récurrents du trauma, comme des insomnies, des troubles de la concentration, de la mémoire, une perte d’appétit et des souvenirs intrusifs, explique Tala, psychologue au sein du dispositif, formée à la clinique transculturelle. Cela peut aller jusqu’aux hallucinations, mais c’est assez rare”. Elle évoque également les pensées suicidaires et les idées noires de certains et bien sûr les conséquences psychosomatiques : maux de tête, corps qui chauffe...
Pour désamorcer l’anxiété, Tala et Rozenn, l’animatrice de l’Oasis, ont plus d’une corde à leur arc. Il y a bien sûr les consultations psychologiques que Tala propose, mais aussi les activités créatives de Rozenn, les jeux, la tranquillité qu’offre le lieu et la considération qu’on porte ici aux demandeurs d’asile. Et puis il y a les initiatives qui jaillissent spontanément, comme ce matin : “un groupe de parole s’est formé avec quatre hommes soudanais, raconte Tala. Dès que je me suis présentée, ils m’ont parlé de leur histoire et j’ai commencé à faire la médiation. On a beaucoup discuté de leur parcours d'exil, de ce qu'ils ont vécu sur le trajet, des insomnies, des choses qui les fragilisent... Ils ont aussi évoqué ce qui leur permettait de tenir. La parole était vraiment très fluide, ce n’est pas tous les jours qu’on voit des hommes parler librement de leurs émotions, de leurs difficultés.”
“Que cette journée soit autre chose que la demande d’asile”
La création et l’évasion font aussi partie du processus d’apaisement. Les étagères sont remplies de jeux de société, de livres, un arbre à souhaits géant a été créé de toutes pièces avec des dessins, des rubans, une mappemonde collaborative orne un large pan de mur… Rozenn, formée à l’art-thérapie, anime quotidiennement des ateliers avec les personnes accueillies. “L’idée c'est de pouvoir proposer des activités créatives et ludiques aux personnes qui viennent ici, dans le but de faire diminuer leur niveau de stress qui peut être important le jour de l'entretien à l’Ofpra. De manière générale, on est à l’écoute de leurs besoins et on essaye d’y répondre autant que possible, en orientant vers d’autres structures si nécessaire.”
On peut jouer ici aux échecs comme faire du collage, de l’argile, de la peinture… “Dans nos activités, renforcer l’estime de soi est important - notamment avec l’utilisation de matériel de qualité. Le jeu, les ateliers… tout ça permet d’ouvrir un dialogue, de raconter des choses qui ne sont pas forcément en rapport avec la demande d’asile. On découvre la personne en tant que telle, en tant qu’humain, pas juste comme demandeur d’asile.”
Sur la grande table, plusieurs personnes s'attellent à dessiner. Aïssatou utilise pour la première fois de sa vie de la peinture et est avide de consignes. Qu’est-ce qu’il faut faire, comment faire ? Une liberté trop peu habituelle, car comme l’explique Rozenn, “dans le parcours de la demande d’asile, c’est rare d’avoir le choix, de faire comme on veut, et là, on peut.”
Sur les feuilles que l’animatrice s’apprête à accrocher dans les branches de l’arbre à souhaits, on peut lire des messages de paix, d’amour, des poèmes. “Je suis comme un oiseau migrateur”, a écrit l’un des participants. “Avec ce lieu, on fait de cette journée autre chose que la demande d’asile”, analyse Rozenn.
Repartir le cœur un peu plus léger
En arrivant à l’Oasis, les épaules des uns et des autres sont chargées d’angoisses, de fatigue. Et puis, au fil des minutes, des heures, après avoir été au chaud et considéré, les corps se décrispent. Certains troquent les baskets pour des chaussons, investissent les fauteuils, se reposent, prennent un thé. D’autres se mettent autour d’une table pour jouer au Uno, comme Antoinette, venue la veille de son rendez-vous à l’Ofpra - trop peur de ne pas trouver le bâtiment, de louper son entretien. Avec d’autres, elle profite d’une partie endiablée pour apprendre les règles (et les triches) du jeu.
“On propose à des personnes assez stressées de l’écoute musicale et de la création plastique. Les visages se transforment, se détendent et c’est très visible”, témoigne Rozenn. “On a énormément de remerciements, d’accolades, on nous laisse des mots. Il y a des signes évidents. Et puis, il y a les gens tout crispés, fermés, qui, à la fin d’une consultation, sont plus souriants, il y a quelque chose de plus léger”, constate à son tour Tala.
Aïssatou, qui a attendu sa sœur toute la matinée entre les murs de l’Oasis, n’a pas envie de repartir. Le visage apaisé, sa journée a pris un tournant qu’elle n’imaginait pas. “J’ai bien profité”, s’enthousiasme-t-elle. Profité de cette bulle colorée, vivante, bienveillante où l'on peut arriver les mains glacées, la gorge serrée et repartir, comme Aïssatou, le cœur réchauffé.
*L’Oasis est née d’un partenariat entre JRS France et la Croix-Rouge française et a ouvert ses portes début 2024
** https://primolevi.org/app/uploads/2024/06/CPL-La-sante-mentale-des-personnes-exilees_VF_W.pdf